Camps palestiniens du Liban : insalubrité et surpopulation
CAMPS PALESTINIENS DU LIBAN :
INSALUBRITE ET SURPOPULATION
La rue principale de Beddaoui qui mène d’un bout à l’autre du camp est impraticable dès 10 heures du matin. Sous un soleil implacable, les voitures bringuebalantes ou clinquantes selon le cas, effectuent une danse surprenante entre les nids-de-poule de la chaussée, les piétons et des mobylettes d’un autre âge. Coups de klaxons, appels des vendeurs de pain, de fruits, hurlements des enfants livrés à eux-mêmes, circulation totalement imprévisible des habitants…
La chaleur mêlée aux gaz d’échappement rend difficile toute marche à l’intérieur du camp, impossible toute conversation. Dans les ruelles perpendiculaires, le pire est d’un autre ordre : perte de tous repères dans le dédale incroyable de ruelles étroites que l’on emprunte seul ou en file indienne.
Ici, dans un imbroglio de fils électriques, les canalisations d’eau sont posées à même le sol jonché d’ordures. Construits de façon totalement anarchique, les immeubles s’entrecroisent, s’entrechoquent le plus souvent à leur sommet, empêchant tout passage de la lumière. Beaucoup sont disloqués, éventrés par la misère.
Placés dans les six écoles de Beddaoui ou logés chez des familles amies ou solidaires, les réfugiés de Nahr el-Bared vivent le paradoxe de la torpeur et d’un énervement palpable. Ils martèlent à ceux qui veulent bien entendre « qu’ils n’ont rien à voir avec le Fatah el-Islam », craignent d’être assimilés à « ces extrémistes qui, disent-ils, défendent d’autres causes que celle de la Palestine ».
« Nous sommes moins que des insectes, ici. Je préfère rentrer sous les bombes que de rester plus longtemps. » Faddi est à bout. Cet homme de quarante ans ne regarde personne dans les yeux. Assis sur sa chaise, il maugrée en regardant ses chaussures trouées, tristes témoins d’une dignité qu’il estime perdue. Sa colère, il ne la contient pas comme le font les autres hommes venus le rejoindre. Faddi tient l’armée libanaise pour responsable de ces maux. Il vitupère aussi contre le groupuscule… Au bout de quelques minutes, il calque son attitude sur celle des autres. Déclare qu’« il n’en peut plus à cause de ses enfants malheureux dans cette école où ils ne peuvent rien faire, de ces vêtements, les mêmes depuis cinq jours ». D’autres prennent le relais, racontent comment les membres du groupuscule sont venus dans le camp quatre ou cinq mois auparavant. « Ils étaient une cinquantaine. Des familles. Au début il n’y avait rien de bizarre et puis nous avons vu les armes, explique Jamel. Ils ont créé des problèmes, ont empêché les allées et venues. Certains se promenaient le corps ceinturé d’explosifs pour nous faire peur. Personne ne les approchait. »
Dans les classes transformées pour la circonstance en chambrées, la vue des matelas entassés, redressés, de la vaisselle, des tapis roulés, des vêtements enfouis dans des sacs plastique, laisse deviner les efforts des mères palestiniennes pour préserver un minimum d’intimité et d’ordre.
« La promiscuité est difficile, explique Ahmad, 21 ans. Nous ne vivons pas comme cela habituellement. Les classes de 20 mètres carrés accueillent jusqu’à 35 personnes. À bout de nerf, les jeunes finissent dormir dehors », soupire une mère. Au milieu du préau, des femmes assises à des tables notent les noms des familles et leur situation. Un moyen de déterminer l’attribution des aides, d’obtenir des nouvelles des membres disparus.
Dans la cour, deux jeunes hommes armés arpentent le bitume, trompent leur désœuvrement en discutant avec les réfugiés. Non loin d’eux, des enfants jouent au football. Des membres de l’UN procèdent à une coupe drastique des cheveux des plus petits pour éviter la prolifération des poux dans le bâtiment. Adossée à un pilier, Najjar Nassar raconte son histoire. Originaire du quartier de Safouri, au cœur de Nahr el-Bared, elle décrit les immeubles effondrés sous le pilonnage des mortiers, les morts dans les rues que personne n’a eu le temps d’enterrer. « Il ne restait plus qu’une mosquée et un seul médecin quand je suis partie. » Najjar Nassar attend l’approbation des jeunes autour d’elle avant de poursuivre : « Oui, cela s’est passé ainsi… Ma famille a tout perdu. Notre situation était très difficile avant, maintenant elle va être tragique. »
À Bourj el-Brajneh, à Beyrouth ouest, les 200 familles venues trouver refuge logent chez des familles. Le temps, comme à Beddaoui, s’écoule avec une lenteur infinie. Entassés dans un salon de 15 mètres carrés, neuf femmes assises, un homme, des enfants. Dans cette maison conçue pour dix, ils sont 35 depuis cinq jours. Un toilette, une salle de bain pour tous. Une moiteur torride, une fenêtre ouverte sur un mur et l’absence d’air. « Non, nous ne faisons rien. Que pouvons-nous faire sinon attendre ? » Que faire, en effet, sinon guetter sur l’écran d’une télévision allumée en permanence le silence des armes. L’association “Women’s Humanitarian” est implantée dans tous les camps depuis 1992. « Nous tentons de résoudre les problèmes des sous-vêtements, des voiles pour les femmes, des chaussures.Pour les enfants, nous créons des animations, explique Fadi, responsable de Bourj el-Brajneh. On essaye de leur faire oublier ce qui se passe, car les adultes en parlent beaucoup. » L’ambiance est pareille à celle de tous les autres jours. Vive, intense. Bigarrée. « Vous savez, il y a un an, le Fatah el-Islam a essayé de s’implanter ici. On s’est tous réunis avec les factions du camp et tous ensemble nous les avons chassés. »
Sources Afrikarabia
Posté par Adriana Evangelizt