Réalités et perspectives des élections palestiniennes

Publié le par Adriana Evangelizt

Cet interview date d'avant les élections...

 

Elections palestiniennes : réalités et perspectives

L'intégralité du débat avec Jean-François Legrain, chercheur au CNRS et auteur de "Les Palestines du quotidien. Les élections de l'autonomie, janvier 1996" (Beyrouth, Cermoc, 1999), mercredi 25 janvier.
 
- Le Hamas semble avoir le vent en poupe. A quoi attribuez-vous ce phénomène ?
Il y a de multiples raisons : la plus fondamentale est la réponse apportée à la situation d'occupation directe ou indirecte et à l'absence d'Etat. Dans cette situation, le repli sur l'identité religieuse l'a emporté dans bien des cas, et la montée du mouvement Hamas est également la réponse apportée à la corruption perçue comme généralisée de l'Autorité palestinienne en charge de l'autonomie depuis une dizaine d'années. Enfin, une troisième raison : l'extrême importance du réseau associatif et caritatif du Hamas, mis en place depuis une vingtaine d'années, et qui a pallié les manques dans le domaine sanitaire ou de l'éducation de la politique de l'Autorité d'autonomie.
 
- Quelle serait la réaction d'Israël si le Hamas remportait les élections ?
Il est pour le moment difficile d'apporter une réponse, tant les discours et les pratiques tant d'Israël que de la communauté internationale ont été contradictoires, entre un discours de condamnation et de refus de dialoguer et une pratique de contacts sur le terrain, tant dans le domaine technique, économique et de coopération que, parfois, dans un domaine qui déborde sur le politique.
 
- Selon vous, le Hamas est-il une organisation terroriste comme le considèrent Israël et la communauté internationale ?
Moi, en tant que chercheur, je n'ai pas à me prononcer. Pour moi, la catégorie de terrorisme implique un jugement, une prise de position. Ce que je remarque, en revanche, c'est que le Hamas, comme d'autres mouvements palestiniens, a des pratiques de violences, et ce sont ces pratiques que je tente d'évaluer, le terme de terrorisme étant utilisé par l''ennemi", celui qui condamne cette violence.
Un certain nombre d'Etats ou de responsables politiques ont annoncé devoir revoir leur attitude face au Hamas. D'ores et déjà, après les élections municipales des mois récents, qui avaient donné la victoire à un certain nombre de responsables du Hamas, de facto, des dialogues et une coopération se sont ouverts entre ces nouveaux élus du Hamas et des donateurs internationaux.
 
- En quoi le Hamas bouleverse-t-il l'échiquier politique palestinien ?
Dans l'hypothèse où le mouvement Hamas emporterait, sinon la majorité, du moins un nombre extrêmement important d'élus, cela remettrait en cause l'équilibre que l'on a pu observer depuis une trentaine d'années au sein de la scène politique palestinienne, qui avait été contrôlée par les mouvements nationalistes et tout particulièrement par le mouvement Fatah, fondé par Yasser Arafat.

- Certains commentateurs parlent de liens très privilégiés entre le Hamas et l'Egypte, en particulier à cause de la proximité géographique entre Gaza et l'Egypte. Qu'en pensez-vous ?
Les liens privilégiés auxquels vous faites allusion ne sont bien évidemment pas avec le gouvernement égyptien, mais avec le mouvement égyptien des Frères musulmans. Le lien est ancien, puisque le Hamas, historiquement, a été créé en 1987, sur la base de l'association des Frères musulmans, qui s'était implantée en Palestine depuis l'Egypte, où il avait été fondé à la fin des années 1920. Il s'était implanté à Jérusalem en 1947. Il y a donc un lien historique. Il y a un lien idéologique, puisque les références des Frères musulmans sont en grande partie des idéologues égyptiens. Ce qui ne veut pas dire que le Hamas est un mouvement instrumentalisé par les Frères musulmans égyptiens, pas plus qu'il n'est un mouvement instrumentalisé par l'Iran ou le Hezbollah, comme certains le prétendent. Le Hamas est un mouvement de masse palestinien qui a son idéologie propre et un agenda politique qui lui est propre. Ce n'est pas un groupuscule manipulable, comme ont pu l'être en d'autres époques certaines petites organisations palestiniennes.
 
- Le Hamas est-il un mouvement uniquement religieux ?
A l'origine, le mouvement Hamas, en tant que mouvement de type Frères musulmans traditionnel, fait de la réislamisation de la société palestinienne son objectif fondamental et prioritaire. Et c'est dans ce but que le mouvement a mis en place tout un réseau de mobilisation, à la fois de prédication, d'incitation morale et également dans les domaines de la jeunesse, ou de la santé, pour toucher la population et lui faire passer ses messages. Mais en 1987, quand a explosé la première Intifada, le mouvement des Frères musulmans, qui avait fait de cette réislamisation son objectif ultime et unique, s'est trouvé contraint d'entrer dans le domaine de la lutte anti-israélienne, de peur que, étant absent de ce domaine, il disparaisse purement et simplement de la scène palestinienne. Donc, avec la création du mouvement Hamas, le mouvement des Frères musulmans palestiniens est entré dans le domaine nationaliste, ou en tout cas de la lutte patriotique, en articulant son discours social et religieux sur un discours politique, puis, dans un deuxième temps, sur une pratique de la violence et de la lutte nationale.
 
- Une victoire du Hamas est-elle envisageable ?
Oui, bien évidemment, une victoire du Hamas est envisageable, mais il faut attendre le résultat des urnes avant d'avoir une idée claire sur le sujet. Les sondages donnent tous aujourd'hui une force très grande au mouvement Hamas, mais il faut avoir présent à l'esprit que la société palestinienne n'est pas nécessairement appréhendable à travers ce mode d'approche. Déjà, en France, les sondages posent souvent des problèmes. Dans le cas d'une société comme la société palestinienne, qui est privée d'un Etat propre, émettre une opinion politique peut poser problème.
D'autre part, le mode de scrutin retenu pour ces élections législatives est totalement nouveau et recèle une sorte de contradiction. En ce sens qu'il obéit à un double mode de scrutin, puisque la moitié des députés sera élue sur une base nationale et à la proportionnelle, dans le cadre de listes politiques, donc idéologiques et organisationnelles. Tandis que la seconde moitié des 132 députés sera élue dans le cadre de circonscriptions, sur la base de candidats indépendants. Ce qui veut dire qu'un même électeur pourra voter de façon éventuellement contradictoire en accordant son bulletin, par exemple, à Hamas dans le cadre du vote à la proportionnelle, mais en accordant son suffrage, dans le cadre de son vote dans la circonscription, à quelqu'un dans lequel il se reconnaîtra mais qui ne sera pas nécessairement un Hamas, mais dont la proximité ne sera pas idéologique, mais de l'ordre d'une solidarité localiste, familiale ou tribale. Et l'élection de 1996 a montré l'extrême vivacité des liens de solidarité locale basés sur l'appartenance à une famille, à une tribu ou à une communauté locale, villageoise, camp de réfugiés ou quartier d'une ville. Et ce vote contradictoire en termes de politique idéologique n'est pas perçu comme tel par le votant palestinien. Il faut avoir présent à l'esprit cette particularité du scrutin, une particularité qui, justement, a été recherchée par l'Autorité palestinienne et qui vise à tenter de réduire la montée de Hamas et un éventuel échec du Fatah.
 
- En cas de victoire du Hamas, le mouvement devra-t-il revoir sa position face à Israël, et devenir moins extrémiste ? Peut-on imaginer que le Hamas, dans le cadre du processus politique dans lequel il s'engage, soit conduit à reconnaître Israël ?
Le mouvement Hamas est un mouvement qui évolue, et toute l'actualité de ces dernières années a bien montré cette capacité d'adaptation du mouvement. Depuis longtemps, le mouvement Hamas, comme tout mouvement islamique, conjugue à la fois un discours de l'ordre du principe et une pratique adaptable à la réalité du moment. Ce qui fait que, dans le cas de la Palestine et du conflit avec Israël, il y a à la fois le discours de fond, d'ordre religieux et basé sur une certaine lecture du Coran, à savoir que la Palestine, ayant été conquise par le calife au début de l'islam, est une terre islamique, et que, donc, l'occupation israélienne actuelle et la création de l'Etat d'Israël qui a fait échapper à l'islam sa souveraineté sur la Palestine ne sont qu'une parenthèse. Et la lecture du Coran faite par le Hamas souligne que, in fine, la victoire reviendra à Dieu et que la Palestine redeviendra une terre islamique. Mais ce discours, de l'ordre des principes, est accompagné d'un très grand pragmatisme dans le domaine de la pratique. Et c'est un pragmatisme qui est stipulé par les règles mêmes de l'islam pour le bénéfice de l'ensemble de la communauté islamique. Et selon ces règles, en effet, l'extrémisme ne peut que nuire à la communauté islamique. Donc, au nom de ce pragmatisme coranique, le mouvement Hamas, depuis longtemps, a avancé la thèse politique que la création d'un Etat palestinien seulement sur les territoires occupés en 1967, au préalable évacués par l'ensemble des colons, pourrait être envisagée dans le cadre d'une trêve sans limitation de temps, avec l'Etat d'Israël, son voisin. Mais cela sans reconnaissance de la légitimité de jure de cet Etat d'Israël.
 
- Peut-on imaginer, avec le Hamas au pouvoir, un virement de bord idéologique et une politique ambitieuse pour la paix, à l'image du retrait de Gaza ordonné par un Ariel Sharon autrefois considéré comme un leader de la droite dure israélienne ?
L'évacuation de la bande de Gaza, il faut le rappeler, s'est faite au nom d'un unilatéralisme israélien, et en aucun cas dans le cadre d'une mise en œuvre d'une résolution internationale ou d'un processus négocié dans le cadre d'un processus de paix. Et de façon paradoxale, avec l'évacuation de la bande de Gaza, parallèle à la construction du "mur" de séparation en Cisjordanie, nous assistons aujourd'hui à la mise en œuvre d'un plan qu'Ariel Sharon avait rendu public il y a de nombreuses années déjà et qui, à l'époque, avait été très largement condamné par la communauté internationale, et bien sûr par les Palestiniens. Pour Ariel Sharon, il est nécessaire de préserver l'avenir de l'Etat juif en se séparant du maximum de la population palestinienne tout en conservant un maximum de territoires. Et le plan d'Ariel Sharon est de créer un certain nombre d'entités palestiniennes discontinues entre elles, ceintes de mur ou de barbelés, sur une partie seulement des territoires occupés en 1967, et bien évidemment, sans Jérusalem-Est. Et c'est ce à quoi nous assistons aujourd'hui, à la différence que la condamnation, qui avait été unanime au moment de la publication de ce plan dans les années 1990 est inscrite aujourd'hui dans la réalité avec une quasi-absence de condamnation.
Concernant la participation du mouvement Hamas à l'exécutif palestinien, d'une part, il faut attendre évidemment le résultat du scrutin, mais il faut aussi avoir présent à l'esprit que cette participation à l'exécutif fait encore l'objet de débats au sein du Hamas. Si l'on prend en considération la politique observée par d'autres mouvements de type Frères musulmans dans la région, et tout particulièrement dans le cas jordanien, on se rend compte que ces mouvements de type Frères musulmans traditionnels ont pour premier objectif d'influer sur la société tout en se gardant d'avoir à assumer un exécutif qui les mette en charge d'une certaine diplomatie et, en tout cas, de contacts avec Israël. Et tout le but de ces mouvements est d'avoir une force suffisante au sein des instances législatives pour faire passer des lois visant à l'islamisation de la société. Donc des lois sur le statut personnel, sur l'alcool, sur le statut de la femme, etc.
 
- Une coalition Hamas-Fatah est-elle possible, selon vous ?
Actuellement, nous n'en sommes pas là.
 
- Pourquoi le Fatah souffre-t-il d'une mauvaise image auprès des Palestiniens ?
Pour de multiples raisons. A la fois des raisons historiques de fond et également des raisons de conjoncture liées à la situation de ces dix dernières années. Sur le long terme, le Fatah, en tant que cœur de la construction de l'identité nationale palestinienne et moteur de la lutte de libération, a de facto échoué à obtenir la victoire de ses revendications, puisque plus de dix ans après la mise en œuvre du processus de négociation, l'Etat palestinien est toujours absent. Donc, échec historique d'une certaine approche de la libération nationale.
Deuxième aspect : l'aspect corruption. Depuis dix ans, l'Autorité palestinienne, contrôlée par le Fatah, a pu manifester une corruption assez généralisée, d'où un rejet massif d'une part de plus en plus grande de la population. Le mouvement lui-même s'étant montré incapable de surmonter ses divisions idéologiques, personnelles, et de faire le ménage parmi ses membres.
 
- Qu'en est-il des autres listes, notamment celle menée par Moustapha Barghouti et celle de Salam Fayyad ?
Il y a en effet de nombreuses listes en lice aujourd'hui, dont le mot d'ordre commun est celui de la réforme et de la lutte contre la corruption. Et parmi ces listes, celle menée par Moustapha Barghouti et celle menée par l'ancien ministre des finances Salam Fayyad et l'ancienne ministre de l'éducation supérieure Hanan Achraoui sont les plus en pointe sur cette revendication de réforme et de transparence. Mais il faut souligner que ces mots d'ordre ne leur sont pas propres et que toutes les listes, les onze listes en présence, ont fait de la lutte contre la corruption leur mot d'ordre. Ce qui fait qu'en grande partie, le choix des électeurs se fera non pas tant sur une base idéologique, mais bien plus sur un certain lien avec des personnes. Etant bien entendu que deux camps peuvent être identifiés de façon globale : le camp islamique, nouveau sur la scène politique nationale, qui veut afficher une rupture ; et le camp nationaliste dans toute sa diversité, qui s'appuie sur son passé tout en voulant mener un certain nombre de redressements, et éventuellement, de ruptures.
 
- Quel rôle peut jouer Marwan Barghouti sur la scène politique en Palestine à l'issue des ces législatives ?
Il faut rappeler que Marwan Barghouti est actuellement en prison en Israël et qu'il est sous le coup de cinq condamnations à la détention à perpétuité plus quarante ans... Mais cette situation peut évidemment changer d'un jour à l'autre et on se rend compte déjà que Marwan Barghouti bénéficie d'un statut tout à fait particulier, puisqu'il reçoit un certain nombre de personnes dans sa prison, tant des Palestiniens que des Israéliens, et que périodiquement, il dispose d'une ligne téléphonique et qu'il a la possibilité laissée par Israël de faire passer des messages jusqu'en Syrie, puisqu'il a joué un rôle fondamental dans la négociation entre Fatah et Hamas l'an dernier.
 
- Comment voyez-vous la Palestine après ces élections ?
Actuellement, et dans un avenir proche, je crois que c'est quand même la confusion qui l'emporte, et quel que soit le résultat du scrutin, il sera impossible de trouver une solution rapide au conflit israélo-palestinien. La création d'un Etat doté d'une réelle souveraineté, d'une continuité territoriale, conformément à la légalité internationale et aux vœux de la communauté internationale, peut déboucher sur une paix réelle. Aujourd'hui, nous n'en sommes pas là, et la politique observée par Israël sous l'ère d'Ariel Sharon et dans laquelle semble s'inscrire son successeur actuel par intérim, Ehoud Olmert, s'est pour le moment refusée à entrer dans une réelle négociation, en privilégiant l'unilatéralisme du simple rapport de forces. Immédiatement après l'élection d'Abou Mazen à la présidence de l'Autorité palestinienne, il y a un an, au sommet de Charm el-Cheikh qui avait réuni Palestine, Israël, Egypte, Jordanie et Etats-Unis, il avait été convenu de mener des contacts politiques entre Palestiniens et Israéliens, contacts qui ont ensuite été systématiquement refusés par la partie israélienne, au profit de l'unilatéralisme dont j'ai déjà parlé. Après les élections palestiniennes d'aujourd'hui et les élections israéliennes à venir, l'enjeu concernant la paix sera celui d'une mise en œuvre d'une négociation réelle dans le cadre d'un processus où la diplomatie reprendra le dessus sur les violences des deux côtés, qu'il s'agisse des attentats palestiniens ou des éliminations ciblées israéliennes.
 
Chat modéré par Lisa Aliane, Constance Baudry et Nabil Wakim
 
Sources : www.aloufok.net
 

Publié dans palestine

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article