L'ELECTION DE SHARON
"LE VOTE EN FAVEUR DE SHARON REFLETE SURTOUT LA PEUR DE LA SCISSION"
Marion Dumand et Denis Sieffert
Le comité central du Likoud a préféré l’actuel Premier ministre à son rival, Benjamin Netanyahou. Historien israélien de renom, Zeev Sternhell* analyse ce choix : une volonté de garder la droite unie, plutôt qu’un soutien à la politique de son chef.
Lundi soir, le comité central du Likoud a soutenu l’actuel Premier ministre israélien, Ariel Sharon, contre son adversaire, Benjamin Netanyahou. Comment interprétez-vous ce scrutin ?
Zeev Sternhell : N’oublions pas de préciser que le scrutin a été très serré : sur les 2 800 votants, membres du comité central, Sharon a obtenu 100 voix de plus que Netanyahou. Ce résultat est une surprise : tous les sondages le donnaient perdant, si ce n’est le dernier, fait quelques heures à peine avant les résultats. Mais il faut être clair : ce n’est pas là une victoire pour la poursuite du « processus de paix » ou, l’expression est plus juste, des négociations avec les Palestiniens sur un accord global. Il s’agit avant tout d’un vote pour le pouvoir, pour que le Likoud reste à la tête du gouvernement. En effet, voter contre Ariel Sharon aurait signifié son départ et la constitution d’un parti politique de centre droit. Avec Benjamin Netanyahou à sa tête, l’autre moitié du Likoud aurait alors été repoussée vers les marges de la droite et serait devenue la droite extrême : en effet, il existe un noyau dur, représentant environ 30 % du Likoud, qui s’oppose à toute négociation véritable avec les Palestiniens.
Selon vous, le chantage à la scission exercé ces derniers jours par Ariel Sharon a donc porté ses fruits, bien plus que sa politique n’a séduit ?
Le comité central a voté contre un danger réel, l’aventure que lui proposait Netanyahou, d’autant que ce dernier n’a pas présenté son projet dans des conditions dignes d’un homme d’État, notamment en le menant sur le tard. À ses côtés, on retrouve cependant un certain nombre de ministres, dont celle de l’Éducation nationale, qui n’a cessé de retourner sa veste jusqu’au dernier moment. Si Sharon veut maintenant faire preuve de leadership, il devrait commencer par demander à ces ministres, de l’Éducation et de l’Agriculture, ainsi qu’au président de la coalition du Likoud au Parlement de démissionner, à titre d’exemple. Car s’il est possible d’être contre ou pour le Premier ministre, soutenir alternativement ces deux positions dans un même temps est absurde... En fait, ce comportement est symptomatique d’un vrai problème de culture politique, qui est à mon avis le problème essentiel. En effet, le système électoral israélien ne se retrouve nulle part ailleurs, à l’exception des Pays-Bas, où la relative tranquillité de la vie politique le rend moins dommageable. Nous avons besoin d’une réforme de ce système pour avoir une démocratie parlementaire véritable. Je m’explique : les députés devraient être élus par leurs concitoyens et non, comme c’est le cas actuellement, par le comité central du Likoud. Ce système concentre non seulement un pouvoir énorme entre les mains du Likoud, mais il entretient également le clientélisme et un niveau de corruption politique à la limite du supportable dans une démocratie. S’ajoute à cela un autre phénomène qui, lui, concerne également le Parti rravailliste : le poids de l’argent. Au sein du Likoud, il faut être en mesure d’offrir quelque chose au comité central. Et dans le Parti travailliste, où l’ensemble du parti vote, une somme d’argent considérable est nécessaire pour mener campagne. Dans les deux cas, le système incite à la corruption.
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* Politologue et historien des idées, Zeev Sternhell enseigne à l’Université hébraïque de Jérusalem et est l’auteur de nombreux ouvrages, dont la Droite révolutionnaire (1885-1914), les origines françaises du fascisme (1978) et Aux origines d’Israël, entre nationalisme et socialisme (1996), publiés par Fayard et maintenant disponibles en « Folio histoire ».
Sources : POLITIS