A cause d'un petit clou par Uri Avnery

Publié le par Adriana Evangelizt

A cause d’un petit clou


par Uri Avnery

Si Hamlet avait été réserviste dans l’armée israélienne, aujourd’hui il pourrait -dire : « Il y a quelque chose de pourri dans l’Etat d’Israël ! »

 
Et, en effet, quelque chose est pourri.

- Le Président de l’Etat refuse de se retirer, face à huit accusations individuelles de harcèlement sexuel. Il dénonce une monstrueuse conspiration contre lui et montre du doigt des hommes de Netanyahou au Likoud.

- Le Premier ministre et le ministre de la Défense refusent de démissionner en dépit du fait que l’écrasante majorité des gens ont exprimé leur manque de confiance en Ehoud Olmert (70%) et en Amir Peretz (82%). Au lieu d’accepter l’établissement d’une commission d’enquête judiciaire indépendante, ils ont mis en place un comité d’examen qui a déjà perdu la confiance de la majorité des citoyens - avant même d’avoir commencé ses investigations sur la guerre du Liban.

- Le chef d’état-major, face aux attaques de généraux à la retraite et en exercice, déclare qu’il « n’enlèvera son uniforme que si quelqu’un le lui arrache. »

- Le président de la commission des Affaires étrangères et des Affaires militaires de la Knesset est mis en examen pour fraude et coups et blessures.

- Le ministre de la Justice est en procès pour avoir mis sa langue dans la bouche d’une femme soldat.

D’après les sondages, l’énorme majorité de la population est satisfaite de sa situation personnelle (80%) mais déprime sur la situation de l’Etat (59%).

Alors, que faire ?

C’est simple : il faut juste changer le système.

C’EST une réaction typiquement israélienne. Peut-être typiquement humaine.

Quand une crise menace de mettre en cause ce à quoi nous croyons, nous avons tendance à mettre de côté les objectifs principaux et à concentrer notre attention sur des détails. Ainsi nous sommes dispensés de nous poser des questions sur nos croyances fondamentales et sur la vision du monde à laquelle nous sommes habitués. Nous prenons un détail, aussi petit que possible, et l’accusons de tout. C’est lui ! On l’a trouvé ! C’est de sa faute !

Comme le dit la vieille chanson : « Tout cela à cause d’un petit clou ! » Car quand un désastre majeur se produit, nous trouvons le petit clou qui l’a provoqué, et nous n’avons pas besoin de regarder plus loin.

Par exemple : la guerre du Kippour. Pourquoi en fait cette guerre sanglante a-t-elle éclaté ? Pourquoi n’avons-nous pas accepté plus tôt l’offre de paix du Président Sadate en échange d’un retrait du Sinaï ? Pourquoi notre vaisseau de fous a-t-il navigué allègrement de la guerre des Six-Jours à la guerre du Kippour sur une mer d’arrogance ?

Non, ces questions n’ont pas été posées. Mais qu’a-t-on demandé ? Des choses comme : Pourquoi nos services de renseignement militaires ne nous ont-ils pas prévenus que les Egyptiens et les Syriens étaient prêts à nous attaquer ? Pourquoi nos unités de réservistes n’ont-elles pas été appelées en temps voulu ? Pourquoi les « instruments » (chars et artillerie) n’avaient-ils pas été déployés sur le canal ?

On appelle cela « l’omission ». C’était le slogan du mouvement protestataire de masse qui a éclaté et a balayé Golda Meir et Moshe Dayan.

C’est comme si on vidait le cendrier quand une voiture tombe en panne. Aujourd’hui c’est quelque chose de ce genre qui se passe.

LES SONDAGES montrent que l’opinion publique n’a pas confiance dans les dirigeants. Mais les gens ne disent pas : Nous avons voté pour ces dirigeants, donc nous devons nous en prendre à nous-mêmes. Ce serait un constat désagréable. Ce qu’ils disent, c’est : Ce n’est pas notre faute. Alors qui accuser ? Le système, bien sûr.

C’est parce que notre démocratie parlementaire ne garantit pas un exercice complet de quatre ans au Premier ministre. Il peut tomber avant l’échéance. Cela l’oblige à inclure dans son gouvernement des dirigeants de partis de coalition, même s’ils sont totalement incapables de diriger leurs ministères. Le Premier ministre ne peut pas concevoir une politique à long terme, ni mettre des experts compétents à la tête des ministères.

C’est très mauvais. Donc, nous devons adopter le système américain. Les gens éliront un Président, qui restera au pouvoir au moins quatre années pleines. Il choisira un conseil des ministres composé de personnalités saillantes, chacune experte dans son domaine de compétence. Ainsi, Sion sera rachetée.

C’EST le plus pur remède de charlatan - un flacon pour soigner toutes les maladies, sans douleur et rapidement.

Tout d’abord, on ne peut tout simplement pas transposer un système politique d’un pays à un autre. Chaque Etat a sa propre tradition, sa culture, son organisation sociale. Un système politique doit en être issu. Il ne peut pas être imposé à un autre peuple. Quand on essaie de le faire, la société l’adapte à ses propres nécessités et le change tellement qu’il devient méconnaissable. (On pense au Japon après la seconde guerre mondiale). Seul un professeur hors du coup, dans sa tour d’ivoire, pourrait imaginer que les maux d’une société peuvent être soignés par un système politique idéal copié sur un autre pays.

Cela a déjà été prouvé en Israël : sous l’influence de certains professeurs, notre « système » a été changé il y a quelques années. Il avait été décidé que le Premier ministre serait élu directement, indépendamment des élections législatives. Mais il est vite devenu évident que ce système était pire que le précédent. Aussi les Sages ont pris des conseils et ont tout changé de nouveau.

Mais nous n’avons pas besoin de traverser cette expérience nous-mêmes. Pour apprécier les avantages du système présidentiel, il suffit de regarder la situation dans le pays où il est né, les Etats-Unis.

Qu’est-ce que ce système y a apporté ? Certes, le Président a au moins quatre années pleines devant lui, mais beaucoup ajouteraient « hélas ! » Quand on découvre qu’un véritable idiot a été élu et entraîne son pays dans des aventures désastreuses, il ne peut être remplacé. Dans notre système parlementaire, comme au Royaume-Uni, un Premier ministre peut être remplacé avec la même facilité. Tony Blair sera parti dans un an, tandis que George Bush ira jusqu’à la fin de son mandat.

Les ministres américains sont-ils plus compétents que les nôtres ? Donald Rumsfeld est-il moins catastrophique qu’Amir Peretz ?

De surcroît, pour être élu président, un candidat a besoin d’énormes sommes d’argent. Tout cet argent ne peut pas venir simplement des groupes d’intérêts, des lobbys et des grandes entreprises. Le système américain est corrompu jusqu’à l’os - une corruption si profonde et si vaste qu’elle fait paraître innocents les péchés d’Olmert & Co.

MAIS LA LOGIQUE n’est pas la clé de cette discussion, parce que la demande d’un changement de système sert de couverture à quelque chose de beaucoup plus sinistre : l’appel à un Chef.

De tels appels arrivent toujours en temps de crise. Quand il existe un sentiment de défaite et un climat de défiance à l’égard de la vieille direction, les gens aspirent à un père fort. La démocratie semble faible et pourrie, en particulier quand elle est confrontée à l’affirmation que les hommes politiques ont « empêché l’armée de gagner ». Un chef fort résoud les problème d’une poigne de fer. Une politique de dialogue et d’accords est bonne pour les mauviettes.

Que ce soit clair : la proposition d’adopter le système présidentiel n’est rien d’autre qu’un appel déguisé à un dirigeant tout puissant. Il suffit de regarder ceux qui la font.

L’avocat le plus éminent du « changement de système » est Avigdor Liberman, le dirigeant du parti « Israël notre foyer », composé principalement d’immigrés de l’ancienne Union soviétique. C’est un parti de la droite radicale - pour employer un euphémisme. Dans d’autres pays, on pourrait leur donner un autre nom.

« Israël notre foyer » prône un nationalisme effréné et la xénophobie. Il est plus radical que Joerg Haider en Autriche et Jean-Marie Le Pen en France. Il demande le départ des Palestiniens du pays, y compris les citoyens arabes d’Israël même qui constituent 20% de la population. Cela n’empêche pas Ehud Olmert de déclarer publiquement qu’il aimerait avoir ce parti dans son gouvernement. (Quand Haider a rejoint le gouvernement autrichien, Israël a rappelé son ambassadeur à Vienne.)

Liberman, qui veut être ministre de la Défense, a posé cinq conditions pour entrer au gouvernement, en premier la demande de l’adoption du système présidentiel. Il est tout à fait clair que son candidat au poste de président est : Avigdor Liberman..

Les sondages disent que, si les élections avaient lieu aujourd’hui, le parti de Liberman obtiendrait 16 sièges dans la Knesset qui en comprend 120. (11 sièges dans l’actuelle assemblée). A cela il faut ajouter les neuf sièges occupés dans l’actuelle Knesset par « l’Union nationale », dont le dirigeant, un général coiffé de la kippa tricotée, demande publiquement l’expulsion de tous les Arabes des territoires palestiniens occupés et le retrait des droits démocratiques aux citoyens arabes d’Israël même. Quand de tels partis représentent un cinquième des électeurs, il y a vraiment de quoi s’inquiéter.

JE CROIS en la démocratie israélienne. C’est un phénomène incroyable si l’on considère d’où viennent la plupart des citoyens israéliens ou leurs parents : de la Russie tsariste et communiste, de la Pologne de Pilsudsky et ses héritiers, du Maroc, d’Irak, d’Iran et de Syrie - en plus de ceux nés en Palestine coloniale sous administration du haut commissaire britannique. Comme la résurrection de la langue hébraïque qui n’a pas d’équivalent dans le monde, cette démocratie est un miracle. (Il s’agit bien sûr de la démocratie en Israël même. Dans les territoires occupés la situation est tout à fait différente.)

Je ne crois pas qu’il y ait un réel danger de fascisme pour le moment. Mais nous devons être sur nos gardes, tous les jours et toutes les heures. Plusieurs facteurs peuvent faire naître des tendances fascistes en Israël : le sentiment de défaite dans la guerre, la légende du « coup de poignard dans le dos de l’armée », le manque de confiance dans le système démocratique, le fossé grandissant entre riches et pauvres, l’incitation contre la minorité nationale dénoncée comme une Cinquième Colonne.

C’est plus qu’un petit clou.

Publié en hébreu et en anglais sur le site de Gush Shalom le 1er octobre 2006 - Traduit de l’anglais « Because of a Small Nail » : RM/SW



Sources : France Palestine

Posté par Adriana Evangelizt

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