La maîtrise de l'eau par Israël
Une excellente analyse de Jacques Decourt dont nous avons déjà publié un article : Autoproclamation de l'Etat d'Israël
LA MAÎTRISE DE L'EAU
L'INDENIABLE APARTHEID
par Jacques Decourt
Histoire d'eau
A la fin du dix-neuvième siècle et dans la première moitié du vingtième, tant dans la Palestine ottomane que sous le mandat britannique, l’administration autorisait tout propriétaire terrien à exploiter librement le sous-sol. Les premiers immigrants juifs ont donc précocement développé des techniques de forage, qui existaient à leur arrivée mais étaient encore très rudimentaires, afin d'utiliser au mieux une ressource précieuse et indispensable à leur prospérité. Cette quête d'eau destinée à l'Etat hébreu date du début des années 1890 lorsque les Sionistes tentèrent de faire figurer le Jourdain et le Litani sur les cartes de la Palestine et le Nil et l'Euphrate sur celles du Grand Israël. Les frontières proposées par les Sionistes après la première guerre mondiale, commençaient sur la Méditerranée, au nord de l'embouchure du Litani, continuaient ensuite vers l'est pour inclure toutes les sources qui se jettent dans le Jourdain, les rives est du lac de Tibériade et tous les affluents du Yarmouk, se poursuivaient plus à l'est vers Amman et se terminaient au sud vers le Golfe d'Aqaba.
Après la création de l'Etat d'Israël en 1948 et jusqu'en 1967, les différences se sont accrues dans la gestion de l'eau entre, d'une part les territoires israéliens gérés par la compagnie nationale Mekorot, responsable de tous les puits et forages du pays, et d'autre part la Cisjordanie, alors incluse dans la Transjordanie, où la gestion individuelle de l'eau a continué de dominer sans que soit mis en place un organisme de contrôle de son utilisation. Bien avant que l'immigration massive des Juifs soviétiques ne vienne attiser la soif déjà considérable d'Israël, le pays était confronté à un déficit en eau qui, en 1990, atteignait les 500 millions de m³ par an.
En 1953, Israël annonce son intention de puiser dans les eaux du Jourdain pour irriguer le Néguev, ce qui déclenche un véritable tollé parmi les pays riverains. Sur une initiative du président Eisenhower, un envoyé spécial, Johnston, est chargé d’élaborer un plan équitable de partage des eaux et en propose le financement. Nasser, en fin politique exige que ce partage soit satisfaisant pour Israël. Mais les Israéliens tombent dans le piège et refuse ce plan. La ligue arabe refusa-t-elle aussi la proposition en 1955. Celui ci sera à peu de chose prés accepté en 1956, mais un peu trop tard. La Jordanie entreprendra quelques années plus tard de puiser dans le Yarmouk (1), les Israéliens en réponse édifient la conduite Tibériade-Negev qui fait passer l’eau sous les tunnels des collines de Galilée, puis par des canaux vers le désert. Partant du principe que l’utilisation des eaux du Jourdain permet l’essor de l’industrie israélienne, la Ligue Arabe menace de déclencher les hostilités. Cet avertissement ne sera pas suivi d’effet car une autre solution sera trouvée et qui consiste au détournement des trois sources du Jourdain. Les travaux débuteront mais seront abandonnés car les Arabes hors des rodomontades ne sont pas capables matériellement d’entrer en conflit avec Israël, une fois de plus fera la démonstration de la politique du fait accompli.
L'une des premières dispositions prises par Israël, après la guerre de juin 1967, est d'appliquer aux Territoires occupés la loi israélienne de nationalisation sur l'eau datant de 1959. Cela initie un système qui empêche les Palestiniens de disposer librement de leurs ressources hydrauliques. La “voie de l'apartheid” naît de l'imposition arbitraire de règlements dits “légaux”, qui étendent l'autorité législative et administrative d'Israël aux Territoires occupés. Pour ce faire, Israël use à outrance de décrets militaires. Vingt-trois puits, représentant 6,5 % de tous les puits, ont été forés depuis le début de l'occupation, au profit exclusif des implantations. Le droit de creuser de nouveaux puits nécessite un permis, délivré à la discrétion des autorités israéliennes.
Dans la bande de Gaza, par exemple, aucun système de permis n'existait avant 1967 et l'utilisation de l'eau relevait du droit coutumier. De même, depuis 1975, la réfection et le nettoyage des puits sont soumis à des autorisations israéliennes, pratiquement jamais accordées. Israël a reconnu sa politique de limitation de nouveaux permis pour les Palestiniens. D’après l'explication officielle, l'économie d'eau et l'amélioration des méthodes d'irrigation permettent une productivité accrue de l'agriculture locale. Une seconde mesure discriminatoire consiste à limiter les quantités d'eau accordées aux populations palestiniennes. Un système de quotas fonctionne depuis 1975 dans les Territoires occupés. Un métrage du débit est ainsi imposé (chaque puits étant équipé d'un compteur) et de lourdes amendes sont infligées aux Palestiniens qui le dépassent. Depuis 1975, Israël n'a augmenté les quotas que quatre fois. La quantité d'eau disponible pour les agriculteurs de Cisjordanie est gelée depuis 1967. Le rationnement a été officiellement imposé pour protéger des ressources qui avaient été jugées déclinantes par des recherches hydrologiques israéliennes, dès 1965. Sa gestion ne devait relever que d'Israël : la compagnie Mekorot a ainsi construit la canalisation de près de 90% des Territoires occupés. C'est elle qui approvisionne non seulement l'ensemble de la population palestinienne mais également les implantations qui se sont établies ultérieurement, et qui ont développé le secteur agricole de Cisjordanie, y compris le long du Jourdain qui est beaucoup moins puissant et majestueux que le laisse entendre la légende et l’histoire. En Europe se serait un ruisseau. A certains moment de l’année, ce n’est qu’un filet d’eau qui s’écoule vers le sud parmi de pauvres collines et plaines désertiques. Mais aujourd’hui comme hier, sa dimension est symbolique et dépasse largement son importance géographique, c’est surtout la frontière entre la Jordanie et la Cisjordanie.
Un ségrégationnisme institutionnel
Ces pratiques discriminatoires sont institutionnalisées : le gouvernement israélien, l'Agence juive, le Fonds national juif (FNJ) contrôlent la Mekorot (Compagnie de gestion israélienne) et la Tahal (Compagnie de planification des ressources en eau d'Israël), dont les objectifs communs sont le soutien exclusif des intérêts israéliens, placent les Territoires palestiniens dans une situation de dépendance juridique et administrative. La pénurie d'eau actuelle est aussi le fait des négligences volontaires d'Israël dans le secteur hydraulique des Territoires occupés. Immédiatement après la guerre de juin 1967, la Mekorot commença la construction d'un vaste réseau d'adduction : le “National Water Carrier”, destiné aux futurs colons. Les systèmes municipaux palestiniens furent laissés à l'abandon et l'investissement public dans les infrastructures économiques et sociales des territoires resta extrêmement faible. Inversement, le FNJ et l'Agence juive, relayés par le gouvernement israélien, encouragent et soutiennent la politique de colonisation par des aides importantes dans le domaine des aménagements hydrauliques. Les autorités israéliennes, jusqu'à une période récente, se sont systématiquement opposées à tout projet de développement hydraulique palestinien. De même, un régime spécial est mis en place pour les “colonies planifiées” (2) : celles-ci ont droit à une allocation d'eau en tant qu'utilisateurs collectifs. Si la répartition de l'eau est laissée à la discrétion de l'administration de la colonie, cette procédure exclut les utilisateurs palestiniens. Il existe un déséquilibre flagrant dans la régularité des approvisionnements : les Israéliens bénéficient de l'eau courante toute l'année, les Palestiniens sont victimes de coupures arbitraires durant l'été, destinées à réaliser des économies d'eau au profit des colonies. La consommation moyenne et annuelle d'un Israélien (357 mètres cubes) est quatre fois plus élevée que celle d'un Palestinien de Cisjordanie (84,6 mètres cubes). La consommation domestique d'un citoyen israélien est trois fois supérieure à celle d'un Palestinien.
Lire aussi de Jacques Decourt : Autoproclamation de l'Etat d'Israël
Posté par Adriana Evangelizt