Le Hamas en 1994

Publié le par Adriana Evangelizt

Un article de Février 1994 pour mieux comprendre le Hamas... il y est aussi question de Chehk Yassine dont on saisit mieux pourquoi il a été assassiné par les dirigeants israéliens. Il demandait le retrait des territoires et l'évacuation des colons... 12 ans après, la colonisation s'est intensifiée sous l'impulsion des idéologues sionistes qui préfère s'approprier de la terre plutôt que de faire la paix...

Février 1994

Hamas se prépare à la nouvelle donne

Par Wendy Kristianasen
Journaliste, Londres

Tandis que se poursuivent les négociations entre Israël et l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), le Mouvement de la résistance islamique (Hamas) se développe, en Cisjordanie et à Gaza. Conscients des rapports de force internationaux et locaux, ses dirigeants sont convaincus qu’un accord sera finalement conclu. Ils se préparent à la nouvelle donne qui s’esquisse et aux échéances électorales qui s’annoncent, avec souplesse mais sans renoncer à leur credo idéologique.

 Depuis sa formation en décembre 1987 par les Frères musulmans, le Mouvement de la résistance islamique s’est acquis une solide réputation de nationalisme, de probité et de courage. Il a pleinement participé à l’Intifada sans toutefois s’intégrer à la direction unifiée contrôlée par l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Il s’est nourri des échecs successifs du programme de paix de l’OLP et est devenu la seconde organisation en Cisjordanie et à Gaza, derrière le Fath de M. Yasser Arafat (1).

Le piétinement des négociations depuis la signature de la déclaration commune israélo-palestinienne du 13 septembre 1993 lui a fait gagner du terrain dans l’opinion : ainsi, selon un sondage effectué en janvier, entre septembre et décembre 1993, l’adhésion de la population des territoires occupés à l’accord a chuté de 64 % des avis exprimés à 41 %, tandis que la part des opposants passait de 28 % à 38 %. Hamas a aussi remporté plusieurs élections, notamment aux conseils des étudiants de l’université de Bir-Zeit, de l’université islamique de Gaza, du collège technique de Ramallah, ainsi qu’à l’Association des médecins de Jénine, où il a obtenu 5 sièges sur 7 (2).

Ses appels au djihad (guerre sainte) « dans n’importe quelle partie de la Palestine dont Israël ne s’est pas retiré » recueillent un écho favorable. Les attaques armées contre des militaires ou des colons israéliens, spontanées ou planifiées, la plupart menées par Hamas, mais d’autres aussi par le Djihad islamique ou par des mouvements d’opposition laïques, ont provoqué un engrenage de violence et de répression qui sape l’avancée vers la paix. Pourtant, malgré les obstacles, il est probable qu’Israël et l’OLP affaiblie parviendront à un accord sur l’autonomie qui sera imposé par la communauté internationale et par les puissances régionales. Les islamistes admettent que la population, à bout de souffle, est à la recherche d’un répit après six années d’Intifada. Ils reconnaissent aussi que le Fath est, de loin, la plus importante des organisations palestiniennes : elle disposait, en décembre 1993, de l’appui de 42,2 % de la population des territoires occupés contre 12,6 %, à Hamas (3). Et cet avantage devrait s’accroître si l’OLP réussissait à assurer stabilité et prospérité économique dans les zones qu’elle aura à gérer.

Hamas a donc entamé un débat sur son rôle dans le cadre de la mise en place d’un « autogouvernement » palestinien. Tout en progressant lentement dans la révision de sa politique, le mouvement a d’abord voulu capitaliser la légitimité dont il a bénéficié à la suite de l’expulsion, le 17 décembre 1992, de 415 islamistes vers le sud Liban. Pour confirmer son rôle de parti d’opposition responsable, Hamas a scrupuleusement respecté le pacte de non-agression signé avec des membres de l’OLP dans la prison centrale de Gaza. Il lui fallait éviter à tout prix des affrontements inter-palestiniens dont la responsabilité serait retombée sur les islamistes. Mais il n’a pas renoncé pour autant à concurrencer l’OLP, qu’il refuse toujours de reconnaître comme le seul représentant du peuple palestinien. Des négociations avec M. Yasser Arafat, à Khartoum, au début du mois de janvier 1993, ont échoué en raison du refus de l’OLP de dénoncer la résolution 242 du Conseil de sécurité de l’ONU impliquant la reconnaissance de l’Etat d’Israël (4).

« S’opposer de l’intérieur »

La rupture du dialogue avec l’OLP, le contrôle absolu qu’y exerce M. Yasser Arafat, et la probable marginalisation du Conseil national palestinien au lendemain de l’élection d’une autorité dans les territoires occupés, ont amené Hamas à affiner sa stratégie : il ne s’agit plus de conquérir la direction de l’OLP mais d’y substituer une nouvelle organisation. A cette fin, le mouvement islamiste tente de renforcer le rôle de la coalition des organisations du refus siégeant à Damas, désormais appelée « Allriance des forces palestiniennes » , qui s’était constituée en octobre 1991 pour s’opposer aux négociations de paix israélo-arabes de Madrid. Toutefois, ce regroupement manque de dynamisme. Ses actions se sont limitées à quelques déclarations communes. Il n’est reconnu par aucun gouvernement arabe, et le soutien de Damas pourrait lui être retiré en cas d’accord israélo-syrien. Seules quatre des dix organisations qui le composent disposent d’un poids réel dans les territoires occupés : Hamas et le Djihad islamique, d’une part ; le Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP) et le Front démocratique pour la libération de la Palestine (FDLP), de l’autre.

La présence de ces groupes laïques montre que le rejet des accords Israël-OLP n’est pas l’apanage des seuls islamistes. Le FPLP comme le FDLP appartiennent tous deux à l’OLP et acceptent le principe d’une paix avec Israël. En plus du soutien dont ils disposent dans les territoires occupés, ces deux organisations ont une longue expérience militaire ; elles reçoivent des armes et des fonds. En outre, le FPLP dispose, contrairement à Hamas, de bases au Liban. Cette coopération entre les quatre groupes a pu se traduire, ici ou là, lors de consultations électorales. Mais un profond fossé idéologique sépare les courants islamiste et marxiste, eux-mêmes divisés : Hamas et le Djihad islamique d’un côté, les deux fronts de l’autre, ont été incapables de surmonter leurs antagonismes pour fusionner. Alors que le Fath et le FPLP ont mené conjointement des opérations militaires dans les territoires occupés, rien de semblable n’a eu lieu entre les membres de l’Alliance.

Signe des tensions, les autres factions ont rejeté l’exigence de Hamas, qui voulait s’arroger 40% des sièges au futur conseil central de l’Alliance. Une formule de compromis a été trouvée, moins satisfaisante, avec la création d’un organisme de direction plus lâche composé de vingt membres, - deux pour chaque formation, - et une présidence tournante. Le premier communiqué de l’Alliance, en date du 5 janvier 1994, invite au boycottage des institutions issues de l’autorité d’« autogouvernement ». Mais le caractère « radical » des positions adoptées peut aussi passer pour un signe de faiblesse, étant données les circonstances.

C’est pourquoi Hamas n’hésite pas à prendre ses propres initiatives politiques, en contradiction avec le credo de l’Alliance. Dès mars 1993, son représentant en Jordanie avait déclaré que l’organisation accepterait une souveraineté partielle sur la Cisjordanie et sur Gaza, sans pour autant reconnaître l’Etat d’Israël. Après d’importants débats internes, Hamas semble prêt à participer aux élections - prévues pour juillet 1994 - du conseil d’« autogouvernement », pourvu que cet organe soit investi de pouvoirs législatifs. Cette nouvelle orientation intervient après une série de lettres de Cheikh Ahmad Yassine, le fondateur et le chef spirituel du mouvement, actuellement emprisonné (5). Se fondant sur la participation de Hamas à de nombreux scrutins locaux organisés sous l’occupation, le cheikh suggérait de s’engager dans la bataille électorale « pour s’opposer de l’intérieur à l’institution législative ». Il invitait ses fidèles à refuser l’accord israélo-palestinien « par tous les moyens civilisés possibles », une formulation comprise comme un encouragement à accepter le cadre de la future autorité palestinienne et à limiter la résistance armée.

Ce choix, plus tactique qu’idéologique, pourrait amener le FPLP, le FDLP et même le Djihad islamique, qui ne souhaite pas s’isoler, à entrer dans l’arène électorale, s’il ne leur est pas demandé de renoncer à leur opposition à l’accord israélo-palestinien du 13 septembre 1993 et si l’autorité élue dispose de pouvoirs législatifs. La résistance armée est le principal thème des débats agitant Hamas et le Djihad islamique ; elle est au coeur de leur légitimité, car les partisans des deux mouvements ne font aucune distinction entre la dimension politique et la dimension religieuse du djihad.

Pourtant, il existe aussi une crainte de voir se multiplier les affrontements interpalestiniens quand une force de police palestinienne prendra le contrôle des territoires occupés. Les mouvements islamistes tentent donc de séparer l’engagement idéologique en faveur du djihad de son application pratique. Le Djihad islamique cherche depuis longtemps en son sein, à faire une distinction entre fonctions politiques et fonctions militaires, sur le modèle de l’Armée républicaine irlandaise (IRA) et de son aile politique, le Sinn Fein. Son incapacité à y parvenir avait facilité les coups très durs portés contre lui par les services de renseignement israéliens en 1988, dans les premières semaines de l’Intifada.

Cheikh Yassine est, lui, entre credo idéologique et action pratique, également partisan d’une dissociation, comme en témoigne sa proposition de trêve conditionnelle « de dix ou de vingt ans », si Israël acceptait de se retirer des territoires occupés. M. Mohamed Nazzal, représentant de Hamas en Jordanie, remarquait que la trêve avec l’ennemi était « un principe sanctionné par la loi islamique, dépendant des circonstances et de l’accord unanime de la direction ». Cela, poursuivait-il, ne suppose « ni acceptation de la paix ni reconnaissance du droit des juifs en Palestine (6) ».

Pour Hamas comme pour le Djihad islamique, une telle trêve de facto devrait se limiter aux territoires évacués par Israël. L’annonce inattendue, par les brigades Ezzedine-El-Kassam, bras armé de Hamas, d’un cessez-le-feu pour les fêtes de Noël, entre le 23 et le 26 décembre 1993, fut une conséquence de ce débat. Mais, décrétée en fait par un seul groupe des brigades, elle n’avait pas une grande portée. Après une certaine confusion et des démentis, M. Ibrahim Ghosheh, porte-parole officiel du mouvement, a toutefois confirmé l’initiative, qui, dit-il, « réflète notre confiance en nous-mêmes (7) »...

Plus révélateurs ont été les entretiens entre des officiers israéliens et des dirigeants emprisonnés de Hamas à la mi-décembre 1993. Tandis que le général Doron Almog, commandant de la bande de Gaza, affirmait que certains cadres du mouvement préféraient une poursuite de l’occupation israélienne pour pouvoir mener leur résistance armée, M. Mohamed Nazzal insista sur le fait que les militants prisonniers refusaient d’être libérés pour transmettre des propositions israéliennes à leur direction à l’intérieur et à l’extérieur des territoires occupés (8). Les deux parties ont préféré minimiser la portée de discussions concernant surtout l’arrêt de la violence par Hamas. Pourtant, les responsables israéliens auraient également offert à des responsables non emprisonnés de Hamas et du Djihad islamique à Gaza les mêmes facilités que celles dont dispose l’OLP, notamment l’ouverture de bureaux, dans le but de donner une marge de manoeuvre à toutes les formations palestiniennes.

La souplesse actuelle de Hamas n’est ni le signe d’un renoncement à ses principes ni le symptôme de divisions entre « pragmatiques » et « extrémistes », même si celles-ci existent. Les déclarations contradictoires du mouvement qui ont suivi l’accord du 13 septembre 1993 reflètent avant tout les difficultés de la concertation dans une organisation très décentralisée dont les membres du Comité exécutif et du comité consultatif (choura) sont éparpillés dans les territoires occupés ou à l’extérieur. Pèse aussi l’influence de l’internationale des Frères musulmans. Hamas est proche des Frères musulmans égyptiens et libanais et de ceux de Jordanie, qui jouent un rôle important, mais discret, dans la vie parlementaire de ce pays, malgré le soutien du roi Hussein aux négociations de paix. Le mouvement garde aussi de bons contacts avec les pays modérés du Golfe, en dépit de son récent rapprochement avec l’Iran. Il est, en revanche, très critique à l’égard du Front islamique du salut (FIS) algérien, auquel il reproche sa condamnation de la démocratie.

La libération attendue de Cheikh Yassine marquera sans doute le retour dans son fief de Gaza du centre de gravité de Hamas, qui s’était peu à peu déplacé vers Amman à la suite des arrestations et des déportations. Pragmatique et charismatique, Cheik Yassine cherchera avant tout à préserver la puissance du mouvement qu’il a construit. M. Yasser Arafat voit en lui un interlocuteur valable, qu’il peut éventuellement récupérer. Pourtant, comme dirigeant suprême du mouvement, Cheikh Yassine sera contraint de respecter le principe du consensus. Il devra aussi se souvenir que, en dernière analyse, Hamas n’est pas seulement un mouvement nationaliste palestinien, mais qu’il doit aussi rendre des comptes à l’internationale des Frères musulmans, responsable de sa cohésion interne.

(1) Lire Wendy Kristianasen Levitt, « De l’islamisme radic al à la logique nationaliste », Le Monde diplomatique, mai 1993.

(2) Ces résultats font écho aux bons scores de Hamas durant la période qui a suivi l’enlisement de la conférence de Madrid. L’organisation avait alors obtenu entre 35 % et 45 % des voix dans toutes les consultations qu’elle n’avait pas gagnées. Lire Ziad Abu Amr, « Hamas, A Historical and Political Background », Journal of Palestine Studies, no 88, été 1993.

(3) Sondage du Centre de recherches palestinien de Naplouse, le 17 décembre 19 93.

(4) Lire les comptes rendus de la rencontre entre M. Yasser Arafat et M. Selim Zaanoun pour l’OLP et MM. Moussa Abou Marzouk et Ibrahim Ghosheh pour Hamas dans As-Safir, Beyrouth, 2 février 1993.

(5) Al Wasat, Londres, 1er novembre 1993.

(6) Jerusalem Post, 3 novembre 1993 et Al Hayat, Londres, 4 novembre 1993.

(7) Al Hayat, Londres, 8 janvier 1994.

(8) Jerusalem Post, 24 décembre 1993, et Al Hayat, Londres, 22 décembre 1993.

Sources : LE MONDE DIPLOMATIQUE

Posté par Adriana Evangelizt

Publié dans HAMAS

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