ARIEL SHARON OU LA RUSE DU FAUCON
Ariel Sharon ou la ruse du faucon
Celui qui a été reçu en superstar à New York, il y a tout juste deux semaines, et qui vient d'être réélu à la tête du Likoud, n'a pas changé. Il s'adapte aux dangers.
Qui arrêtera Ariel Sharon? Au terme d'une aventure politique comme seul Israël peut les offrir, l'homme est – à nouveau – sorti victorieux, comme une bouée que l'on plaquerait des deux mains au fond d'une piscine mais qui, toujours, ressortirait à la surface. Il y a eu des cris et des empoignades. Il y a eu des tribuns à deux doigts de la crise cardiaque, tant la politique est, ici, une affaire de cœur et de tripes. Il y a eu des magouilles, des tentatives de sabotage et, peut-être, des promesses de cadeaux et des dessous-de-table. Il y a eu du drame et de la rage parmi les 3000 membres du comité central du Likoud qui s'étaient donné pour tâche, rien de moins, que de sacrifier leur père politique. Mais Sharon est remonté à la surface. A nouveau.
L'épisode, au-delà de son aspect romanesque, revêtait un caractère pour le moins inhabituel. Voilà un parti, le Likoud, qui était prêt à se saborder alors qu'il est au faîte du pouvoir. Voilà les cadres du parti prêts à jeter par-dessus bord celui qui les a amenés là où ils sont, et que tous les sondages placent, de très loin, comme l'homme politique le plus populaire du pays. «Un leader sans parti, et un parti sans leader», disait la formule jusqu'à bien avancée la nuit de lundi. Ce n'est plus vrai désormais: «Le bulldozer», «Arik roi d'Israël», pour reprendre ses deux sobriquets les plus courants, restera à la fois premier ministre et chef de file du Likoud. Il s'en est fallu de peu, certes, pour que son rival Benjamin Netanyahou prenne le dessus et entraîne le pays vers de nouvelles élections. Au passage, le parti a élargi ses failles et ce n'est peut-être que partie remise. Mais jusqu'ici, Sharon a tenu bon.
Faut-il souligner la métamorphose? Faut-il, pour prendre la mesure de la reconversion, rappeler les faits de guerre du général, ses agissements à la tête des commandos d'élite, son rôle dans la guerre du Liban? «Traître», «tyran», «criminel», en sont venus à dire certains de ses compagnons politiques, aujourd'hui désorientés. Les qualificatifs étaient grosso modo les mêmes dans les rues de Tel-Aviv, en 1983, lorsque des centaines de milliers de manifestants israéliens réclamaient, à la suite du massacre de Sabra et Chatila, la démission de celui qui était alors ministre de la Défense.
L'ampleur du changement n'a peut-être jamais apparu aussi clairement qu'il y a deux semaines, à New York, lors du sommet mondial célébrant les 60 ans de l'ONU. Ariel Sharon y est apparu comme le protagoniste incontesté, celui que tout le monde voulait rencontrer. Il y a serré la main du Pakistanais Pervez Musharraf, rencontré en tête-à-tête George Bush, Kofi Annan, noué des contacts avec le Qatar, l'Indonésie, la Jordanie... L'évacuation des colonies de Gaza, qu'il avait lui-même fortement contribué à bâtir, a fait plus que rendre fréquentable Ariel Sharon. Elle l'a converti en une superstar internationale.
L'homme, pourtant, garde les idées claires, et ne perd pas une occasion de les exposer. Si son micro n'était pas tombé mystérieusement en panne, dimanche, lors de la réunion chahutée du Likoud, voici ce qu'il aurait dit à ses coreligionnaires, pour les convaincre de voter en sa faveur: «Nous devons choisir le chemin et le Likoud que nous voulons. Nous déciderons que ce sera un Likoud au cœur du consensus national ou un Likoud radical, poussé dans les marges. Un grand, influent, parti de pouvoir ou un petit parti sans influence, comme celui dont j'ai hérité il y a six ans», aurait-il dit en référence à Netanyahou, premier ministre et chef du parti jusqu'en 1999.
Plus révélateur, il aurait poursuivi: «Nous avons un rêve qui est bon et juste. Mais il y a aussi une réalité qui est difficile et exigeante. Il est impossible d'avoir un Etat juif démocratique et, en même temps, contrôler tout Eretz Israel (le grand Israël comprenant la Palestine). Si nous insistons pour réaliser ce rêve, nous pouvons perdre absolument tout. »
Ariel Sharon n'a pas changé, mais s'est adapté à la nouvelle réalité. Danger «démographique»: bientôt l'Etat hébreu aura à l'intérieur du territoire qu'il contrôle, une plus grande population musulmane que juive. Plus rien ne s'opposera alors à la comparaison avec le régime d'apartheid d'Afrique du Sud. Danger diplomatique, aussi: continuer à tergiverser sur un plan de paix (la Feuille de route) accepté par l'ensemble de la communauté internationale, c'était courir le risque de se voir imposer, à terme, un règlement moins avantageux. Sans compter également l'Initiative de Genève qui, bien qu'actuellement irréalisable, commençait à poindre le bout de son nez au moment où Sharon s'est décidé pour le désengagement de Gaza. «Nous pouvons perdre absolument tout», aurait-il expliqué aux délégués du Likoud si son micro avait fonctionné. Mais il n'a pas eu besoin de le faire: une partie d'entre eux le savaient déjà.
Ainsi vont les choses: cette même organisation des Nations unies, devant laquelle Ariel Sharon s'est exprimé en hébreu il y a deux semaines, se rappelait lundi à son bon souvenir. Le désengagement de Gaza a permis à Israël de détourner l'attention sur ses velléités d'expansion dans le reste des territoires palestiniens, note le rapporteur spécial de l'ONU, le Sud-Africain John Dugard. Cela a permis «de continuer la construction du mur en territoire palestinien, l'expansion des colonies ainsi que la dépalestinisation de Jérusalem, en ne soulevant pratiquement aucune critique», dit-il. Pour John Dugard, il ne fait pas de doute: la «barrière de sécurité» qui court à l'intérieur de la Cisjordanie, est destinée à devenir» la future frontière de l'Etat d'Israël «. Et les larges colonies de peuplement qui entourent Jérusalem seront bientôt connectées à la Cité sainte, rendant hautement improbable tout retour en arrière. Mais son rapport, destiné à la Commission des droits de l'homme de Genève, fait incomparablement moins de bruit qu'une réunion du Likoud.
Malgré ce qu'affirment ses détracteurs au sein de son propre parti, malgré ce que laissent croire ses succès internationaux, le faucon ne s'est pas transformé en colombe. En bon combattant, Ariel Sharon a amené l'adversaire sur son terrain. En talentueux metteur en scène, il a provoqué une explosion dans un coin de la scène pour que les spectateurs ne s'aperçoivent pas du changement de décor.
Face à un Likoud que son chef a placé «au cœur du consensus national», la gauche apparaît comme anesthésiée. D'autant que le travailliste Shimon Peres a servi jusqu'ici de fidèle lieutenant à Sharon, lui apportant un soutien pratiquement sans faille. Timidement, très timidement, la gauche de la gauche israélienne tente seule aujourd'hui de faire entendre une version moins flatteuse pour Sharon. Dans un commentaire dépité, le commentateur Akiva Eldar s'en prenait vertement à cette fraction de la gauche, dans le journal Haaretz: «Le parti qui a manqué une rare occasion de tirer des bénéfices de la crise du Likoud est le camp de la paix israélien. Au lieu de proposer une alternative diplomatique, un agenda économique et social et des critères moraux différents, il s'est transformé en une équipe de pom-pom girls au Palais des Expositions de Tel-Aviv, là où se tenait la réunion du Likoud. »
Car rien n'y a fait. Ni les déchirements du Likoud; ni la malédiction religieuse prononcée par certains rabbins à la veille du retrait de Gaza, qui aurait dû signifier la mort du premier ministre; ni même le tir de barrage de roquettes du Hamas, projetées par-dessus les barbelés qui continuent de séparer Gaza du reste du monde: aujourd'hui, Ariel Sharon exprime la volonté d'une très large partie de l'opinion israélienne. Peu lui importe, en réalité, que le premier ministre soit de droite ou de gauche. Il sait où il va.
Et il y va sans hésitation. Car, non content de brouiller complètement l'échiquier israélien, il vient aussi de planter un clou dans ce qui pourrait se révéler le cercueil politique du président palestinien Mahmoud Abbas. «Une élection ne se tiendra pas dans les territoires palestiniens avec la présence du Hamas», a-t-il fait savoir entre deux crises internes de son parti. L'exigence ne manque pas de sens. Le Hamas n'est-il pas, en partie, un mouvement terroriste qui n'a jamais reconnu l'existence d'Israël? Serait-il judicieux de le laisser s'installer aux commandes du pouvoir aux portes mêmes de l'Etat hébreu? Ce qui est plus problématique, c'est pourtant de ne pas se souvenir que Mahmoud Abbas, en raison notamment de sa fragilité, a choisi jusqu'ici de collaborer avec toutes les factions palestiniennes plutôt que de les combattre. La revendication d'Ariel Sharon, de fait, correspond à rendre impossible la tenue d'élections palestiniennes.
Une bande de Gaza proche du chaos, dans laquelle les Palestiniens n'ont pas fini de se débattre sous le coup des exigences de l'Etat hébreu; une Cisjordanie offerte aux bulldozers israéliens; une opposition inexistante et un prestige international sans précédent. La récolte vaut bien quelques déconvenues parmi les délégués du Likoud.
L'épisode, au-delà de son aspect romanesque, revêtait un caractère pour le moins inhabituel. Voilà un parti, le Likoud, qui était prêt à se saborder alors qu'il est au faîte du pouvoir. Voilà les cadres du parti prêts à jeter par-dessus bord celui qui les a amenés là où ils sont, et que tous les sondages placent, de très loin, comme l'homme politique le plus populaire du pays. «Un leader sans parti, et un parti sans leader», disait la formule jusqu'à bien avancée la nuit de lundi. Ce n'est plus vrai désormais: «Le bulldozer», «Arik roi d'Israël», pour reprendre ses deux sobriquets les plus courants, restera à la fois premier ministre et chef de file du Likoud. Il s'en est fallu de peu, certes, pour que son rival Benjamin Netanyahou prenne le dessus et entraîne le pays vers de nouvelles élections. Au passage, le parti a élargi ses failles et ce n'est peut-être que partie remise. Mais jusqu'ici, Sharon a tenu bon.
Faut-il souligner la métamorphose? Faut-il, pour prendre la mesure de la reconversion, rappeler les faits de guerre du général, ses agissements à la tête des commandos d'élite, son rôle dans la guerre du Liban? «Traître», «tyran», «criminel», en sont venus à dire certains de ses compagnons politiques, aujourd'hui désorientés. Les qualificatifs étaient grosso modo les mêmes dans les rues de Tel-Aviv, en 1983, lorsque des centaines de milliers de manifestants israéliens réclamaient, à la suite du massacre de Sabra et Chatila, la démission de celui qui était alors ministre de la Défense.
L'ampleur du changement n'a peut-être jamais apparu aussi clairement qu'il y a deux semaines, à New York, lors du sommet mondial célébrant les 60 ans de l'ONU. Ariel Sharon y est apparu comme le protagoniste incontesté, celui que tout le monde voulait rencontrer. Il y a serré la main du Pakistanais Pervez Musharraf, rencontré en tête-à-tête George Bush, Kofi Annan, noué des contacts avec le Qatar, l'Indonésie, la Jordanie... L'évacuation des colonies de Gaza, qu'il avait lui-même fortement contribué à bâtir, a fait plus que rendre fréquentable Ariel Sharon. Elle l'a converti en une superstar internationale.
L'homme, pourtant, garde les idées claires, et ne perd pas une occasion de les exposer. Si son micro n'était pas tombé mystérieusement en panne, dimanche, lors de la réunion chahutée du Likoud, voici ce qu'il aurait dit à ses coreligionnaires, pour les convaincre de voter en sa faveur: «Nous devons choisir le chemin et le Likoud que nous voulons. Nous déciderons que ce sera un Likoud au cœur du consensus national ou un Likoud radical, poussé dans les marges. Un grand, influent, parti de pouvoir ou un petit parti sans influence, comme celui dont j'ai hérité il y a six ans», aurait-il dit en référence à Netanyahou, premier ministre et chef du parti jusqu'en 1999.
Plus révélateur, il aurait poursuivi: «Nous avons un rêve qui est bon et juste. Mais il y a aussi une réalité qui est difficile et exigeante. Il est impossible d'avoir un Etat juif démocratique et, en même temps, contrôler tout Eretz Israel (le grand Israël comprenant la Palestine). Si nous insistons pour réaliser ce rêve, nous pouvons perdre absolument tout. »
Ariel Sharon n'a pas changé, mais s'est adapté à la nouvelle réalité. Danger «démographique»: bientôt l'Etat hébreu aura à l'intérieur du territoire qu'il contrôle, une plus grande population musulmane que juive. Plus rien ne s'opposera alors à la comparaison avec le régime d'apartheid d'Afrique du Sud. Danger diplomatique, aussi: continuer à tergiverser sur un plan de paix (la Feuille de route) accepté par l'ensemble de la communauté internationale, c'était courir le risque de se voir imposer, à terme, un règlement moins avantageux. Sans compter également l'Initiative de Genève qui, bien qu'actuellement irréalisable, commençait à poindre le bout de son nez au moment où Sharon s'est décidé pour le désengagement de Gaza. «Nous pouvons perdre absolument tout», aurait-il expliqué aux délégués du Likoud si son micro avait fonctionné. Mais il n'a pas eu besoin de le faire: une partie d'entre eux le savaient déjà.
Ainsi vont les choses: cette même organisation des Nations unies, devant laquelle Ariel Sharon s'est exprimé en hébreu il y a deux semaines, se rappelait lundi à son bon souvenir. Le désengagement de Gaza a permis à Israël de détourner l'attention sur ses velléités d'expansion dans le reste des territoires palestiniens, note le rapporteur spécial de l'ONU, le Sud-Africain John Dugard. Cela a permis «de continuer la construction du mur en territoire palestinien, l'expansion des colonies ainsi que la dépalestinisation de Jérusalem, en ne soulevant pratiquement aucune critique», dit-il. Pour John Dugard, il ne fait pas de doute: la «barrière de sécurité» qui court à l'intérieur de la Cisjordanie, est destinée à devenir» la future frontière de l'Etat d'Israël «. Et les larges colonies de peuplement qui entourent Jérusalem seront bientôt connectées à la Cité sainte, rendant hautement improbable tout retour en arrière. Mais son rapport, destiné à la Commission des droits de l'homme de Genève, fait incomparablement moins de bruit qu'une réunion du Likoud.
Malgré ce qu'affirment ses détracteurs au sein de son propre parti, malgré ce que laissent croire ses succès internationaux, le faucon ne s'est pas transformé en colombe. En bon combattant, Ariel Sharon a amené l'adversaire sur son terrain. En talentueux metteur en scène, il a provoqué une explosion dans un coin de la scène pour que les spectateurs ne s'aperçoivent pas du changement de décor.
Face à un Likoud que son chef a placé «au cœur du consensus national», la gauche apparaît comme anesthésiée. D'autant que le travailliste Shimon Peres a servi jusqu'ici de fidèle lieutenant à Sharon, lui apportant un soutien pratiquement sans faille. Timidement, très timidement, la gauche de la gauche israélienne tente seule aujourd'hui de faire entendre une version moins flatteuse pour Sharon. Dans un commentaire dépité, le commentateur Akiva Eldar s'en prenait vertement à cette fraction de la gauche, dans le journal Haaretz: «Le parti qui a manqué une rare occasion de tirer des bénéfices de la crise du Likoud est le camp de la paix israélien. Au lieu de proposer une alternative diplomatique, un agenda économique et social et des critères moraux différents, il s'est transformé en une équipe de pom-pom girls au Palais des Expositions de Tel-Aviv, là où se tenait la réunion du Likoud. »
Car rien n'y a fait. Ni les déchirements du Likoud; ni la malédiction religieuse prononcée par certains rabbins à la veille du retrait de Gaza, qui aurait dû signifier la mort du premier ministre; ni même le tir de barrage de roquettes du Hamas, projetées par-dessus les barbelés qui continuent de séparer Gaza du reste du monde: aujourd'hui, Ariel Sharon exprime la volonté d'une très large partie de l'opinion israélienne. Peu lui importe, en réalité, que le premier ministre soit de droite ou de gauche. Il sait où il va.
Et il y va sans hésitation. Car, non content de brouiller complètement l'échiquier israélien, il vient aussi de planter un clou dans ce qui pourrait se révéler le cercueil politique du président palestinien Mahmoud Abbas. «Une élection ne se tiendra pas dans les territoires palestiniens avec la présence du Hamas», a-t-il fait savoir entre deux crises internes de son parti. L'exigence ne manque pas de sens. Le Hamas n'est-il pas, en partie, un mouvement terroriste qui n'a jamais reconnu l'existence d'Israël? Serait-il judicieux de le laisser s'installer aux commandes du pouvoir aux portes mêmes de l'Etat hébreu? Ce qui est plus problématique, c'est pourtant de ne pas se souvenir que Mahmoud Abbas, en raison notamment de sa fragilité, a choisi jusqu'ici de collaborer avec toutes les factions palestiniennes plutôt que de les combattre. La revendication d'Ariel Sharon, de fait, correspond à rendre impossible la tenue d'élections palestiniennes.
Une bande de Gaza proche du chaos, dans laquelle les Palestiniens n'ont pas fini de se débattre sous le coup des exigences de l'Etat hébreu; une Cisjordanie offerte aux bulldozers israéliens; une opposition inexistante et un prestige international sans précédent. La récolte vaut bien quelques déconvenues parmi les délégués du Likoud.
Sources LE TEMPS
Posté par Adriana Evangelizt