Israël, la percée centriste

Publié le par Adriana Evangelizt

Israël : la percée centriste

par Sylvain Cypel

En Israël, on les surnomme "les princes". Ehoud Olmert, Tzipi Livni, Dan Meridor, Tsahi Hanegbi, Ouzi Landau... Tous sont ou ont été ministres de la droite au pouvoir. Tous sont des enfants d'anciens hauts responsables de l'Irgoun et du groupe Stern, ces formations ultranationalistes qualifiées de "terroristes" par les Britanniques dans les années 1930-1940, qui ont activement pris part à la lutte pour la création d'Israël et à l'expulsion des Palestiniens en 1948. Elles ont, ensuite, fourni les cadres de la "droite nationale" qui, depuis 1977, a dirigé l'Etat juif les deux tiers du temps.

Tous issus de la même matrice idéologique ultranationaliste. Olmert, Livni, Landau, Meridor ou Hanegbi ont été des adeptes du "Grand Israël" et des adversaires acharnés de la création d'un Etat palestinien. Tous s'étaient opposés à l'accord d'Oslo (1993) de "reconnaissance mutuelle" entre leur pays et l'Organisation de libération de la Palestine (OLP). Désormais, seul Landau reste arc-bouté sur le refus du partage d'Eretz Israel, la "terre d'Israël". Les autres ont soutenu le retrait de Gaza et quitté le Likoud pour, derrière Ariel Sharon, créer Kadima.

Or ce nouveau parti "centriste", qui se prépare à remporter les élections législatives du 28 mars, prône, dans sa plate-forme, l'instauration, dans un futur indéterminé, d'un "Etat palestinien".

GAULLISME ET PÉRONISME...

Proche, depuis sa jeunesse, du premier ministre par intérim Ehoud Olmert, M. Meridor, ancien ministre (de la justice et de l'économie, entre autres), a tourné casaque il y a quelques années déjà. Ainsi théorise-t-il le récent basculement collectif des "princes" : "la réalité a infirmé nos ambitions. Le sionisme, c'était la terre d'Israël pour les juifs, et pour eux seuls, plus la démocratie. Imaginons que les Palestiniens capitulent et disent : "Vous avez gagné, toute cette terre est à vous." Que fait-on ? On leur donne l'égalité des droits ? C'est ça, la démocratie... Or, ce jour-là, Israël disparaît comme Etat juif. On ne peut gagner une guerre que l'on n'a pas intérêt à gagner !"

Avec la seconde Intifada, les autres "princes" sont progressivement parvenus, à leur corps défendant, à la même conclusion. Ils l'ont fait, selon Mina Tsemakh, qui dirige l'institut de sondages Dahaf, parce que la société les y a poussés. La première Intifada (1987-1993) avait mené les Israéliens à admettre la légitimité de l'OLP. Lors de la seconde (2000-2005), l'opinion "s'est convaincue, dit Mme Tsemakh, qu'il est impossible de s'en sortir uniquement par la force face aux Palestiniens. Et que mieux vaut avoir un petit appartement à soi qu'une maison commune avec un cousin difficile."

Chroniqueur du quotidien de référence Haaretz, Akiva Eldar abonde : "La pensée du Likoud, c'est : si ça ne marche pas par la force, ça marchera avec encore plus de force. Sharon l'a mise en oeuvre jusqu'à ce que les gens perçoivent que cette vision était un leurre." Kadima est issu de ce constat d'impuissance. Début janvier, un sondage faisait apparaître que 49 % des Israéliens seraient disposés à partager la souveraineté sur Jérusalem - une idée hier encore absolument taboue.

Kadima, estime Mme Tsemakh, traduit cette évolution. La gauche est perçue comme ayant "échoué" avec le processus d'Oslo (1993-2000) ; la droite de même dans la seconde Intifada. Restait l'option médiane : "L'acceptation de concessions, mais à notre initiative et pas trop coûteuses, note-t-elle. Les gens se disaient que Sharon n'était pas un idéologue, mais qu'il ne ferait aucune concession majeure pour la sécurité. Et qu'un tel homme saurait tenir face aux pressions américaines."

Et sans lui, maintenant ? Seul M. Sharon pouvait coaliser des politiques issus de la droite la plus dure, comme les ministres Gideon Ezra ou Tsahi Hanegbi, et des travaillistes tels Shimon Pérès ou Haïm Ramon. Ce dernier, ex-syndicaliste qui a dirigé la Sécurité sociale, se retrouve maintenant, au sein de Kadima, avec l'ancien "likoudnik" Avraham Hirschsohn, ultralibéral patron de l'assurance-maladie privée concurrente.

Certains, en Israël, font l'analogie entre Kadima et le gaullisme de 1958, coalisant des gens aussi éloignés que René Capitant et Michel Debré. L'historien Tom Segev et Yossi Beilin, l'initiateur israélien du pacte de paix de Genève, évoquent, eux, "le péronisme" : un parti disparate ratissant large, émergeant en situation de grande confusion avec quelques idées-forces peu détaillées et entièrement au service d'un "homme fort".

Kadima, dit M. Beilin, "c'est le parti du flou absolu, du "vous êtes perdus, alors faites-moi confiance"". Or Ariel Sharon n'est plus là. Pourtant, Kadima maintient son emprise sur l'opinion.

"PAS DE RISQUE D'EXPLOSION"

Fait marquant, la victoire du Hamas aux élections palestiniennes n'a pas modifié l'état de l'opinion ni renforcé les partisans de la seule manière forte. Donné vainqueur avec 44 sièges il y a six semaines, le nouveau parti centriste obtiendrait, selon les sondages, quelque 40 élus, soit le tiers de la Knesset (120 députés). Et, pour le moment, le soupçon d'enrichissement personnel de M. Olmert dans une opération immobilière ne semble pas porter gravement préjudice au parti.

"Il n'y a pas de risque d'explosion de Kadima sans Sharon, parce que les vieux partis, Likoud et travaillistes, sont discrédités : trop de bureaucrates, d'arrivistes, de corruption", clame Avigdor Ytzhaki, l'homme de l'appareil du nouveau parti.

Les commentateurs soulignent que les nombreux transfuges qui ont rejoint Kadima, malgré les dissensions déjà apparues, sont "obligés de s'entendre", du moins pour la conquête du pouvoir. Surtout, note M. Meridor, "Kadima comble un vide. Avant, la politique israélienne se divisait entre faucons et colombes. Les deux ayant échoué, le centre ne disparaîtra pas comme lors des tentatives précédentes".

Mais où ira-t-il s'il accède au pouvoir ? M. Ytzhaki, issu du Likoud, est catégorique : "Les années à venir seront cruciales. L'objectif est de fixer les frontières définitives d'Israël et de l'Etat palestinien. Il faudrait y parvenir dès la première législature" - soit d'ici à 2010.

Transfuge du parti populiste antireligieux Shinouï, Uriel Reichmann, le "stratège" de Kadima, voit les choses différemment. "L'Etat palestinien sera un long processus, estime-t-il. Il faudra d'abord instaurer le maximum de séparation et l'arrêt de toute violence. Puis parvenir à un accord intérimaire. A cette étape, l'Etat palestinien existera, mais les grandes questions - Jérusalem, les réfugiés - ne seront pas même discutées. Après quelques années, si la phase intérimaire a été bien contrôlée, s'engagera la négociation sur des frontières définitives entre les deux Etats."

Telle était, du moins, sa vision à la veille du succès du Hamas. Depuis, officiellement, il n'est pas question pour Kadima de négocier un jour avec des islamistes. Mais, dans les tiroirs du parti, divers "plans" de futurs "retraits unilatéraux" de zones densément peuplées de Palestiniens en Cisjordanie sont à l'étude, parallèlement au renforcement de la présence israélienne entre les zones évacuées et dans la vallée du Jourdain - aboutissement de la politique "unilatérale" de "cantonnement" des Palestiniens, actuellement menée au quotidien sans susciter le moindre écho à l'échelon international. Les électeurs, pronostique l'historien Zeev Sternhell dans Haaretz du 24 février, "découvriront bientôt qu'ils ont atterri dans le même vieux Likoud, seulement un peu plus civilisé que l'original".

M. Reichmann a, dans l'immédiat, d'autres préoccupations. "Nous gagnerons les élections. M. Olmert sera premier ministre, et moi ministre de l'éducation", annonce-t-il. A Kadima, on se partage déjà les fauteuils ministériels.

Sources : LE MONDE

Posté par Adriana Evangelizt

Publié dans ARIEL SHARON

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article