Sabra et Chatila, retour sur un massacre
Voilà un article pour le dénommé John qui se permet un commentaire du style :
"pour votre gouverne les massacres de sabra et chatila ont été perpetré par les phalanges chrétiennes libanaise et votre source n'est autre que le mouvement d'un humoriste reconverti en provocater sympathisant du FN. Votre absence de rigueur dans les liens que vous proposez qui allient manipilation photographique et appel à la haine la plus primaire permet de vous qualifier assurément comme des ennemis de la paix au Proche-Orient et comme des soutiens au régimes les plus abjects."
Ah vous avez belle mine de nous faire la morale ! Oui. Assurément... comme vous dites si bien. Nous n'avons pas attendu votre cher humoriste pour savoir la vérité sur les crimes commis par les marionnettes du Sionisme. Et depuis 1947, la liste est longue. Le problème avec des gens comme vous, les sionistes, c'est que même lorsque l'on vous met la vérité sous le nez, vous niez. Vous inventez. Vous mentez toujours davantage. Vous refaites votre histoire mensongère sur le crime et le sang. Tous les prétextes sont bons pour tuer du palestinien. Pour casser ceux qui disent la Vérité et qui prennent leur défense. Vous perdez votre temps. Car nous sommes Juifs antisionistes et que tous nos blogs sur le net n'ont qu'un seul but, réhabiliter la Vérité dont vous êtes les ennemis. Tout comme vous avez belle mine de parler du FN quand on sait que la ligue de Défense Juive est aussi allé serrer la pogne à Le Pen... et qu'un nazi est nommé Lieberman est au pouvoir en Israël... qui se ressemble s'assemble ! Pour notre part, nous sommes fiers de ne rien avoir à faire avec des individus de cet acabit. Lisez donc l'article ci-dessous, et vous verrez bien que Sabra et Chatila c'est l'oeuvre des phalanges libanaises qui oeuvraient avec Sharon. Mais vous le savez, va ! Le plus dur étant bien sûr de reconnaître ses crimes. Nous tenons à signaler que cet article date de 2002 mais que rien n'a changé...
Sabra et Chatila, retour sur un massacre
Par Pierre Péan
Journaliste et écrivain. Auteur, entre autres, de : Dernières volontés, derniers combats, dernières souffrances, Plon, Paris, 2002, Manipulations africaines, Plon, 2001, Vies et morts de Jean Moulin, Fayard, Paris, 1998, et La Diabolique de Caluire, Fayard, 1999
Dans les territoires de Cisjordanie et de Gaza, l’armée israélienne poursuit sa politique d’occupation, de blocus des villes, de destruction des institutions civiles, de chasse aux militants, d’assassinats ciblés. Pour la première fois, elle a reconnu qu’elle utilisait des « boucliers humains » dans ses opérations, un crime de guerre selon les conventions internationales. C’est un long calvaire qui se poursuit ainsi. Le massacre de Sabra et Chatila perpétré il y a vingt ans, en septembre 1982, qui vit l’assassinat de centaines de civils dans les camps du Liban par les milices libanaises de droite, sous l’oeil complice des soldats israéliens, est vécu par les Palestiniens comme une étape supplémentaire dans une histoire ponctuée de massacres et d’exactions, de Deir Yassine à l’opération « Rempart », en passant par Qibya. Pour eux, le passé, c’est encore le présent.
Vingt ans après, les mots des livres réouverts (1), comme les paroles recueillies auprès des survivants dans ce qui reste des camps de Sabra et Chatila dégoulinent de sang. Le temps n’a rien lavé. Tout au long de mon enquête, j’ai été tétanisé par ces récits qui charrient, enchevêtrés, enfants égorgés ou empalés, ventres de femmes ouverts avec leurs foetus, têtes et membres coupés à la hache, monceaux de cadavres... Jusqu’à la nausée.
Je ne suis pas entré dans ce qui reste des camps de Sabra et Chatila par la porte principale, mais par un quartier insalubre, en périphérie, dans lequel vivent les nouveaux arrivants, notamment d’Asie. Je débouche sur la « grande rue » qui reliait l’hôpital Gaza - aujourd’hui disparu - à l’entrée principale située près de l’ambassade du Koweït, au luxe aussi incongru que celui de la nouvelle Cité sportive toute proche, où étaient regroupés et interrogés les adultes palestiniens et libanais ayant échappé au massacre. Les gens s’y faufilent entre les boutiques, les étals de marchands de fruits, de CD, de produits neufs et usagés, entre les voitures et les scooters...
Comment choisir entre tous les témoins directs ou indirects des massacres qui, sans hausser la voix, font revivre pour moi les scènes d’horreur de la mi-septembre 1982 ?
Mme Oum Chawki, 52 ans, a perdu dix-sept personnes de sa famille, dont un fils de 12 ans et son mari. Elle habitait dans le quartier de Bir Hassan, près de l’ambassade du Koweït. Après les massacres, elle s’est installée, avec ses douze enfants restants, dans la rue principale de Chatila. Elle vit au quatrième étage d’un bâtiment construit selon des règles d’architecture approximatives. L’intérieur est propre, des bouquets de fleurs artificielles complètent les couleurs des fauteuils et des reproductions collées ou accrochées au mur - Al Qods (Jérusalem) et le drapeau du Hamas. Même si elle n’appartient pas à cette organisation : « Je n’adhère à rien. Je ne m’engagerai que lorsque je serais sûre du résultat. » Et ses enfants ? « Je ne veux pas qu’ils se sacrifient pour rien, mais le jour où je serai sûre d’assouvir ma vengeance, je les encouragerai et je serai avec eux... »
Chaque jour et chaque nuit, elle revoit les images de cadavres, de gens mutilés, de son fils et de son mari qu’elle n’a jamais revus et dont elle ne sait rien. Les couleurs du salon n’arrivent pas à atténuer le noir de sa robe, de ses cheveux et de ses yeux. Mme Oum Chawki ne sourit pas et s’enflamme sans élever la voix quand elle revit la deuxième tragédie de sa famille (la première ayant été le départ en 1948 de Tarshiha, un village près de Haïfa).
- On a frappé à la porte de la maison. Quelqu’un a dit : « Nous sommes libanais, nous venons faire une perquisition pour chercher des armes... » Mon mari a ouvert la porte, pas spécialement inquiet, car il n’appartenait à aucune organisation combattante. Il travaillait au club de golf, près de l’aéroport.
Mme Chawki parle ensuite des trois soldats israéliens et d’un militaire des Forces libanaises, les milices chrétiennes de droite, qui sont entrés dans la maison, ont pris les bracelets de sa fille et arraché ses boucles d’oreille - elle montre le lobe déchiré d’une de ses oreilles - et les ont frappés.
Elle est certaine que ces soldats venaient d’Israël.
- Leurs uniformes étaient différents de ceux des Forces libanaises et ils ne parlaient pas en arabe. Je ne sais pas si c’était de l’hébreu, mais je suis sûre que c’étaient des Israéliens.
Ce n’est pas impossible, car le quartier de Bir Hassan, hors du périmètre des camps, était occupé par l’armée israélienne. Comme d’autres familles palestiniennes, celle d’Oum Chawki avait été transportée à l’intérieur des camps.
- On nous a fait monter dans une camionnette, qui a roulé vers l’entrée du camp de Chatila. Les militaires ont séparé les hommes des femmes et des enfants. Le Libanais a pris les papiers de trois de nos cousins avant de les abattre devant nous. Mon mari, mon fils et d’autres cousins ont été emmenés par les Israéliens.
Les femmes et les enfants sont partis à pied vers la Cité sportive. Sur le bord de la route, des femmes criaient, pleuraient, affirmant que tous les hommes avaient été tués... Le soir, dans la pagaille, Mme Chawki s’est enfuie avec ses enfants vers le quartier de la caserne El Hélou. Au petit matin, elle a laissé ses enfants dans une école avant de repartir à pied vers la Cité sportive pour s’enquérir du sort de son mari et de son fils. Elle n’a pas pu parler à l’un des officiers israéliens présents. Elle a entendu des ordres donnés en arabe pour que les hommes fassent tamponner leurs cartes d’identité, et vu un camion israélien plein d’adultes et de jeunes gens. Une femme en sanglots, qui a perdu toute sa famille, lui a montré l’endroit où étaient déversés les cadavres. Les deux femmes ont alors marché vers le quartier d’Orsal et enjambé des morts libanais, syriens et palestiniens. Mme Chawki dit en avoir vu des centaines. C’est effectivement le quartier d’Orsal qui a compté le plus de victimes.
- Ils étaient méconnaissables. Visages déformés, gonflés... J’ai vu vingt-huit corps d’une même famille libanaise, dont deux femmes éventrées... J’essayais de repérer les vêtements de mon fils et de mon mari. J’ai cherché toute la journée. Je suis revenue encore le lendemain... Je n’ai reconnu aucun cadavre de gens de Bir Hassan.
Mme Chawki a vu des soldats libanais creuser des fosses pour y pousser les cadavres... Elle n’a jamais retrouvé ceux de son mari et de son fils. Elle aborde plus difficilement le cas de sa fille qui a été violée...
- Je pense à tout cela nuit et jour. J’ai élevé seule mes enfants... J’ai été obligée de mendier. Je n’oublierai jamais. Je veux venger tout cela. Mon coeur est comme la couleur de ma robe. Je transmettrai ce que j’ai vu à mes enfants, à mes petits-enfants...
Après avoir circulé dans un incroyable dédale de toutes petites ruelles, où pendent partout des fils électriques, où courent au sol des canalisations d’eau, j’arrive enfin dans un local de trois ou quatre bureaux. Dans l’un d’eux, tout au fond, Mme Siham Balkis, présidente de l’Association du retour, est assise, droite, derrière un petit bureau. Egalement assis autour de la pièce, un responsable palestinien et deux autres survivants. Mme Balkis, la quarantaine, est une militante engagée et déterminée. Sa famille est originaire de Kabé, dans la province d’Akka, en Israël. Elle commence son récit recto tono.
- Le massacre a commencé le jeudi soir vers 17 h 30. Nous n’y avons pas cru... Nous sommes restés à l’intérieur de notre maison jusqu’au samedi matin et n’avons pas su grand-chose, sinon que, jeudi et vendredi, un petit groupe de Palestiniens et de Libanais ont essayé de se défendre, mais ils n’étaient pas assez nombreux et n’avaient pas assez de munitions. Nous avons vu, la nuit, des fusées éclairantes et entendu des coups de feu. Nous croyions que les Israéliens voulaient seulement s’en prendre aux combattants et trouver leurs armes... Quand tout est redevenu calme, le samedi matin, nous sommes montés sur le balcon et avons aperçu un groupe des Forces libanaises (FL) accompagné d’un officier israélien. Les Libanais nous ont crié de sortir. Ce que nous avons fait, sous les injures. L’Israélien avait un talkie-walkie. Un des Libanais le lui a pris et a dit : « Nous sommes arrivés à la fin de la zone cible. »
Mme Balkis est sûre qu’il s’agissait d’un Israélien car, dit-elle, il avait un badge en hébreu et n’avait pas un visage d’arabe. Il parlait avec les Libanais en français.
Avec d’autres elle a été emmenée vers l’hôpital Gaza. Leurs accompagnateurs ont rassemblé les médecins étrangers et les gens qui s’étaient abrités dans et autour de l’hôpital.
- Ils ont tué une dizaine de combattants. Ils ont repéré un jeune Palestinien qui avait revêtu une blouse blanche au milieu des médecins et infirmiers et ils l’ont tué. Quand tout le monde a été rassemblé - des centaines de personnes -, nous sommes partis vers l’ambassade du Koweït. Il y avait beaucoup de cadavres dans les rues. Des jeunes filles avec les poings liés. Des maisons détruites. Des chars, probablement israéliens. Les restes d’un bébé incrustés dans les chenilles de l’un d’entre eux. Avant d’arriver à la Cité sportive, les hommes ont été séparés. Des militaires demandaient aux jeunes gens de ramper. Ceux qui rampaient bien étaient considérés comme des combattants et abattus par des militaires des Forces libanaises. Les autres recevaient des coups de pied... J’ai vu Saad Haddad (2) avec d’autres devant l’ambassade du Koweït. Puis, en arrivant près de la Cité sportive, un grand nombre de soldats israéliens. Un colonel israélien a dit que les femmes et les enfants pouvaient rentrer chez eux. Plus tard, j’ai aperçu mon frère monter dans une Jeep alors que d’autres montaient dans des camions. J’ai couru vers lui. En vain. J’ai entendu un officier dire en arabe : « On va vous livrer aux FL. Ils sauront mieux vous faire parler que nous. »
Tous les témoins racontent grosso modo les mêmes histoires, les mêmes horreurs. J’ai ainsi rencontré Mme Kemla Mhanna, une épicière libanaise du quartier Orsal :
- Tous les gens de notre quartier qui sont restés ont été assassinés. En majorité des Libanais. Quand je suis revenue, un monceau de corps étaient empilés. A côté de chez moi, un Palestinien était accroché à un croc de boucher, découpé en deux comme un mouton. J’ai vu comment, dans la grande fosse, on a déposé une première couche de cadavres sur laquelle on a étalé du sable, puis on a remis une couche de cadavres et ainsi de suite... J’ai vu aussi un autre Libanais du quartier Orsal, Hamad Chamas, un des rares survivants du massacre de ce quartier. Il était dans un abri quand sont arrivés deux Israéliens dans une Jeep et sept ou huit soldats. Je suis sûre que ces soldats étaient israéliens car il portaient des uniformes israéliens et ne parlaient pas un arabe correct. Les soldats nous ont demandé de sortir de l’abri en nous injuriant. Ils m’ont donné l’ordre de déposer l’enfant que j’avais dans les bras et de me mettre en rang avec les autres. L’un d’entre eux, qui parlait bien arabe, a fouillé tout le monde et a pris l’argent d’un des hommes, puis ils ont tous tiré sur nous. J’étais seulement blessée à la tête et à la cuisse, sous une pile de cadavres. Il y a eu vingt-trois morts... Je me suis cachée dans un abri toute la nuit. Au petit matin, il y avait une forte odeur de cadavres partout.
Rien de nouveau dans ces témoignages. Ils ressemblent à ceux que Mme Leïla Shahid, déléguée générale de la Palestine en France, une des premières à visiter les camps après les massacres, a recueillis seule ou avec Jean Genet. Ils sont - aux accidents de la mémoire près - également conformes à ceux des membres (anglais, norvégiens, suédois, finlandais, allemands, irlandais et américains) de l’équipe médicale de l’hôpital Gaza et à ceux qu’ont enregistrés de nombreux journalistes après les massacres.
Elias Khoury, écrivain libanais et homme de théâtre renommé (3), raconte avec passion le combat impossible pour la mémoire du peuple palestinien en général et pour les massacres de Sabra et Chatila en particulier.
- La loi de la mémoire ne fonctionne pas chez les Palestiniens, car les massacres continuent : Deir Yassine, Qibya (4), Sabra et Chatila, et aujourd’hui Jénine. Il leur est impossible de regarder le passé puisque le passé, c’est encore le présent. Ils sont depuis 1948 dans un mécanisme infernal... Les Palestiniens sont victimes de l’instrumentalisation de la Shoah par le gouvernement israélien. Les normes éthiques s’arrêtent aux frontières d’Israël. Dans ce contexte, l’idée même de la tragédie de Sabra et Chatila devient marginale...
D’autant qu’au Liban la question est taboue : le premier accusé était Elie Hobeika (5), qui a été ministre du gouvernement...
- Les criminels ont pris le pouvoir après la guerre, poursuit Elias Khoury. De plus, les Palestiniens sont devenus les boucs émissaires de la guerre au Liban et ils sont régis dans ce pays par des lois qui n’ont rien à envier à celles de Vichy à l’égard des juifs. Même les chiffres de morts et de disparus demeurent dans le plus grand flou. Ils varient, selon les estimations, de 500 à 5 000. Une historienne, Mme Bayan Hout, essaie depuis vingt ans de combler cette lacune. Née à Jérusalem, où elle a vécu jusqu’à l’âge de 9 ans, professeure à l’université de Beyrouth, cette Libanaise a fait un travail de fourmi auprès des familles des victimes et disparus, analysé des centaines de questionnaires, croisé les listes des organisations humanitaires, de la Croix-Rouge, essayé de retrouver tous les cimetières... Elle est maintenant sûre de ses chiffres : 906 tués de 12 nationalités, dont la moitié de Palestiniens... et 484 disparus, dont 100 ont été sûrement enlevés. Soit un chiffre global de 1 490 victimes identifiées.
Ces massacres et ces disparitions s’inscrivent dans le contexte de la guerre lancée par le gouvernement israélien le 6 juin 1982 pour obtenir la neutralisation de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). L’invasion du Liban a coûté la vie à plus de 12 000 civils, fait quelque 30 000 blessés et a laissé 200 000 personnes sans abri.
Mi-juin 1982, les Israéliens ont commencé le siège de Beyrouth et encerclé les 15 000 combattants de l’OLP et de ses alliés libanais et syriens. Le président des Etats-Unis, M. Ronald Reagan, a envoyé, début juillet, M. Philip Habib - assisté de M. Morris Draper - pour résoudre cette crise risquant d’embraser le Proche-Orient et de menacer les intérêts américains. Il s’avère rapidement que le règlement de la crise passe par le départ des combattants palestiniens et de M. Yasser Arafat de Beyrouth. Ce dernier est bientôt convaincu qu’il n’a pas d’autre solution.
Les négociations vont être compliquées parce que les Israéliens et les Américains ne veulent pas discuter directement avec les Palestiniens (6) : Elias Sarkis, le président chrétien du Liban, et son premier ministre sunnite, Chafiq Wazzan, vont servir d’intermédiaires. Parce que les Israéliens vont poursuivre une pression militaire brutale et exiger de M. Arafat une reddition totale et honteuse.
Celui-ci multiplie les offres et cherche à obtenir des garanties de sécurité pour les familles palestiniennes qui resteront au Liban. Il craint les exactions des soldats israéliens ou de leurs alliés phalangistes. Pour M. Arafat, ces garanties ne peuvent être qu’américaines et internationales.
M. Habib obtient finalement l’assurance du premier ministre israélien que ses soldats n’entreront pas dans Beyrouth-Ouest et ne s’attaqueront pas aux Palestiniens des camps ; l’assurance du futur président libanais, Béchir Gemayel, que les phalangistes ne bougeront pas ; l’assurance du Pentagone que les marines seront les garants ultimes de ces engagements. Fort de ces promesses, le représentant de M. Reagan s’engage par écrit sur la sécurité des civils. Deux lettres sont ainsi adressées au premier ministre libanais. Cet engagement américain se retrouvera dans la quatrième clause de l’accord du départ de l’OLP, publié par les Etats-Unis le 20 août, c’est-à-dire à la veille de l’embarquement des premiers combattants palestiniens (7).
Pourtant, M. Arafat est de plus en plus inquiet du sort des civils palestiniens. M. Habib (8) entreprend une nouvelle démarche auprès de Béchir Gemayel, qui renouvelle ses promesses. Il insiste sur le rôle de la force multinationale composée de 800 Français, 500 Italiens et 800 Américains. Le premier contingent - français - arrive le 21 août et doit assurer l’évacuation et la collecte des armes. Cette force doit rester une trentaine de jours, empêcher tout dérapage et protéger les familles palestiniennes. Finalement, M. Arafat accepte de quitter Beyrouth...
Mais personne ne respectera sa parole. A commencer par le gouvernement américain. M. Caspar Weinberger, secrétaire à la défense, donnera l’ordre à ses marines de quitter le Liban alors même que les milices chrétiennes prennent position, le 3 septembre, dans le quartier Bir Hassan, en bordure des camps de Sabra et Chatila. Le départ des Américains entraîne automatiquement celui des Français et des Italiens. Le 10 septembre, le dernier soldat est parti de Beyrouth, alors que M. Habib avait fondé son plan sur une évacuation entre le 21 et le 26 septembre.
Le 14 septembre, Bechir Gemayel, le nouveau président libanais porté au pouvoir par les Israéliens, est assassiné. M. Ariel Sharon prend ce prétexte pour envahir Beyrouth-Ouest, pour cerner les camps de Sabra et Chatila et encourager les milices libanaises à les nettoyer.
A ce jour, une seule enquête officielle a été menée, celle de la commission israélienne dirigée par Itzhak Kahane, le chef de la Cour suprême, rendue publique en février 1983. Elle charge les phalangistes et, dans une moindre mesure, M. Ariel Sharon. Le rapport parle d’abord d’une grave erreur de celui-ci, qui n’a « pris aucune mesure pour surveiller et empêcher les massacres ». Il se dit « perplexe » sur l’attitude de M. Sharon qui n’a pas prévenu Menahem Begin de sa décision de faire entrer les phalangistes dans les camps. Pour finir, il lui reconnaît la « responsabilité de n’avoir pas ordonné que les mesures adéquates soient prises pour empêcher d’éventuels massacres ». M. Sharon porte une « responsabilité personnelle » et « doit en tirer les conclusions personnelles ».
Les journaux israéliens ont publié - en 1994 notamment - de nombreux articles confirmant et amplifiant ces conclusions. Ainsi, Amir Oren, à partir de documents officiels, a, dans Davar du 1er juillet 1994, affirmé que les massacres faisaient partie d’un plan décidé entre M. Ariel Sharon et Béchir Gemayel, qui utilisèrent les services secrets israéliens, dirigés alors par Abraham Shalom, qui avait reçu l’ordre d’exterminer tous les terroristes. Les milices libanaises n’étaient rien moins que des agents dans la ligne de commandement qui conduisait, via les services, aux autorités israéliennes.
L’émission « Panorama », intitulée L’Accusé, qui est passée sur la BBC le 17 juin 2001, a fait progresser la connaissance, notamment grâce au témoignage, difficilement contestable, de M. Morris Draper, l’assistant de M. Habib. Au rappel des affirmations de M. Sharon qu’il ne pouvait prévoir ce qui est arrivé dans les camps, M.Draper s’est contenté de faire un bref commentaire : « Complètement absurde. » Il a raconté sa rencontre, à Tel-Aviv, au ministère de la défense, avec MM. Sharon et Yaron, son chef d’état-major, le jeudi, alors que les Israéliens étaient déjà entrés dans Beyrouth-Ouest malgré leur promesse. M. Amos Yaron a justifié cette décision par la volonté d’empêcher les phalangistes de se retourner contre les Palestiniens après l’assassinat du président Béchir Gemayel. « Notre groupe d’une vingtaine de personnes resta silencieux. Ce fut un moment dramatique. » Précisant que les Etats-Unis avaient refusé la proposition israélienne de déployer les phalangistes dans Beyrouth-Ouest « parce que nous savions que ce serait un massacre si ces gens-là entraient », il ajoute : « Il ne fait aucun doute que Sharon est responsable [des massacres] ; c’est le cas même si d’autres Israéliens doivent partager cette responsabilité. »
L’ancien diplomate américain n’a pas été interrogé sur les responsabilités américaines ni sur celles de l’Italie et de la France, qui ont retiré leurs soldats après le départ des marines...
Vingt ans après, les familles des victimes et des disparus des camps de Sabra et Chatila ont droit à la vérité. Pour pouvoir faire enfin le deuil. Cela ne concerne pas que les familles. Tout le monde a le droit de savoir pourquoi, comment et qui a organisé et exécuté des actes d’une telle sauvagerie.
Notes
1) Les principaux livres sur les massacres de Sabra et Chatila consultés : Rapport de la commission Kahane, Stock, 1983 ; Sabra et Chatila, enquête sur un massacre, d’Amnon Kapeliouk, Seuil, 1982 ; Israël, de la terreur au massacre d’Etat, d’Ilan Halevi, Papyrus, 1984 ; Genet à Chatila, textes réunis par Jérôme Hankins, Babel, 1992 ; Opération boule de neige, de Shimon Shiffer, J.-C.Lattès., 1984 ; Revue d’études palestiniennes, nos 6 et 8.
(2) Le patron de l’Armée du Liban sud qui travaillait avec les Israéliens.
(3) Lire notamment Les Portes du soleil, publié par Le Monde diplomatique et Actes Sud, qui raconte cinquante ans du drame palestinien. Sa pièce Les Mémoires de Job a eu beaucoup de succès à Paris.
(4) Deir Yassine est un petit village situé à une dizaine de kilomètres de Jérusalem, où ont été massacrés plus de cent villageois au printemps 1948. A Qibya, en Cisjordanie, en octobre 1953, lors d’opérations de représailles dirigées par Ariel Sharon, l’armée israélienne fit exploser quarante-cinq maisons avec leurs habitants. Soixante-neuf personnes, pour moitié des femmes et des enfants, périrent sous les décombres.
(5) Elie Hobeika est considéré comme le principal bourreau de Sabra et Chatila. Il a été assassiné le 24 janvier 2002 à Beyrouth, alors qu’il s’apprêtait à venir témoigner à Bruxelles. Selon Me Chebli Mallat, l’avocat libanais des plaignants, ce ne sont pas les révélations de Hobeika qui étaient dangereuses pour M. Sharon, mais sa simple venue à Bruxelles. Dès lors qu’il était devant le tribunal et obligatoirement inculpé, le problème de la compétence du tribunal ne se posait plus.
(6) Pourtant, des discussions directes mais discrètes existaient depuis des années à Beyrouth entre des dirigeants palestiniens et l’ambassade américaine ainsi qu’avec la CIA. En 1979, par exemple, M. Arafat a réussi à faire libérer 13 otages américains à Téhéran.
(7) In American Foreign Policy, Current Documents, 1982, département d’Etat, Washington. « Les Palestiniens non combattants, respectueux de la loi, restés à Beyrouth, y compris les familles de ceux qui sont partis, seront soumis aux lois et aux règlements libanais. Le gouvernement libanais et les Etats-Unis leur apporteront les garanties de sécurité appropriées. (...) Les Etats-Unis fourniront leurs garanties sur la base des assurances reçues des groupes libanais avec lesquels ils sont en contact. »
(8) Sur l’histoire des négociations menées par M. Habib, lire Cursed is the Peacemaker, de John Boykin, préfacé par George Shultz, alors secrétaire d’Etat, Applegate Press, Washington, 2002, et The Multinational Force in Beirut 1982-1984, sous la direction d’Anthony McDermott et Kjell Skjelsbaek, Florida International University, Miami, 1991.
Sources Le Monde Diplomatique
Posté par Adriana Evangelizt