La guerre perpétuelle d'Israël
En 1956, étudiant américain séjournant à Jérusalem, je suis devenu le témoin involontaire de la honteuse invasion de l’Egypte et de ses retombées sur Israël. Cinquante ans après, en déchaînant sa puissance militaire contre Gaza et le Liban, Israël a une fois de plus démontré la constance de sa politique vis-à-vis des voisins qu’il considère comme ses ennemis. La guerre, l’usage massif de la force sont l’option privilégiée de ses stratèges, qu’ils portent ou non l’uniforme.
Lors de la crise du canal de Suez, Israël, la France et le Royaume-Uni avaient attaqué l’Egypte dans le but (non atteint) de renverser Nasser. Ils n’ont réussi qu’à détruire l’armée égyptienne et à saper l’économie du pays. Mais la guerre a conforté chez les Israéliens le sens de leur puissance militaire et le mépris pour les capacités au combat des « Arabes ».
Peu après la fin des hostilités, je me souviens que j’assistais à un rassemblement massif sur la place de Sion à Jérusalem, au cours duquel le Premier ministre Ben Gourion, entouré de ses généraux, se vantait de la victoire contre le nassérisme et promettait qu’Israël ne se retirerait jamais de la péninsule du Sinaï, qu’il avait conquise. Il avait été joyeusement acclamé par la foule, à l’exception de quelques courageux, qui avaient hurlé leur opposition à la guerre, et qui, pour cette raison, avaient été passés à tabac.
Peu après, le gouvernement américain a ordonné aux Israéliens de se retirer du Sinaï et ils l’ont fait docilement. A cette époque, et dans ces circonstances, les Etats-Unis pouvaient imposer leur volonté sur l’Etat hébreu. (En fait, Israël avait obtenu la mise en place d’une zone tampon, dans le Sinaï, confiée à des casques bleus de l’ONU. Leur retrait, exigé par Nasser en 1967, a été un facteur clé dans le déclenchement de la guerre du Kippour.)
La guerre qui vient d’avoir lieu au Liban est la sixième qu’Israël a connue en moins de soixante ans, sans compter l’écrasement militaire de deux Intifada. Toutes ont été faites au nom de la « défense » et de la « sécurité », avec, pour faire bon poids, des mots comme « inévitabilité », « justice », « survie ».
A chaque fois, Israël explique qu’il n’a pas le choix, qu’il est attaqué et qu’il doit répondre. « C’est eux ou le Hezbollah », a récemment déclaré Shimon Pérès, lauréat du prix Nobel de la paix. L’ennemi, que ce soit le Hamas ou le Hezbollah, doit être détruit pour maintenir Israël en sécurité, pour qu’il reste invulnérable. En 1982, déjà, le bombardement et l’invasion du Liban avait pour but d’éradiquer le « terrorisme » palestinien une fois pour toutes.
La stratégie d’Israël consiste à maintenir ou accroître sa propre supériorité militaire, par tous les moyens possibles, tout en affaiblissant ses ennemis. Ben Gourion, autrefois, expliquait que, pour maintenir au large les ennemis d’Israël, il fallait les frapper régulièrement. « La paix n’est pas notre principal intérêt », disait-il. Il n’a jamais cru qu’Israël pourrait vivre en paix avec les Arabes. Une conviction que l’on a retrouvée chez ses successeurs, et qu’Ehud Barak reformulait ainsi : « Nous sommes une nation européenne ; nous n’avons pas d’affinités avec les Arabes. »
La retraite du Sud-Liban en 2000 a écorné le mythe de l’invulnérabilité de l’armée. La férocité de la guerre contre le Hezbollah et les Libanais en général peut être considérée comme une revanche prise par l’armée et une tentative de restaurer son image. Mais le Hezbollah a continué de combattre et a paralysé la moitié d’Israël avec des attaques de missiles.
Le coeur de cet état de guerre continuel, c’est sans aucun doute le conflit non résolu entre les Palestiniens et les Israéliens. Selon Israël et Washington, les Palestiniens auraient dû depuis longtemps s’être soumis à la force des armes. Pourtant, en dépit de nombreuses défaites, ils n’ont jamais abandonné. Cet entêtement semble surnaturel aux Israéliens et à leurs alliés, et échappe donc à leur entendement. En dépit de toute sa force militaire, Israël n’a pas été capable de leur faire lâcher prise. La reconnaissance mutuelle et la réconciliation inscrite dans les accords d’Oslo n’a fait que perpétuer l’occupation, au lieu d’y mettre fin. A peine une pause : la guerre a continué, la vie des Palestiniens a empiré.
A partir de là, qu’est-ce qui est possible ? Rien, avant qu’une constellation d’intérêts, dans la société civile, à l’intérieur et à l’extérieur d’Israël, permette de chasser les va-t-en-guerre du pays
Vendredi 18 août 2006 - http://www.liberation.fr/opinions/r...