Considérations sur l’interview de Mustapha Barghouti

Publié le par Adriana Evangelizt


Considérations sur l’interview de Mustapha Barghouti


Gouns

publié le lundi 16 juin 2008



Pour lire l’interview de Mustapha Barghouti auquel ce texte fait référence : http://www.protection-palestine.org/spip.php ?article6182

Dans une interview récente Mustapha Barghouti s’exprimait ainsi. « Si l’on veut être objectif, il faut reconnaître qu’aussi bien Hamas que Hezbollah sont la conséquence de l’intransigeance israélienne ». Que dire de ce truisme ? Par définition l’émergence de tout mouvement contestataire est la conséquence de l’intransigeance du système dominant. Ainsi nous pouvons affirmer de la même façon que le passage du Fatah à la lutte armée en 1965 fut la conséquence de l’intransigeance de l’Etat d’Israël. Du temps de l’Algérie coloniale, la création du FLN en 1954 fut bien la conséquence de l’intransigeance française face au MTLD de Messali Haj. Pareillement la création historique des partis socialistes et communistes peut être considérée comme la conséquence de l’intransigeance des régimes bourgeois face aux mouvements justicialistes antérieurs. On le constate rien de nouveau sous le soleil.

Cependant derrière cette évidence se dissimule en fait une insinuation courante concernant Hamas, à savoir que sa création aurait été supervisée par les services israéliens eux mêmes ou qu’au moins ceux ci auraient considérée celle ci d’un bon œil. Là encore, est il nécessaire de souligner que tout pouvoir établi cherche à exploiter la naissance d’un nouveau mouvement d’opposition dans la perspective de fragmenter la contestation globale ? Le fameux « diviser pour régner ». Ainsi en Russie tsariste, par exemple, la police politique, la terrible Okrana vit sans doute dans un premier temps d’un bon œil, l’émergence du parti Social Démocrate de Russie en contrepoint des mouvements antérieurs, nihilistes ou socialistes révolutionnaires, plus radicaux en apparence et pratiquant à la différence du POSDR, un terrorisme débridé au sens propre du terme. Evidemment si celle ci avait pu se douter qu’il s’agissait là en germe du futur parti bolchevique de Lénine ; celui là même qui abattrait la dynastie des Romanov...D’ailleurs le fait que l’Okrana ait réussi a infiltrer l’organisation des gardes rouges jusqu’à sa direction n’a rien changé au sens de l’histoire, comme on disait.

Mais revenons en aux propos de Moustapha Barghouti. Sa remarque laisse entendre de toute évidence qu’il y aurait quelque chose d’anormal dans l’émergence de ces deux formations, Hamas et Hezbollah. Comme si, créations "ex-nihilo", elles n’avaient rien de commun dans le fond avec les sociétés palestiniennes et libanaise elles-mêmes. Filles de la violence et d’intrigues israéliennes, elles seraient de ce fait dés la naissance disqualifiées. Inutile de préciser que cette thèse surfant allègrement sur certains préjugés post ou pré 11 septembre, ne correspond en rien à la réalité. Bien sûr, il y aurait beaucoup à dire sur la sécularisation des mouvements religieux dans cette région et leur insertion difficile dans le jeu politique. Mais selon le mot célèbre, plus qu’une erreur, ce serait une faute politique que de présenter ou laisser présenter ces formations comme des forces quasi exogènes, voire artificielles. Et même si Israël depuis longtemps en quête d’une alternative modérée à l’OLP, s’est sans doute réjoui dans un premier temps de l’émergence de Hamas, les dynamiques sociales qui ont présidé à son apparition sont bien réelles. Dans le même temps reconnaissons le, il est indéniable que le Hamas des années 80, bigot et organisé autour de sociétés sportives ( Tiens donc, le sport encore… la résistance chinoise anti britannique du XIX eme siècle, dissimula ses activités derrière des clubs de boxe, au moment de la fameuse "révolte des boxers") n’a plus grand chose à voir avec le Hamas d’aujourd’hui.. Mais venons-en à la proposition essentielle de Moustapha Barghouti. Organiser un grand mouvement de contestation palestinien, usant des moyens pacifiques qui furent ceux du Mahatma Gandhi et de Nelson Mandela. Tout d’abord objectons que l’idée selon laquelle le mouvement de Gandhi et plus encore celui de Nelson Mandela auraient vaincu par le seul effet de leurs moyens pacifiques n’est ni plus ni moins qu’une contre vérité absolue. Concernant le mouvement de Gandhi, nous ferons tout d’abord remarquer que celui ci n’avait pas à lutter comme les Palestiniens ont à le faire, contre un colonialisme de peuplement mais contre une administration coloniale cherchant à exploiter les Indes dans un sens capitaliste. La puissance britannique administrait la perle de l’Empire, certes d’une main de fer, mais à l’exception des troupes, administrateurs civils et entrepreneurs, il ne s’y trouvait ni colonie ni kibboutz , cherchant à se substituer aux indigènes. Nuance de taille. De plus le combat libérateur de Gandhi se déroulait à un moment historique, la seconde guerre mondiale puis la Guerre Froide, plutôt favorable au combat anti colonial. En effet la crainte de voir l’Inde basculer tout comme la Chine commençait à la faire alors dans le communisme amenant les Britanniques, poussés par les Etats-Unis, à reconsidérer leur présence dans ce pays..

Plus encore en marge de ce mouvement apparemment pacifique, de nombreuses actions violentes se sont déroulées en permanence contre des agents du colonialisme ou des infrastructures britanniques. De plus, rappelons qu’après la guerre, Londres, qui est déjà acquis à l’indépendance des Indes depuis les années 30, cherche surtout à formaliser ses relations avec le futur et inéluctable Etat indépendant. Enfin au chapitre des méthodes de lutte, la totale dépendance économique palestinienne vis à vis de l’Occident et même d’Israël, revers de la fameuse aide internationale, n’empêche certes pas mais rend assurément beaucoup plus difficile tout mouvement de boycott comparable à ceux initiés par Gandhi. Autre distinction, le parti du Congrès indien pouvait sans problème jeter dans la rue des masses humaines considérables qui évidemment font largement défaut aux Palestiniens. Toutes ces raisons nous amènent à relativiser cette référence aux méthodes de Gandhi comme lui même les relativisa à travers ces quelques citations. « Je crois que pour se libérer s’il y a seulement le choix entre la violence et la lâcheté, je conseille la violence. » mais aussi « Je répétais à chaque réunion l’avertissement qu’à moins qu’ils sentent qu’avec la non-violence ils avaient une force infiniment supérieure à celle qu’ils possédaient avant, ils ne devaient pas appliquer la non-violence et reprendre les armes.

Venons en maintenant à la comparaison encore plus saugrenue avec l’ANC. L’African national Congres qui abandonne dés 1960 la stratégie de non violence se dote alors d’une branche armée au nom très poétique de "la lance de la nation" ( /Umkhonto we Sizwe/ ). Celle ci pose des bombes dans les supermarchés et les cinémas des quartiers blancs d’Afrique du sud, attaque des civils blancs dans leurs fermes-colonies isolées. Des femmes et des enfants blancs y sont parfois massacrés. Des collaborateurs indigènes se voient appliqués le fameux supplice du pneu (un pneu enflammé autour de la taille ). De plus si la corruption au sein de l’ANC, notamment celle de Winnie Mandella a toujours été patente, l’ANC pour autant n’a jamais été déconsidérée, ni qualifiée de mouvement corrompu. Car à la différence de ce qui se passe avec le mouvement de libération palestinien, c’est la justesse de la cause qui a toujours été interrogée et non ses épiphénomènes ni les moyens mis en oeuvre. De plus, autre élément favorable à la lutte de l’ANC dont ne jouit pas le mouvement palestinien, notons que l’apartheid dans les années 80 étant devenu complètement obsolète du point de vue de leurs intérêts et même contre productif, il importait, surtout pour les Etats-Unis de faire évoluer en douceur le système. Cependant l’impérialisme, fainéant de nature ne consent à un changement que contraint et forcé aussi nul doute que sans l’opposition résolue de l’ANC, il aurait certainement perduré. Il est clair que dés la présidence de Carter, certains décideurs états- uniens sont convaincus de la nécessité de réformer le régime d’Apartheid. Cette volonté allait de surcroît rencontrer une impulsion nouvelle dans les années 80, sous Ronald Reagan, à un moment où ( encore ) pour cause de regel dans la guerre froide ( l’invasion du Liban par Israël , celle de l’île de la Grenade par les Marine’s, l’Afghanistan, le Salvador etc ), il s’agissait en poussant à la libéralisation de l’Afrique du sud de conserver l’essentiel tout en privant la propagande soviétique d’un argument anti impérialiste de poids.

Mais revenons en à la Palestine et interrogeons nous plutôt sur le refus des médias main stream qui est aussi celui de certains prétendus amis de la Palestine de mettre la violence libératrice au crédit de l’occupation israélienne comme on le faisait alors avec le régime de Prétoria. Ainsi les moyens de lutte dont se dote le mouvement national palestinien, toutes tendances confondues ont aux yeux de beaucoup en France, y compris à l’extrême gauche, beaucoup plus d’importance que les buts libérateurs. Et pourtant, les mêmes qui aujourd’hui fustigent le terrorisme palestinien s’empressant de lui administrer des leçons de morale, comme ce fut encore le cas dernièrement lors de l’attentat contre la Yéchiva de Jérusalem, oublient qu’aussi bien le PCF, le Mouvement de la paix, la CGT sans parler des autres courants de la gauche française ne trouvèrent jamais rien à redire aux attentats anti blancs de l’ANC. Le pouvoir raciste d’Afrique du sud étant jugé responsable en gros et en détail de la totalité des pertes humaines enregistrées dans cette partie du monde. Quant à Nelson Mandela rappelons que cet adepte supposé de la non violence fut arrêté en 1962 à son retour d’Algérie dirigée alors par Ben Bella. Il n’y était pas allé précisément pour y apprendre la poterie traditionnelle mais revenait d’un entraînement militaire (effectué dans la bonne ville de Maghnia.)

Bien entendu toute violence est détestable et tout indique qu’un débat sur la militarisation ayant gangrené certains mouvements de libération, allant jusqu’à hypothéquer gravement leur devenir, n’est pas superflu. Mais l’inverse n’est il pas vrai. Comment imaginer une issue favorable à ces mouvements sans rapport de forces réel ? Qui peut croire que la désobéissance civile pourrait à elle seule déloger les colons de Cisjordanie et Jérusalem, permettre le retour des réfugiés, libérer les prisonniers et Jérusalem ? Quant à la solidarité internationale, soyons réaliste, pour vaillante qu’elle soit, son niveau actuel, médiocre, est bien incapable de faire opérer à ce rapport de forces un basculement significatif. Il est croustillant de noter que les plus grands succès diplomatiques de l’OLP (Arafat à l’ONU en 1976 par exemple) furent obtenus à une époque, les années 70, qui vit les Palestiniens pratiquer le « terrorisme » spectaculaire à grande échelle. Opposer la 1ere Intifada réputée pacifique (au moins 800 jeunes assassinés !) à la seconde, censée avoir été militarisée, elle, par Arafat, comme certains le laissent entendre, est un non sens supplémentaire. C’est d’abord ignorer que la 1ere Intifada est loin d’avoir été aussi spontanée qu’on le prétend. Elle a été entretenue par Arafat et Abou Jihad eux mêmes depuis Tunis. Abou Jihad payant d’ailleurs de sa vie son rôle décisif dans ce mouvement. Les hommes d’Abou Jihad et le Hamas qui venait de se créer entreprirent alors plusieurs actions armées et exécutèrent des collaborateurs. D’ailleurs, c’est précisément l’échec de cette 1ere intifada plutôt pacifique qui orientera différemment la seconde. Quant à cette dernière elle aura qu’on le veuille ou non aboutit par les armes, à la libération de Gaza même s’il s’agissait pour Sharon d’une manœuvre dilatoire, diviser le mouvement palestinien en se repliant sur la Palestine utile, la Cisjordanie. Cependant de toute évidence il faut retenir de la situation actuelle en Palestine que les difficultés qu’affrontent les Palestiniens, ne serait ce qu’en raison du nombre de leurs ennemis, sont bien plus considérables que celles qu’eurent à affronter la plupart des mouvements de libération de l’époque récente. Même si à première vue les pertes qu’ils enregistrent peuvent paraître faibles en comparaison de celles enregistrées au Vietnam ou en Algérie.

Assurément, déloger la colonialisme israélien s’avère une tâche autrement plus complexe que ne le furent celles de combattre l’impérialisme Etats unien ou le colonialisme français. Qui plus est, dans un isolement international pour le mouvement national palestinien, des plus terrifiants. Cependant si aucune hypothèse de lutte n’est à écarter, lutte civile comme lutte armée, il est fort douteux qu’Israël se serait laisser convaincre par des méthodes de désobéissance civile à la Gandhi, pour consentir à l’arrêt des assassinats « ciblés » à Gaza et à la libération des prisonniers comme Hamas est en passe de les obtenir par l’intermédiaire de l’Egypte. Un éventuel succès dans ce domaine ayant de toute évidence plus à voir avec la crainte que l’Etat sioniste éprouve face aux roquettes sur Sderot et Ashkelon, dont il est incapable d’interrompre les salves, qu’avec la volonté de se dernier de se conformer au droit international. De toute évidence la lutte armée, on l’a constaté dans tous les mouvements de libération, portent souvent en elle le déni de démocratie mais il est sûr que déposer les armes signifierait pour les Palestiniens, la mort programmée de leur entreprise de libération. Une mort sur laquelle un prétendu soutien accru des opinions occidentales, en échange, ne permettrait pas de revenir. Cependant gageons que très rapidement une lutte armée comparable à celle de Gaza et fruit de l’intransigeance israélienne, renaîtra en Cisjordanie. Elle sera le fait de Fatah comme de Hamas, du Jihad ou du FPLP. Pour des considérations d’efficacité il serait bon qu’elle soit couplée à un grand mouvement de résistance civile. Mais le choix de ces moyens et de ces cibles, il importera aux Palestiniens et à eux seuls de le déterminer, dans toutes leurs composantes. Soyons clair, la tâche d’un mouvement de solidarité internationale à l’inverse doit être de soutenir un tel combat anti colonial par des manifestations, des collectes de fond ; des missions de solidarité, des pressions politiques sur les gouvernements occidentaux mais, à une exception toutefois, les conseilleurs étant rarement, là encore, les payeurs, celle de toute attitude paternaliste ou moraliste. Une spécialité hexagonale semble t-il.

Gouns- 15 juin 2008

Sources
Protection Palestine

Posté par Adriana Evangelizt

Publié dans palestine

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