LA DEMOCRATIE MENACEE EN ISRAËL

Publié le par Adriana EVANGELIZT

La colonisation et la guerre portent une sérieuse atteinte aux droits des Israéliens. L'Etat "démocratique" d'Israël le devient de moins en moins... tout est pris sous contrôle par le gouvernement. Ce qui prouve bien que les idéologues sionistes en poursuivant leur but pervers nuisent bien sûr aux Palestiniens mais les Israéliens ne sont pas non plus épargnés, loin s'en faut. Tous les peuples sont donc sacrifiés à l'acquisition de la Terre.

Priorité absolue à la « sécurité »

Les libertés menacées des citoyens d’Israël

par Méron RAPOPORT

 

Le procureur de l’Etat d’Israël dispose d’assez de preuves pour inculper M. Ariel Sharon de corruption. La perspective de sa démission déstabilise un peu plus un gouvernement dont la fuite en avant – symbolisée par la construction du mur en Cisjordanie – rencontre une résistance croissante. Parce qu’elle perpétue un conflit meurtrier pour les deux peuples. Mais aussi parce que, telle la guerre menée par la France en Algérie, elle se retourne contre les libertés des citoyens israéliens.

L’avocat (arabe) Murad El-Sana, de Beersheva, vit dans la peur car une nouvelle loi lui interdit de partager sa vie avec Abeer, la femme qu’il vient d’épouser (lire Amour, guerre, démographie). Dan Shilon, célèbre présentateur (juif) de télévision, a dû quitter son poste à l’Office de la radio-télévision israélienne pour n’avoir pas donné le micro assez vite à l’un des plus proches collaborateurs du premier ministre Ariel Sharon dans un studio de télévision. Mère célibataire (juive) de deux enfants, installée à Mitzpe Ramon, Mme Viki Knafo a perdu 30 % de ses revenus en une nuit en raison de la décision soudaine du gouvernement d’amputer certaines prestations sociales (1).

Acteur et réalisateur (arabe) populaire, Mohamed Bakri n’a pas le droit de projeter son documentaire Jénine-Jénine en Israël, car le procureur général estime qu’il heurte la sensibilité des soldats ayant pris part aux affrontements. M. Gil Na’amti, un ancien soldat (juif), a été gravement blessé par les balles d’un sniper israélien alors qu’il participait à une manifestation contre la construction du mur en Cisjordanie. Chauffeur (arabe) du village bédouin d’Atir, Nasser Abou Al-Qian a été tué d’une balle qu’un policier lui a tiré dans la tête, à bout portant, parce que, arrêté à un feu de circulation, il n’avait pas baissé assez vite la vitre de son véhicule.

Toutes ces personnes sont absolument étrangères les unes aux autres. Rien de ce que chacune fait ou faisait dans la vie n’a de rapport avec les occupations des autres : Mme Knafo n’a jamais manifesté l’envie de voir Jénine-Jénine et Abou Al-Qian n’avait probablement jamais entendu parler de Dan Shilon. Elles vivaient des vies séparées, dans des lieux séparés, au sein de cette société de plus en plus cloisonnée qu’est devenu l’Etat d’Israël. Pourtant, nombre de spécialistes en sciences sociales, de professeurs de droit et de militants des droits de l’homme affirment qu’elles sont victimes d’un même phénomène : « seule démocratie du Proche-Orient », comme on dit, Israël est en fait de moins en moins démocratique.

Cette réalité, 3,5 millions de Palestiniens la vivent dans les territoires occupés. Mais elle n’épargne pas les citoyens du « vieil Israël » des frontières de 1967. En toile de fond se trouvent la sanglante Intifada et sa répression, qui ont coûté la vie, depuis trois ans, à 900 Israéliens et à 2 500 Palestiniens. Des droits civiques qui n’étaient pas directement concernés par le conflit ont été durement malmenés.

« Le public israélien a adopté la vision droitière selon laquelle nous sommes en guerre, explique le professeur Yaron Haezrahi, du département de sciences politiques de l’université hébraïque, personnalité de premier plan dans les études sur les droits de l’homme. La terreur palestinienne porte atteinte à la culture des droits de l’homme. On demande aux citoyens de renoncer à de nombreux droits, et l’appareil de sécurité est devenu un nouveau sacerdoce. A l’Université hébraïque, ce sont les gardes chargés de la sécurité qui décident quels étudiants sont autorisés à se rendre à la bibliothèque. »

Le dernier incident grave – qui a ébranlé de nombreux Israéliens, mais peu retenu l’attention à l’étranger – s’est produit le 26 décembre 2003. M. Gil Na’amati, un kibboutznik de Re’im âgé de 21 ans, qui venait de terminer son service combattant, participait à une initiative du groupe Les Anarchistes contre le mur. Ceux-ci s’étaient rassemblés à Mascha, un village palestinien au sud de Kalkilya, situé à environ 7 kilomètres de la « ligne verte (2) » et coupé de ses terres agricoles par la « clôture de sécurité » récemment érigée.

Aux côtés de 200 Palestiniens, 50 Israéliens – dont M. Na’amati – se dirigèrent vers une porte aménagée dans le mur pour permettre théoriquement aux agriculteurs palestiniens d’accéder à leurs terres, mais qui demeure presque toujours fermée. En approchant, les deux groupes se séparèrent. « Nous étions convenu s que seuls les Israéliens iraient jusqu’à la clôture », raconte M. Eli Cohen, un cinéaste israélien dont le film le plus connu, Two Steps from Saida (A deux pas de Saïda), a été commandé par l’armée et qui tourne actuellement un documentaire sur le mur. « Tout le monde supposait que les soldats allaient faire preuve de retenue face aux manifestants israéliens, qu’ils n’allaient pas tirer. » Erreur. Lorsque les manifestants israéliens commencèrent à secouer la porte, un groupe de soldats se trouvant à 20 mètres se mit à tirer au-dessus de leurs têtes. « Les manifestants crièrent alors : “Ne tirez pas, nous sommes israéliens, nous sommes frères, nous vivons avec vous”, raconte le cinéaste. J’ai du mal à croire que les soldats n’ont pas compris que ceux qui criaient ainsi de ne pas tirer parlaient hébreu avec un accent israélien. » Mais les tirs ciblés ont continué.

L’armée ouvre le feu contre la gauche

Photographe à Yediot Aharonot, M. Tal Cohen, qui se trouvait près des soldats, rapporte qu’il avertit l’un d’entre eux qu’en face se trouvaient des Israéliens. Or ce militaire demanda néanmoins à son commandant l’autorisation de tirer. Elle lui fut donnée. Un sniper visa et tira à deux reprises dans la jambe de M. Na’amati, touchant une artère vitale. Le blessé perdait son sang et, devant le refus des soldats d’ouvrir la porte, il dut être transporté dans un hôpital israélien par des routes de contournement que leur mauvais état rend interminables. Il faillit mourir à son arrivée à l’hôpital.

On apprit par la suite que le commandant de l’unité réside à Elkana, une colonie juive située à quelques centaines de mètres. Quant au tireur d’élite, il provient d’une famille religieuse et a fait ses études dans une yeshiva liée au Parti national religieux. Selon l’enquête interne de l’armée, les soldats ont agi « conformément aux règlements », persuadés qu’ils étaient de faire face à des manifestants palestiniens menaçant de franchir le mur et de les attaquer.

« Il faut être saoul » pour croire à la version des soldats, rétorque le père du blessé, M. Uri Na’amati, militant de longue date du Parti travailliste, responsable d’un conseil communal dans le Néguev. Pour sa part, M. Eli Cohen s’efforce de ne pas tirer de conclusions hâtives : « Je me méfie de mes propres conclusions, j’ai cru toute ma vie que c’était mon armée et qu’elle me protégeait », admet-il. Pourtant, il n’est pas convaincu, lui non plus. « Les soldats étaient très calmes, dit-il, les tirs n’ont pas résulté d’une escalade, mais d’une décision prise froidement. C’était comme si les soldats disaient aux manifestants : “Vous aidez l’autre bord, et vous pensez que vous allez vous en tirer comme cela ? Vous devez payer pour ce que vous avez fait.” »

Le professeur Haezrahi mâche encore moins ses mots : « C’est la première fois que l’armée ouvre le feu contre la gauche. On reproche aux refuzniks d’utiliser Tsahal pour servir leurs objectifs politiques. Mais, dans ce cas, c’est la droite qui s’est dissimulée sous l’uniforme. Même les journaux ont refusé de dire que les soldats qui avaient tiré sur des manifestants de gauche étaient des partisans de la droite, alors que tout cela rappelait clairement le comportement des Phalanges (3). »

« L’affaire Na’amati nous entraîne un cran plus loin, estime pour sa part Mme Dana Alexander, responsable du service juridique de la prestigieuse Association des droits de l’homme. Mais je n’ai pas été surprise. C’est le résultat naturel d’une attitude très violente à l’égard des manifestants de gauche et de la délégitimation de la gauche et des hommes politiques arabes en Israël. » La militante se rappelle comment, en avril 2002, un petit groupe d’Arabes israéliens manifesta pacifiquement, dans la ville mixte de Lod, contre la réoccupation militaire de toutes les villes de Cisjordanie. Bien que la loi n’exige pas d’autorisation préalable pour une telle initiative, onze participants furent arrêtés et restèrent en détention jusqu’à leur procès pour « organisation illégale » et « incitation à la rébellion ». Ils furent finalement relâchés discrètement, le tribunal ayant découvert que le chef d’inculpation d’incitation à la rébellion reposait sur la traduction erronée d’une des pancartes brandies par les manifestants...

D’autres affaires ne se limitent pas à des arrestations et détentions abusives : certaines ont débouché sur le meurtre d’innocents. Basé à Haïfa, le Centre Mossawa, qui s’efforce de protéger les droits des citoyens arabes en Israël, a recensé, en trois ans, au moins quinze cas d’assassinats de citoyens arabes par la police ou les gardes-frontières, qui viennent s’ajouter aux treize victimes de la répression des manifestations d’octobre 2000, au début de la seconde Intifada. « En octobre 2000, le gouvernement et la Sécurité intérieure (Shabak) ont décidé, au plus haut niveau, de faire rentrer les Arabes chez eux, car ils percevaient leur soulèvement comme une guerre contre l’ensemble d’Eretz Israël, affirme M. Jafar Farah, directeur général du Centre Mossawa. Maintenant, nous nous trouvons plutôt dans un climat de transfert (4), au point qu’on entend souvent crier “Mort aux Arabes !”, et, de toute évidence, ce climat influence la police. »

Ce climat, M. Farah, comme tous les interlocuteurs de cette enquête, l’admet volontiers, résulte de l’état de guerre qui règne entre Israéliens et Palestiniens, et par-dessus tout des attentats-suicides contre des civils en Israël. Mais la plupart des cas recensés par le Centre Mossawa n’ont rien à voir avec les kamikazes ni, plus largement, avec des questions de sécurité. Aucun des quinze Arabes tués depuis trois ans par la police n’était impliqué dans des activités terroristes, et seuls quelques-uns étaient soupçonnés d’infractions pénales. En majorité, c’étaient des personnes complètement innocentes, sans aucun lien avec la délinquance ou le terrorisme. Est-il besoin de préciser qu’aucun citoyen juif israélien délinquant, soupçonné d’infraction pénale ou autre, n’a été assassiné par la police pendant cette même période ?

La commission Or, mise en place par la Knesset pour enquêter sur le meurtre de citoyens arabes durant les émeutes d’octobre 2000, a conclu que la police avait tiré à balles réelles contre des manifestants arabes sans justification, et en contrevenant à tous les règlements. Mais, dix jours seulement après la publication de ces conclusions, en septembre 2003, la police ouvrait le feu, à Kfar Kasem, contre des citoyens arabes qu’elle voulait arrêter, blessant onze personnes manifestement innocentes : aucune d’entre elles n’a fait l’objet de poursuites.

Deux mois auparavant, un autre cas flagrant de violence policière s’était produit. Nasser Abou Al-Qian, 23 ans, conduisait une camionnette sur la route de Beersheva. Alors qu’il était arrêté à un feu, des gardes-frontières l’ont soupçonné de transporter des travailleurs palestiniens en situation irrégulière. Estimant qu’Abou Al-Qian ne lui répondait pas assez vite, l’un des policiers a brisé la vitre de sa camionnette avec son pistolet et lui a tiré dans la tête à bout portant. La police a tout d’abord affirmé que l’homme avait tenté de fuir, mais, devant les témoignages multiples, dont ceux de conducteurs juifs, le meurtrier a été accusé d’homicide. Aucun des quatorze autres meurtriers, précise M. Farah, n’a été inculpé. Peut-être n’y avait-il aucun témoin juif ?

Cette lame de fond déferle aussi d’en haut. Ainsi, en vue des élections législatives de janvier 2003, une commission parlementaire avait décidé d’interdire à deux députés arabes (MM. Azmi Bishara et Ahmed Tibi) de se présenter et à un parti arabe (le Balad) de proposer des candidats. Il a fallu que la Cour suprême annule cette décision. Et M. Bishara, premier député israélien poursuivi pour une déclaration (5), a retrouvé son immunité parlementaire. La plupart des neuf députés arabes ont été l’objet d’enquêtes policières... qui n’ont servi à rien. Et le Centre Mossawa a enregistré, en trois ans, vingt-cinq cas d’agression de députés arabes par la police.

S’il est devenu banal, en Israël, d’accuser les députés arabes d’incitation à la rébellion, certains ne voient dans cette dénonciation qu’une tentative délibérée de délégitimer les dirigeants arabes. « De telles tentatives ont déjà eu lieu dans le passé, estime Mme Alexander, mais pas à ce niveau et avec un tel soutien au sein de la Knesset. »

D’autant que l’épouvantail du « danger démographique », agité encore récemment par le ministre du Trésor Benyamin Nétanyahou, a d’ores et déjà conduit à la promulgation, en juillet 2003, d’une loi apparemment discriminatoire et raciale : la loi relative à la citoyenneté et à l’entrée en Israël. La Knesset examine maintenant une autre proposition de loi visant à obliger les organisations non gouvernementales à soumettre à l’examen d’autorité gouvernementale tous les dons qu’elles reçoivent de l’étranger, l’autorité en question ayant le droit d’interdire le financement d’organisations qui « cherchent à influ-encer une position ou l’opinion publique dans la société israélienne ». S’il était voté, ce texte affecterait indubitablement les organisations non gouvernementales arabes, qui reçoivent la plupart de leurs fonds de l’Union européenne ou d’Etats européens.

Journalistes ou porte-parole officiels ?

Autre atteinte grave aux libertés : le gouvernement a approuvé, en avril 2003, un plan visant à évacuer 70 000 Bédouins des endroits où ils vivent depuis cinquante ans et à les forcer à se sédentariser dans des villes. « Je ne pense pas qu’ils réussiront à expulser des villages non reconnus la totalité de ces Bédouins, mais un grand nombre d’entre eux seront déportés. En tout cas, c’est la première fois qu’un projet aussi précis a été approuvé », déclare M. Farah. Ces mesures s’inscrivent d’ailleurs – nos interlocuteurs s’accordent sur ce point – dans un climat « transfériste ». « La ville de Beer-sheva est tombée aux mains de bandes de criminels bédouins », a déclaré le ministre de la sécurité intérieure, Tzahi Hanegbi, au quotidien Maariv (4 août 2003), à l’occasion d’une visite dans cette ville, en août dernier. Et d’ajouter : « Je vous le dis, les gars, soulevez-vous par milliers, armez-vous de gourdins et chassez les criminels bédouins. »

Ces déclarations ont, hélas !, reçu un écho favorable dans bien des médias. Ces derniers se sont en effet engagés dans le « combat contre le terrorisme », en fait contre les Arabes israéliens.

« Le gouvernement a réussi à imposer son point de vue à la plus grande partie des médias », affirme le professeur Mordechai Kremnitzer, de l’Université hébraïque, président sortant du Conseil des journalistes, l’institution bénévole la plus éminente des médias israéliens. « Il existe un mécanisme consistant à adopter la version officielle, renchérit le professeur Haezrahi, qui, au sein de la Knesset, s’efforce de défendre le journalisme indépendant. Il est devenu impossible de distinguer un porte-parole officiel et un journaliste. » Ce phénomène ne se limite pas à l’autocensure, courante en temps de guerre : selon le professeur Kremnitzer et bien des professionnels, le gouvernement exerce une pression grandissante sur les médias, au point que l’on assiste à une érosion de la liberté d’expression.

« Depuis un an environ, le gouvernement intervient de façon flagrante, témoigne un journaliste important de la radio-télévision israélienne, qui contrôle la première chaîne de télévision et Kol Israel, la station de radio la plus populaire. Les pressions existaient auparavant, mais elles n’avaient pas cette intensité. Vous regardez les actualités et vous vous dites que vous voyez ce que le rédacteur ou le présentateur veulent vous montrer. La réalité est complètement travestie. » D’ailleurs, ajoute-t-il, « le président du conseil d’administration est un membre actif du Likoud, et il fait passer des notes indiquant qui doit être interviewé et qui ne doit pas l’être. » « Le directeur général est encore pire, poursuit ce journaliste. Avant les dernières élections générales, il a refusé de donner son aval à une interview d’Amram Mitzna. Il fallut d’âpres discussions pour que soit autorisée cet entretien avec le chef du plus grand parti d’opposition, candidat au poste de premier ministre, qui aurait été de soi en temps normal. »

Uri Dan, l’un des amis les plus proches de M. Ariel Sharon, anime un programme radio de deux heures qu’il consacre exclusivement à un éloge des hauts faits du premier ministre et à une dénonciation violente de ses détracteurs. Il a rejoint dernièrement les membres permanents du panel qui intervient dans le prestigieux magazine d’actualités télévisées du vendredi soir. Ce magazine était animé par Dan Shilon, l’un des pères fondateurs de la télévision israélienne, jusqu’au jour où celui-ci eut la surprise de lire dans la presse qu’il avait perdu son emploi. Motif : malgré des appels urgents provenant de la salle de contrôle, il n’avait pas donné le micro assez vite à Uri Dan.

« Le gouvernement a pris le contrôle de l’Office de la radio-télévision, estime le professeur Kremnitzer. Nous revenons au temps de David Ben Gourion, quand cette institution n’était pas encore un organisme indépendant, protégé par une loi spéciale, mais un simple service dépendant du bureau du premier ministre. »

Le problème va bien au-delà. Mohamed Bakri, l’un des acteurs les plus populaires d’Israël, a donc réalisé un film documentaire controversé sur les affrontements qui eurent lieu dans le camp de réfugiés de Jénine, en avril 2002. La Commission de visionnage des films et des pièces de théâtre, une sorte d’organe de censure pratiquement moribond, décida d’interdire le film au motif qu’il pourrait heurter la sensibilité des soldats qui ont pris part à l’opération. Le procureur général appuya cette décision aussi rare qu’étrange, jusqu’à ce que la Cour suprême autorise la projection. Mais le procureur général a fait appel de la décision de la Cour, et le film, présenté dans de nombreux festivals à l’étranger, n’a pas encore été projeté en Israël.

« Ç’aurait été impensable il y a trois ans », assure le professeur Kremnitzer, qui évoque aussi la décision de l’Office national de la presse de ne délivrer la carte de presse qu’aux journalistes considérés comme « propres » par le Shabak – seule la pression conjointe de la presse étrangère et israélienne a finalement permis de remettre en cause cette procédure. D’ailleurs, selon une récente étude de l’Institut israélien de la démocratie, Israël est tombé au 31e rang sur les 36 pays démocratiques ayant fait l’objet d’un sondage. « Nous avons la notation la plus basse de toute la presse libre, déplore le professeur Kremnitzer. Il suffirait de tomber un petit peu plus bas pour être classé comme Etat “semi-démocratique”. »

 

 

Cette réalité inquiétante ne concerne pas seulement les manifestants de gauche, les Arabes israéliens, les membres de la Knesset ou les professionnels des médias. Elle atteint les fondements mêmes de la société israélienne. L’an passé, M. Nétanyahou a engagé une campagne féroce contre les prestations sociales en général et les syndicats travaillistes en particulier, avec un jargon typique de la contre-Intifada. La campagne fut marquée par un célèbre lapsus : « Nous ne capitulerons pas devant les ennemis », déclara-t-il en employant le terme hébreu oyvim (ennemis) au lieu de ovdim (travailleurs).

« Tout son discours s’adressait à des ennemis, décrypte M. Yuval Elbashan, avocat et directeur de la « clinique juridique » de l’Université hébraïque. Son lapsus n’avait rien d’accidentel. » Il est d’ailleurs question, ajoute-t-il, d’interdire les tribunaux du travail, dernier bastion des syndicats. Un comité spécial examine actuellement l’avenir de ces juridictions, et M. Elbashan se dit certain qu’elles vont être supprimées : « Et quand vous n’avez plus de système juridique, toute la société s’effondre. »

Indifférence et machiavélisme

Le ministre du Trésor vient de passer un accord sans précédent avec la police : il lui accordera des fonds supplémentaires, en échange de la mise en place par cette dernière d’une unité spéciale chargée de retrouver les personnes percevant des prestations sociales frauduleuses. L’argent que cette « police des allocations sociales » récupérera permettra à l’Etat d’économiser : il restera... dans la police. Cette perspective donne froid dans le dos au professeur Haezrahi : « C’est le ministère du Trésor le plus cruel de l’histoire d’Israël. Avec une indifférence et un machiaviélisme rares, il envisage de détruire toutes les institutions sociales. L’impératif de la sécurité a eu raison de tout. Le terrorisme a affecté le mouvement politique des droits de l’homme, et la voie est ouverte à d’autres atteintes contre les droits civiques. »

Début janvier, l’Association des droits civiques a remporté une modeste victoire contre M. Nétanyahou. L’Association avait saisi la Cour suprême : la réduction de 30 %, opérée en 2003, des allocations destinées aux chômeurs de longue durée – et notamment aux mères célibataires – pouvait, arguait-elle, porter atteinte au droit humain fondamental à une vie dans la dignité. Lors de l’audience, il apparut que le ministère du Trésor n’avait pas évalué les besoins minimaux requis pour vivre dignement. La Cour a donc renvoyé le gouvernement à ses devoirs, s’attirant une violente attaque de la Knesset. « Le ministère du Trésor passe outre et désobéit à la loi », affirme le professeur Aharon Zamir, ancien juge auprès de la Cour suprême et l’un des hommes les plus pondérés de tout le système judiciaire israélien. Une guerre entre la Cour suprême et la Knesset ? Une démocratie en crise ? « Lorsqu’une politique d’atteintes aux droits de l’homme infecte une société, conclut M. Elbashan, elle la gangrène entièrement. »

Par Meron Rapoport


Journaliste israélien, lauréat du prix Napoli de journalisme, licencié du quotidien Yediot Aharonot après avoir intitulé un article sur les affaires du premier ministre : « Sharon n’a pas dit la vérité ».

(1) Lire Joseph Algazy, « Ces Israéliens qui ont faim », Le Monde diplomatique, octobre 2003.

(2) Frontière de 1967.

(3) Milice chrétienne extrémiste au Liban, responsable, avec l’Armée du Liban sud, responsable du massacre de Sabra et Shatila.

(4) Lire Amira Hass, « Ces Israéliens qui rêvent de « transfert » », Le Monde diplomatique, février 2003.

(5) Dans un discours en Syrie, il avait salué la « résistance » (mukawama) du Hezbollah.

Sources : MONDE DIPLOMATIQUE

Posté par Adriana EVANGELIZT

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