DES CRIS DANS LE DESERT

Publié le par Adriana EVANGELIZT

 

DES CRIS DANS LE DESERT

 

 Première publication : 28 octobre 2005, mise en ligne: samedi 29 octobre 2005, par Mehr Licht.

« Le pouvoir consiste à infliger douleur et humiliation. Le pouvoir brise l’esprit humain en miettes et le rassemble à nouveau dans une forme différente selon votre propre choix. Commencez-vous alors à voir quelle sorte de monde nous sommes en train de créer ?...
...Un monde de peur et de trahison et de tourment, un monde qui écrase et qui est piétiné, un monde qui ne deviendra pas moins mais plus impitoyable à mesure qu’il se perfectionne ». (George Orwell, 1984.)

Orwell a écrit « 1984 » immédiatement après la deuxième guerre mondiale et l’a publié en 1949. Il avait un modèle sous la main avec les paraphrases d’Hitler (texte ci-dessus) au moment où celui-ci calculait comment faire du « Parti » la force dirigeante de son monde fasciste. Il a mis en œuvre son monde avec des murs, des cartes d’identité, des tatouages, des lois, des internements, de la torture et des viols, de l’humiliation, de la peur et le supplice provoqué par la trahison.

J’étais avec un groupe de collègues en train de regarder cette scène étrange et surréaliste : la route étroite en pierres et graviers longeant le grillage surmonté de fil de fer barbelé, 55 mètres de terre sur laquelle était passé des bulldozers, terre dénudée sans arbres ni plantes, devenue une route principale privée pour l’armée israélienne, comprenant une clôture électrifiée, bloquant tout accès aux terres agricoles et aux vergers, un mur de clôture qui découpait kilomètres sur kilomètres les terres de ce petit village au Nord-Ouest de Jérusalem, encerclant les colonies récemment construites dans cette terre palestinienne hantée par la réalisation que ce mur, ce mur d’ensevelissement, avait été condamné comme illégal par la Cour International de Justice(CIJ), condamnation confirmée par l’ONU et, comprenant que le Mur violait la Déclaration des Nations Unies sur les Droits Humains, ils le voient s’épanouir en deux directions, serpentant sur et autour des collines et des vallées aussi loin que le regard puisse se porter.

Je suis resté là, m’émerveillant de l’esprit des hommes qui ont imaginé un tel instrument de torture qui confisque par le fer et le ciment la matérialité de 58% de la Cisjordanie.

Je suis resté là et j’ai réalisé que, malgré l’action de la CIJ et des ONU, le Mur existait, une infamie défiante et colossale perpétrée envers les communautés du monde, construite avec la même tranquille arrogance que Donald Rumsfeld lui-même aurait pu apprécier, alors que l’état d’Israël cherche a obtenir un siège au Conseil de Sécurité des Nations Unies, un organisme qu’il rejette avec mépris et trouve non pertinent.

A cet instant un groupe d’enfants est apparu, certains à bicyclette, d’autres courant à côté d’eux, descendant cette route cabossée vers la barrière. Un ingénieur, notre interprète pour cette visite, leur a parlé. Ils se sont immédiatement déployés devant la barrière en cherchant attentivement quelque chose : cette chose était un rocher sur lequel des tâches de sang étaient encore visibles, des tâches de sang provenant du frère d’un des enfants et qui avait peu de temps auparavant avait reçu une balle. Il était toujours vivant et se remettait pendant que nous parlions.

Mais ils voulaient nous montrer une de leurs maisons en haut à gauche de la route, une maison qui se tenait sur une terre qui était frontalière à la barrière et dont la plus grande partie avait été annexée pour celle-ci. La famille venait juste de recevoir un avis leur annonçant qu’ils devaient démolir leurs abris et les dépendances parce qu’ils étaient trop près de la barrière, bâtiments où logeaient les poulets, les dindes, chèvres, moutons et vaches depuis les années 50, annexes qui avaient été construites de bric et de broc avec des morceaux de ferraille et des planches de bois, érodés, restes récupérés des débris aux alentours. Mais s’ils déplaçaient les annexes, où pourraient-ils mettre les animaux ? Sur quelles terres pourraient-ils s’installer ?

Alors nous nous sommes rassemblés ici sur la hauteur donnant sur la barrière contiguë à la bicoque trop proche du mur récemment fini par l’armée qui avait encore 55 mètres de route dénudée et une barrière pour la protéger des poulets et des ânes.

L’absurdité de la situation ne pouvait pas dissimuler le sentiment de désespoir sur le visage du propriétaire ni cacher la colère qui gonflait la poitrine de son ouvrier et ami tandis qu’ils étaient assis sous un arbre, seule protection contre le soleil brûlant, nous parlant, et demandant avec étonnement pourquoi ils étaient responsable de la proximité du mur ; pourquoi ceux disposant d’un tel pouvoir voudraient-ils détruire une famille et leurs 11 enfants ; pourquoi, alors qu’ils avaient déjà pris autant de leurs terres, les forceraient-ils à détruire la seule protection qu’ils avaient et perdre la seule terre qu’ils possédaient pour abriter leurs animaux et nourrir leur famille ?

Pourquoi ? Qu’avaient-ils fait aux Israéliens ?

Ils ont pointé vers une colline distante d’où s’élevait dans la chaleur chatoyante une fumée qui s’étendait au-delà des collines, une décharge d’ordures que les colons avaient placées sur la terre palestinienne, un geste de dédain et de dérision envers ceux déjà enterrés derrière leur mur. Cette attitude, l’expression visible du comportement raciste qui éclate aux yeux du monde, le monde refuse de la voir. Un vieil homme s’est joint aux deux autres, a pointé son doigt sur sa poitrine et dit dans un anglais hésitant : « je suis aussi un sémite, pourquoi me haïsse-t-ils ? Pourquoi ? ».

Alors nous avons parlé, parlé de l’oppression, de la présence physique de soldats qui transforment les enfants, comme les jeunes qui nous ont amenés à cet endroit, en gosses provocants qui ouvrent leurs chemises aux soldats en les mettant au défi de tirer, dernier recours pour ceux qui n’ont plus d’espoir dans le futur. Constamment sous la botte de l’occupation israélienne : présente aux check-points quand il veulent quitter la ville, présente au portail de la barrière pour les fermiers qui veulent atteindre leurs arbres et leurs champs, mais seulement à la convenance des soldats qui gardent et demandent une carte d’identité, présente dans les changements effrayants qui ont transformé la vie ici en une longue suffocation détruisant l’estime de soi, érodant les revenus ou les détruisant totalement et qui élimine tout semblant de sens pour une terre obligée de succomber aux ordres d’une force occupante.

Pourquoi nous, Américains, permettons-nous à ceci d’arriver, demandent-ils ? Ce n’est pas Israël tout seul ; leurs balles, leurs missiles, leurs tanks, leurs ‘Caterpillars’ sont tous fabriqués aux Etats-Unis. En fait, leur matériel militaire est fabriqué aux Etats-Unis. « Pourquoi ? ».

Puis nous n’avons quitté cette ville que pour nous rendre dans un endroit encore plus surréaliste, un endroit où l’esprit de l’homme a du mal à comprendre qu’une telle chose puisse exister puisqu’elle défie l’essence même de l’âme humaine, et pourtant elle existe, créée par l’armée, une réalité horrifiante payée avec nos impôts en dollars.

Nous avons roulé jusqu’à la périphérie d’une petite ville, au bas d’une route encadrée de bâtiments détériorés faits de ferraille et de bois reliés ensemble par une clôture cassée. De l’autre côté de la route, la terre s’étendait au loin vers les collines. Mais la route s’arrêtait brusquement devant un grillage surmonté de fil de fer barbelé. Derrière se trouvait encore un autre. Ces deux grillages de 3 mètres de haut couraient sur la droite pour rejoindre un autre grillage parallèle à la route pendant environ 28 mètres pour retrouver un autre lot de grillages tournant à gauche continuant derrière un abri pour ânes et des petites annexes, passant derrière l’arrière d’une petite maison jusqu’au moment où ils ont rejoint un autre lot de grillages, visibles à gauche de la maison et retrouver le mur ; des blocs de ciment de 8 mètres qui forment le Mur d’ensevelissement , un mur qui, ici, fait face au devant de la maison à moins de 18 mètres de la porte d’entrée.

Dans cet enclos se trouve une famille de six enfants. L’armée a emmuré cette famille. On pense à la sécurité. Un mari, une femme et six enfants doivent être totalement emmurés pour sauvegarder les squatters israéliens qui habitent dans les maisons de banlieues des villes sur des terres volées illégalement à des Palestiniens, terres qui sont limitrophes à l’arrière de la maison et à la colonie étendue qui occupe la colline sur la droite au-delà du grillage qui court parallèlement à la route par laquelle nous sommes venus.

Le coût seul est ahurissant, mais quand l’armée se fâche parce que le propriétaire refuse de vendre sa maison et un peu de terre, la punition collective doit s’exercer afin de donner une leçon à cette famille.

La leçon résonnerait dans le monde si les Israéliens laissaient le monde la voir, laissaient entrer les caméras de TV pour filmer la dépravation de l’esprit qui érige une telle insulte monstrueuse à l’humanité. Et la leçon n’est pas perdue pour les enfants qui doivent regarder ce mur tombal chaque jour de leurs vies et réaliser que ce sont des humains qui l’ont érigé, des humains qui s’identifient à la punition collective puisque c’est l’ingrédient essentiel de leur Bible où la destruction d’un peuple au nom d’un Dieu (chaque homme, femme et enfant, chaque animal sauvage, chaque bœuf, mouton, âne) dont on doit obéir à l’ordre ou souffrir de sa colère, est devenue une manière de vivre dans ce nouveau siècle de progrès humain sur l’échelle évolutive du sauvage jusqu’au sauvage avancé.

Laissez la famille vous dire comment elle explique ce traitement. Que dites-vous à votre enfant de 4 ans ou à celui de 10 ans ? Quelle explication rationnelle pouvez-vous invoquer pour donner une voix à cet abus dément et préjudiciable ? Quels mots peut-on utiliser afin de transmettre à un jeune enfant le côté déplorable de cet acte : " méchanceté" serait trop gentil et vraiment inexact, "terrible" semble trop faible," horrible, infect", sont plus près de la vérité mais ne capturent pas la bassesse, la haine et l’abomination, oui, l’amoralité diabolique de cette folie.

Alors nous avons bu du thé, écouté la mère et le père essayant de communiquer la façon par laquelle ils arrivent à vivre dans cette ‘cage à rats’ faite de fil de fer et de ciment. Et nous avons essayé de saisir la vie vécue dans ce microcosme de l’oppression de l’occupation israélienne qui est la réalité de la Cisjordanie. Quelle ironie que leur création : qu’ils doivent emmurer une famille pour que ceux qui n’auront que peu de temps à rester en Palestine puissent voir en miniature ce que l’armée de Sharon a fait pour tous les Israéliens pendant qu’ils emprisonnent leurs frères et leurs sœurs.

Peut-être devrions nous entendre une dernière voix qui crie dans le désert afin de compléter ce voyage d’âmes cachées qui n’ont personne qui parle pour eux, personne qui voit la situation désespérée qui les étouffe jour après jour. Il y a une voix, une « gardienne » qui raconte l’histoire ici, mais il y a beaucoup d’autres voix ici, les voix des enfants à qui on a donné un lieu pour courir et jouer dans la Vieille Ville, le quartier musulman de la Vieille Ville, juste à l’intérieur des anciens murs, un endroit assez large pour avoir un préau de basket-ball et un petit terrain de football. Ce petit oasis existe parce que ses habitants ont campé pacifiquement pendant plus d’un mois pour arrêter l’édification d’une colonie dans ce quartier, dans le district musulman de la Vieille ville, une colonie qui devait être érigée en deux jours, aucun avis n’ayant été donné aux habitants jusqu’au moment où un Israélien amical a pris sur lui de le leur dire. Les habitants proposèrent un centre social pour les enfants, un endroit pour jouer, une petite bibliothèque pour lire et un lieu avec une scène pour pouvoir jouer, voir des pièces de théâtre et écouter de la musique. Maintenant un jardin d’enfants apporte aux enfants un début d’apprentissage de la lecture et pour les parents, un endroit sûr où laisser leurs enfants pour 150 shekels par mois quand ils vont au travail.

Mais aussi sûr que ce soit, aussi agréable que soient les environs, les enfants viennent chaque jour déprimés, anxieux et même sombres. Dyala, la gardienne, parle de la nécessité d’avoir un sourire toujours prêt pour contrecarrer le comportement provoqué par les conditions qui les entourent de tous côtés, le mur, le mur hideux et humiliant, les innombrables check-points que doivent supporter les enfants, le harcèlement de leurs parents, les conditions déplorables qui existent à la maison, la pauvreté de la réalité de l’existence de chaque jour, les pères psychologiquement déchirés par le chômage constant et l’humiliation et le désespoir qui s’en suit.

Dyala parle de l’espoir dans le futur qui pourrait amener une vie meilleure, mais les enfants demandent, où y a-t-il de l’espoir, quel futur ? Les choix sont peu nombreux : un homme peut partir travailler dans un autre pays ou quelques fois dans quelque lieu éloigné en Cisjordanie, mais s’il le fait, il perd son statut de résident. Les propres enfants de Dyala ne peuvent pas revenir en tant que résidents. L’état prend les maisons et les terres ; en fait, l’état encourage les Palestiniens à partir, payant même une somme d’argent en cas de travail contracté hors du pays. S’ils partent avec leur passeport jordanien, ils ne peuvent pas revenir comme résidents. Ils sont emmurés, physiquement et psychologiquement.

Les squatters peuvent se déplacer librement sur des routes construites spécialement pour eux, un réseau entrelacé de routes qui crée une toile pour se déplacer librement. Les indigènes doivent voyager sur des routes dégradées, coupées de check-points où ils doivent attendre des heures sans fin et ainsi les déplacements de quelques minutes durent des heures et le passage vers Jérusalem ou d’autres villes peut être stoppé par un caprice de l’armée.

Alors nous regardons les enfants jouer tout en sachant intérieurement qu’ils voient leur monde de la même façon qu’un prisonnier, une vie sous surveillance constante où les opportunités d’apprendre, de voyager, les petites joies qui devraient faire partie de la vie d’un enfant, ont été aspirés hors de leur réalité par les forces occupantes qui ne montrent aucune pitié mais plutôt une indifférence inhumaine vis-à-vis de la souffrance qu’ils rencontrent chaque jour.

Ceux-ci sont les voix derrière le Mur d’ensevelissement, le Mur de la Peur de Sharon qui ampute l’élément vital des Palestiniens, mettant en morceaux l’esprit humain, ne leur laissant qu’un héritage de douleur, d’humiliation, de peur et de tourmente devenu réel par la trahison insidieuse et virulente.

Par William A. Cook*, 12 octobre 2005, CounterPunch : http://www.counterpunch.org/cook10122005.html

Traduction : Ana Cleja

*William Cook est professeur d’anglais à l’Université de Verne en Californie du Sud. Il est également l’auteur de « Tracking Deception : Bush’s Mideast Policy ». On peut le joindre : cookb@ULV.EDU

Sources : OULALA NET

Posté par Adriana Evangelizt

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