Douloureux réveil pour Hamas

Publié le par Adriana Evangelizt

Alors voilà un article datant de Septembre 1996 qui parle du Hamas...

Le Proche-Orient paralysé par ll'intransigeance du gouvernement israélien

Douloureux réveil pour Hamas

Par Wendy Kristianasen
Journaliste, Londres

M. Benyamin Nétanyahou, le premier ministre israélien, poursuit son offensive contre les accords d’Oslo, refusant d’évacuer Hébron et accélérant la colonisation. Cette inquiétante évolution place dans une situation délicate tous les partenaires arabes d’Israël, à commencer par le roi Hussein de Jordanie, dont la fragilité vient d’être soulignée par les émeutes du mois dernier contre le doublement du prix du pain. Egalement menacée, l’Autorité palestinienne dont la popularité s’effrite, mais qui bénéficie néanmoins des divisions de son opposition islamiste. Le débat qui oppose les deux ailes de Hamas est désormais sur la place publique.

 « Des opérations militaires incessantes n’aident pas Hamas, elles ont même un grave effet négatif pour le mouvement, confie M. Ghasi Hamad, un des dirigeants du Mouvement de la résistance islamique à Gaza. Nous sommes prêts à en discuter avec l’Autorité palestinienne. Car nous ne souhaitons pas de confrontation avec elle. Nous ne voulons pas que les Palestiniens reprochent leurs souffrances à Hamas. L’arrêt de nos opérations fera partie d’un accord global. » Et d’annoncer que les dirigeants de Gaza attendent le feu vert des autorités (palestiniennes et israéliennes) pour aller en discuter avec leurs homologues de Cisjordanie, puis d’Amman.

« J’ai été un des premiers à exiger le “gel” des opérations militaires, convaincu qu’elles représentaient un très lourd fardeau pour les Palestiniens », affirme pour sa part, à Jérusalem-Est, M. Jamil Hammami, fondateur en 1988, au début de l’Intifada, de la branche de Hamas en Cisjordanie. L’homme, qui passe pour le chef de file des « colombes » du mouvement, ajoute : « Quel que soit le responsable de notre aile militaire, c’est là une décision politique. En dernière instance, il revient aux dirigeants de l’intérieur de se prononcer... » Si M. Hammami semble confiant, c’est que les dirigeants des deux ailes qui s’affrontent au sein de Hamas, celle de l’intérieur, notamment à Gaza, et celle de l’extérieur, à Amman, sont assez raisonnables pour éviter une scission. Pour lui, les cadres des territoires occupés ou autonomes sont plus à même d’évaluer la situation.

La nouvelle réalité créée par les accords israélo-palestiniens, explique-t-il, pèse plus lourd que le mouvement islamiste. Les attaques à la bombe du printemps dernier, où cinquante-huit Israéliens trouvèrent la mort, ont porté un coup d’arrêt à la mise en oeuvre des accords d’Oslo, réduit bien des Palestiniens à la famine et ramené l’influence de Hamas au plus bas. Elles ont mis un terme à la trêve entre l’organisation et M. Yasser Arafat. Enfin, elles ont aggravé les clivages au sein du mouvement. La vieille rivalité entre Gaza et Amman se déroule désormais au grand jour. Trois facteurs ont rendu impossible le secret du débat : le vide à la tête de l’organisation, les répercussions des attentats de février-mars derniers et la crise que traversent les Palestiniens dans leur ensemble.

A Naplouse, le drapeau palestinien est mis en berne après la mort, le 31 juillet, de Mahmoud Joumayyil, sous la torture, dans les prisons de l’Autorité. C’est au moins le huitième Palestinien tué ainsi. A l’annonce du décès de ce militant des Faucons, la milice du Fath durant l’Intifada, désormais interdite, on manifeste devant la prison de Tulkarem. La police ouvre le feu et blesse mortellement Ibrahim Hadaydeh. La victime étant membre de Hamas, l’émeute est attribuée au mouvement ; le président palestinien ira jusqu’à prétendre qu’il est tombé sous des balles islamistes (1). Or, la manifestation était largement islamiste, comme les prisonniers dont elle exigeait la libération...

Ces incidents minent l’unité palestinienne. Même la direction du Fath en Cisjordanie publie une protestation, et le Conseil législatif met en cause les responsabilités de la police palestinienne. Pour M. Houssam Khader, élu du Fath de Naplouse, les sévices physiques seraient plus fréquents que du temps de l’occupation. Le décès à Gaza, le 7 août, d’un autre détenu, puis, le 19, la libération de prisonniers ordonnée par la Haute Cour palestinienne le confirment : les Palestiniens font face à une police incontrôlable et omnipotente. Principale force d’opposition, Hamas bénéficie de la dégradation de l’image de l’Autorité : les islamistes se présentent comme les défenseurs des droits des Palestiniens, qu’ils estiment bafoués par les accords d’Oslo et la politique du nouveau gouvernement israélien. Un tract diffusé à Jérusalem le 3 août, mais visiblement inspiré par la direction d’Amman, a même appelé à une nouvelle Intifada contre « une Autorité vendue à l’occupant ». Le représentant de l’organisation en Jordanie, M. Mohamad Nazzal, avait fait une déclaration dans le même sens (2). Cette ligne contredit celle de la direction du mouvement à Gaza, qui prône la reprise du dialogue avec l’Autorité. Elle espère ainsi renforcer l’unité nationale et rétablir l’influence de Hamas comme opposition loyale en échange de l’arrêt de toute action violente à partir des territoires autonomes (3).

Le 5 août, quatre responsables de Gaza se rendent en Cisjordanie pour discuter de la relance du « dialogue national ». A Gaza même, le 12 août, des responsables de Hamas se retrouvent avec des partisans des accords d’Oslo pour étudier les moyens de s’opposer à l’accélération de la colonisation par M. Benyamin Nétanyahou. Ainsi, le mouvement s’empare d’une question lui permettant à la fois de surmonter ses divergences avec M. Arafat et de jouer un rôle politique constructif. La tentative bénéficie de l’appui du ministre de la communication, M. Imad El Falouji, ex-membre de l’organisation, exclu en raison de ses relations trop étroites avec l’Autorité. Les implantations juives, souligne-t-il, menacent « la terre palestinienne, et non l’Autorité », d’où la nécessité d’unir toutes les énergies face au danger commun (4). Plus significatives encore apparaissent les précisions du docteur Mahmoud El Zahhar, porte-parole de Hamas à Gaza : « Nous devons, explique-t-il, étouffer les colonies par des moyens pacifiques » en multipliant manifestations et sit-in, en répandant des clous sur les routes pour gêner les colons (5).

On est loin des tracts de Jérusalem exhortant les brigades Ezzedine El Kassam à « frapper des cibles sionistes en réponse aux crimes de l’Autorité d’Arafat »... Un bras de fer, dont l’enjeu est à la fois le pouvoir au sein du mouvement et sa stratégie, ébranle le Hamas. Il oppose Gaza et Amman, mais concerne aussi les dirigeants du mouvement en Cisjordanie, jusque-là très prudents. Les responsables de Gaza se prévalent de leur héritage : ils ont fondé l’organisation et pris part à l’Intifada. Ils ont construit un réseau d’institutions sociales et caritatives, qui a élargi leur audience, et qu’ils veulent conserver. Ils savent jusqu’où les gens peuvent les suivre, conscients de la ligne rouge de la guerre civile.

Les cadres de l’extérieur, qui financent l’organisation, ne partagent pas ces préoccupations. Ils se retranchent derrière des positions rhétoriques fondées malgré des nuances sur l’action violente. Longtemps, le chef incontesté, M. Moussa Marzouk, a fait taire, de l’extérieur, ces divisions. Or, il a été arrêté en juillet 1995 aux Etats-Unis, où il se bat contre son extradition demandée par Israël. Il n’y a plus d’autorité à la tête de Hamas : l’homme qui commandait aux trois branches (Gaza, Cisjordanie et Jordanie) est hors jeu, son fondateur, Cheikh Ahmad Yassine, en prison en Israël, de même qu’un autre dirigeant, M. Abdelaziz Rantisi.

Après 1948, les islamistes de Cisjordanie ont été une partie intégrante des Frères musulmans de Jordanie, tandis que ceux de Gaza dépendaient de l’Egypte. Ces loyautés contradictoires survécurent à l’occupation israélienne de juin 1967. Elles persistèrent pendant l’Intifada et après l’installation de M. Arafat à Gaza. Il fallut le redéploiement israélien pour que la direction de Hamas en Cisjordanie perçoive l’urgence d’une coordination avec la section de Gaza face à l’Autorité ce qui mit à rude épreuve ses relations, traditionnellement étroites, avec Amman. Les tensions au sein de l’organisation ont atteint leur apogée à la suite de la série d’attentats de février-mars 1996, dont la direction de l’extérieur on le sait désormais a pris l’initiative.

Après la vague antérieure, en avril 1995, M. Yasser Arafat avait fait preuve d’indulgence. Il croyait sa politique de cooptation de Hamas sur le point d’aboutir, et ses services de sécurité n’étaient pas encore aguerris. En 1996, cette mansuétude n’était plus imaginable : les autorités israéliennes avaient fait comprendre que la poursuite du processus de paix dépendait de la répression des islamistes. Certes, la direction de l’intérieur a conservé son aile militaire, en raison de l’attraction qu’elle exerce sur les jeunes, mais également pour ne pas renoncer au « droit » à la lutte armée. En pratique, néanmoins, elle l’a « gelée », sa tactique excluant toute violence. C’est alors que la direction d’Amman décida, dans la confusion consécutive à l’arrestation de M. Marzouk, de pallier cette carence en créant sa propre formation militaire. Elle en recruta les membres parmi les débris des groupes armés en sommeil, les militants en fuite, les prisonniers et les jeunes prêts à tout.

Elle tenta même d’enrôler le plus recherché des militants de Hamas : Yehya Ayache, dit « l’ingénieur », responsable de dizaines d’attentats. Mais, s’il était en contact avec la Jordanie, Ayache travaillait pour l’aile militaire « intérieure » ; selon diverses sources, il aurait même rejeté les injonctions de l’extérieur lui enjoignant d’assassiner des membres de l’Autorité. En fait, Amman n’arrivait pas à trouver de relais pour ses activités : la direction politique intérieure respectait la trêve conclue avec l’Autorité. Tout change le 5 janvier 1996, lorsque les services israéliens assassinent Ayache. Dans l’opinion publique, le climat se modifie brutalement. Cette mort crie vengeance, d’autant que le Djihad islamique déplore lui aussi la disparition de son dirigeant, Fathi Chakaki, tué le 26 octobre 1995 à Malte. L’Etat hébreu offre ainsi au réseau constitué par la direction d’Amman de Hamas l’occasion rêvée pour passer à l’action. Désastreux pour les Palestiniens, les attentats entraînent une nouvelle détérioration des relations entre les différents courants du mouvement.

« Assez de violence ! »

La nouvelle aile militaire de l’extérieur n’a pas hésité à assassiner plusieurs membres de la branche armée de l’intérieur « gelée », sans que l’on sache si les ordres venaient d’Amman. L’affaire des « cellules secrètes » jettera aussi de l’huile sur le feu : recrutés fin 1995 par Amman dans l’aile militaire de Gaza en sommeil pour infiltrer l’Autorité palestinienne, plusieurs jeunes militants sont arrêtés. L’un d’eux, M. Ibrahim Abou Alwan, avoue en mars 1996 avoir tué un policier, Mohamad Abou Sabh (6). Au total, quatre membres de la police palestinienne sont abattus ainsi. La direction islamiste intérieure n’avait pas su ou pas voulu empêcher ces meurtres.

Ces incidents vont attiser l’affrontement entre les directions de Gaza et d’Amman, en premier lieu pour le contrôle de l’organisation en Cisjordanie. Pour des raisons géographiques et de sécurité, celle-ci est décentralisée. Historiquement isolées, les villes, avec l’autonomie, ressemblent à des bantoustans, cernés de points de contrôle israéliens et de colonies qui gênent les communications. Sortis récemment et partiellement de l’occupation israélienne, marqués par leurs longs séjours dans les prisons israéliennes (et, depuis peu, palestiniennes), les dirigeants islamistes sont plus circonspects que ceux de Gaza dans leurs prises de position.

Les inciter à adopter aussi une logique pragmatique, c’est la tâche que s’est fixée M. Jamil Hammami. Il a participé, dans ce but, à une série de délégations (y compris lors du sommet Hamas Autorité au Caire de décembre 1995) et joué un rôle déterminant dans la relance du dialogue avec les hommes de M. Arafat. Ces efforts lui ont valu d’être exclu de Hamas par la direction d’Amman. Son immense prestige n’en reste pas moins inentamé parmi les modérés de Gaza. Autre victime de M. Ibrahim Ghosheh, le porte-parole officiel de Hamas installé dans la capitale jordanienne, le docteur Mahmoud Al Zahhar : s’il a, pour l’instant, évité l’exclusion, on le traite publiquement de « porte-parole autodésigné »...

Par définition, parce que leur légitimité vient de Dieu, les Frères musulmans ne connaissent pas de scission. On tranche à la majorité, celui qui enfreint une décision se voit expulsé. Ce mécanisme permet de marginaliser les « déviants », voire d’étouffer dans l’oeuf toute opposition. Ainsi, après la décision du mouvement de boycotter l’élection du Conseil palestinien, en janvier 1996, trois islamistes retirèrent leur candidature à la dernière minute ; ce sont encore des membres respectés et influents de Hamas. En revanche, le Parti du salut national islamique, qui tenta de contourner le problème en ne se lançant qu’après le scrutin, a été marginalisé. Et quiconque abandonne l’organisation perd toute légitimité.

Désormais, cette discipline semble se fissurer. Gaza ignore l’exclusion de M. Hammami et la rétrogradation de M. Zahhar. Les querelles, très médiatisées, de M. Zahhar et M. Hammami avec M. Ghosheh ruinent l’illusion soigneusement entretenue de l’unité du mouvement. D’autant que le quotidien israélien Yediot Aharonot en a rendu compte, le 9 août, à coups de citations tonitruantes, et d’ailleurs inexactes, selon les intéressés. Avec, qui plus est, une source de friction supplémentaire : le journal affirmait que la direction d’Amman aurait mis sur pied une nouvelle unité de soixante-dix hommes pour attenter à la vie des membres de l’Autorité palestinienne, y compris M. Yasser Arafat. Et Gaza n’en aurait même pas été averti...

Bref, Hamas, à Gaza, se trouve à un tournant. Dans un mouvement où le discours dominant n’est guère empreint de franchise, la rudesse des déclarations de M. Hamad, s’ajoutant à l’appel de M. Zahhar à une action pacifique contre les colons juifs, délivre en fait un message clair et net : « Assez de violence ! » Jusqu’ici, l’intérieur n’avait pas osé le dire ouvertement, réaffirmant pour des raisons tactiques son droit à la lutte armée comme un atout dans les tractations pour la libération de ses prisonniers, l’arrêt des intimidations et l’obtention d’une part du pouvoir dans les territoires autonomes.

La gravité de la situation paraît pousser la direction de Gaza à sauter le pas et à renoncer unilatéralement à la violence. Une telle décision donnerait à l’affrontement au sein de Hamas une ampleur sans précédent, pouvant déboucher sur une scission. Elle confirmerait, ce faisant, la thèse de M. Jamil Hammami, selon laquelle la réalité nouvelle est plus forte que le mouvement islamiste : c’est le caractère intenable de sa position dans les territoires qui serait venu à bout de son unité.

Pour l’instant, Hamas n’en est pas là, car l’Autorité elle-même est divisée. Craignant que la négociation ne légitime les islamistes, les anciens de Tunis préfèrent saisir la chance qui leur est offerte d’éradiquer le mouvement. En revanche, les dirigeants issus des territoires occupés préconisent le dialogue, de peur que trop de répression ne redonne à Hamas une certaine popularité. Quant à M. Yasser Arafat, il croit pouvoir mettre l’organisation à genoux en maniant, comme à l’ordinaire, la corruption et la scission, le bâton et la carotte...

(1) « Salwa Kanaana », in Palestine Report, Jérusalem, 9 août 1996, vol. 2, no 9.

(2) Al Watan Al Arabi, Paris, le 2 août 1996.

(3) Lire Wendy Kristianasen Levitt, « L’introuvable stratégie du pouvoir palestinien face aux islamistes », Le Monde diplomatique, avril 1996, et « Islamistes palestiniens, la nouvelle génération », Le Monde diplomatique, juin 1995.

(4) Al Hayat, Londres, 13 août 1996, in Summary of World Broadcasts (SWB), BBC, Londres, 15 août 1996.

(5) Mideast Mirror, Londres, 13 août 1996.

(6) Jerusalem Press

Sources : LE MONDE DIPLOMATIQUE

Posté par Adriana Evangelizt

Publié dans HAMAS

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