Oui, Une autre voix juive !

Publié le par Adriana Evangelizt

 

 

 

Oui, Une autre voix juive !

 

   

UNE AUTRE VOIX JUIVE

 

 

Texte publié dans Libération en mai 2003

 

Un manifeste circule en ce moment, parmi les citoyens juifs ou d’origine juive de ce pays, mais aussi dans d’autres milieux, non directement lié au judaïsme. Il suscite, chez les uns, une adhésion enthousiaste, comme une bouffée d’air pur dans une atmosphère malsaine. Chez d’autres, une hostilité soupçonneuse ou hargneuse. L’indifférence ne l’accompagne pas…

 

Ce manifeste, publié en encart publicitaire dans "Le Monde" du 6/7 avril dernier, puis en Tribune Libre dans "l’Humanité" du 7 avril, désormais signé par plus de 500 citoyens juifs ou d’origine juive, se propose de faire entendre, c’est son titre, "Une autre voix juive".

 

Une autre voix ? En effet, l’opinion publique de ce pays est exposée depuis trop longtemps à une voix juive monopolisée par une fraction du judaïsme organisé de ce pays, celle qui domine en ce moment le CRIF. L’acronyme lui même (Comité Représentatif des Institutions Juives de France) laisse entendre qu’il s’agit bien là d’un organisme représentatif, habilité à parler au nom de tous.

 

Sans doute, quand M. Roger Cukierman, président en exercice du CRIF, fait telle ou telle déclaration, telle ou telle analyse, lorsqu’il développe des interventions publiques qualifiant d’antisémite quiconque critique la politique de M. Sharon, représente-t-il une certaine partie de l’opinion juive de ce pays.

 

Le problème, c’est qu’il est fort probable que cette fraction n’est même pas majoritaire parmi les citoyens qu’elle concerne. Au sein même du CRIF, qui regroupe plus de cinquante organisations, une minorité non négligeable la critique fortement. Après tout dira-t-on, si ce courant critique est minoritaire, ou est le scandale ? La majorité s’exprime, c’est son droit ! Oui, mais voilà : le nombre de citoyens juifs qui participent à ces institutions juives elles mêmes regroupées en CRIF ne représente pas plus de 20 % de la population juive de France ! Pour mille raisons, 80 % des Juifs de France, sans renier leurs origines, leur héritage, leur culture, leur histoire, n’éprouvent pas le besoin de s’affilier à une organisation juive membre du CRIF. D’origines sociales, d’opinions politiques diverses, avec un éventail large de pratiques religieuses ou de relation avec la foi, avec une multitude d’opinions contradictoires sur Israël,  ou sur le sionisme, etc., ces Français juifs ou d’origine juive, à l’aise dans la République, à l’aise dans la laïcité, vivent leur vie de citoyens, avec ses heurs et malheurs, sans souhaiter faire de leur judéité manifestation publique, ou expression collective. Pour beaucoup, la leçon qu’ils ont tirée de leur rencontre avec l’antisémitisme, c’est le rejet de toute idéologie nationaliste, de tout chauvinisme, la haine de tous les fascismes, de tous les racismes, de toutes les oppressions : pour eux, il y a partie liée entre le judaïsme et la démocratie, les grandes idées d’universalité des droits humains, des droits des peuples.

 

Or voilà que la dynamique propre à l’histoire du Proche Orient vient porter sur le devant de la scène des gens qui disent parler au nom des Juifs, qui revendiquent en leur nom une politique qu’ils ne peuvent que détester, une politique nationaliste, une politique chauvine, une politique approuvée par les fascistes de France et d’Israël (voir la déclaration de Le Pen dans Haaretz approuvant la politique de Sharon "qui lui rappelle la politique de l’Algérie française") une politique qui légitime au nom du judaïsme la négation des droits d’un peuple !

 

Ce discours s’articule sur une pseudo évidence, qui est un succès remarquable de propagande politique insistante et multiforme menée par Israël et par des forces politiques diverses aux USA et dans le monde depuis plus de 50 ans : Israël représenterait les intérêts juifs dans le monde, Israël serait le dépositaire de la mémoire du génocide, l’héritier des souffrances juives... En découle une autre pseudo-évidence que bon nombre de nos concitoyens partagent innocemment : tout citoyen juif serait aussi israélien. Depuis qu’à la suite de l’assassinat de Y. Rabin, les accords d’Oslo sont sabotés et piétinés chaque jour un peu plus par le gouvernement israélien, tout citoyen juif, à en croire M. Roger Cukierman, qui en rajoute une couche, serait tenu d’approuver M. Sharon, et d’être complice des crimes de l’occupation israélienne en Palestine !

 

Il y a là manipulation perverse des fibres les plus essentielles, les plus intimes, des convictions les plus profondes de dizaines de milliers de nos concitoyens juifs. Jusqu’à ces dernières semaines, beaucoup étouffaient littéralement d’angoisse à voir insulter --en leur nom !-- des démocrates, leurs frères, qui exercent leur responsabilité de citoyens en condamnant la politique actuelle du gouvernement israélien. Ils étouffaient de voir nier, au profit d’un communautarisme étroit se réclamant du judaïsme, les solidarités qui lient les Juifs à leurs concitoyens de toutes origines ou toutes confessions, chrétiens, musulmans, athées, etc., qui comme eux, aspirent à un monde sans racisme, un monde de justice et de progrès, d’égalité des droits, de respect des droits des peuples.

 

Voilà pourquoi, de cette angoisse et de cet étouffement, a surgi le manifeste "Une autre voix juive", comme un cri libérateur : "Parce que nous ne pouvons plus supporter l’horreur devenue quotidienne au Proche-Orient…" . Ainsi commence ce manifeste, accueilli comme une délivrance par tant de nos concitoyens juifs qui se voient enfin offrir la possibilité de faire entendre "Une autre voix juive", leur voix.

Pascal Lederer

 

 

Posté par Adriana Evangelizt

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