Réussite sioniste, échec démocratique
Réussite sioniste, échec démocratique
par David Broman
Pour sortir de l'impasse antidémocratique dans laquelle l'a laissé le sionisme d'Hertzl, Israël devrait inventer un sionisme nouveau mettant fin à l'Etat juif et proposant aux Palestiniens un Etat binational démocratique.
Un bilan des soixante ans de l'Etat d'Israël pourrait conclure à une réussite, puisque l'Etat existe.
Réussite technique en quelque sorte, corroborée par le ministère des Affaires étrangères israélien qui publie l'histoire d'Israël sur son site internet: la terre d'Israël, berceau du peuple juif, a toujours appartenu aux Juifs, même pendant les deux mille ans d'absence relative. Dans un fascicule, ce ministère présente comme factuelles («The Facts») et historiques les références bibliques – aux Patriarches qui n'obéissaient qu'à un seul Dieu, à Moïse, choisi par Dieu pour ramener le peuple à sa terre d'origine, aux exodes forcés qui n'ont jamais réussi à briser le lien des Juifs à cette terre sainte (en citant les psaumes comme preuve).
Dans ce fascicule, les deux mille ans d'occupation de la région faisant suite à la perte de souveraineté juive du temps des Romains est un chapitre intitulé «Domination étrangère» et démontrant une vaillante permanence juive.
On s'y félicite aussi du colonialisme du XIXe siècle qui aurait tiré la région d'une «régression médiévale» en instaurant les «premiers signes de progrès». Le projet sioniste de repeuplement de la terre d'Israël et la création de l'Etat apparaissent comme des événements naturels qui ne soulèvent aucune question.
La résistance des habitants non juifs locaux qui se développe de façon directement proportionnelle à l'avancement du projet sioniste apparaît comme une énième persécution. Les territoires gagnés sans intention par Israël sont en quelque sorte un accident de l'histoire provoqué par les Arabes et les Palestiniens qui, en refusant obstinément la main tendue d'un peuple israélien irréprochable et ayant déjà fait toutes les concessions, semblent avoir été privés de leurs terres par une main divine.
La propagande, dans un Etat qui se déclare démocratique, sert à cacher l'échec de démocratie de cet Etat. Plus une collectivité, qui se déclare démocratique, fait appel à la propagande, plus cela est indicatif de son échec à atteindre les critères démocratiques. L'Europe en est un bel exemple.
L'abus outrancier de propagande à tous les niveaux par l'Etat israélien démontre qu'il a échoué dans son devenir démocratique.
La même remarque vaut pour le recours aux arguments sécuritaires. La toute récente arrestation, expulsion et interdiction d'entrée dans le pays pendant dix ans «pour des raisons de sécurité» du juif américain, professeur et chercheur en sciences politiques, Norman Finkelstein, en est une claire manifestation.
Donc, si l'Etat juif est la réussite technique du sionisme, il est aussi un échec de la démocratie. Aujourd'hui, Israël est, au mieux, une démocratie militaire.
L'échec était, somme toute, «inscrit» dans le texte fondateur du sionisme, L'Etat juif, de Theodor Herzl. Ce document imaginait la création d'Israël dans le cadre de l'humanisme volontariste, scientifique et colonialiste classique de la fin du XIXe siècle. La création de l'Etat juif, négocié avec les grandes puissances par-dessus la tête des habitants du lieu d'implantation, choisi et colonisé de façon moderne et scientifique, de par le fait qu'elle représentait un acte juste et légitime, ne pouvait qu'engendrer des bienfaits pour la planète entière: «Et tout ce que nous tentons d'y accomplir pour notre propre bien-être réagira puissamment et avantageusement pour le bien de l'humanité.»
Etat binational
Herzl, par ailleurs, ne considérait nullement user de moyens démocratiques, même internes, dans la création de l'Etat juif: «Ce pamphlet ouvrira une discussion générale sur la question juive, mais cela ne veut pas dire qu'on y procèdera à un vote. Un tel résultat ruinerait la cause dès le début et les dissidents doivent se rappeler que toute allégeance ou opposition est entièrement volontaire. Celui qui ne vient pas avec nous devra rester derrière.» Herzl avait donc prévu le cas Finkelstein.
L'Etat d'Israël est une des dernières créations du colonialisme du XIXe siècle – et maints Etats membres des Nations unies votant le plan de partage en 1947 incarnaient encore solidement cette culture déclinante.
Toutefois, au regard du droit international moderne qui récuse les fondements coloniaux, la survie de l'Etat juif n'a été possible qu'en le considérant comme une exception, faisant du peuple juif un peuple à part. Dans le fond, l'Etat juif n'a le droit d'exister que parce que (1) il a été décrété autoritairement que l'ensemble des Juifs désireux d'aller vivre en Israël forment un peuple, (2) tout Juif, quelles que soient ses origines, allant vivre en Israël est considéré comme rentrant chez lui et (3) les points (1) et (2) sont des normes juridiques morales qui ne s'appliquent qu'à des Juifs et à Israël et sont hiérarchiquement supérieurs aux droits fondamentaux (des Etats et des personnes) référencés dans la charte de l'ONU. Cela signifie qu'à l'égard de toute atteinte potentielle à ces droits «supérieurs», les Israéliens bénéficient d'une sorte de légitime défense spéciale interdite aux autre peuples.
Si d'aucuns se contentent volontiers de cette survie purement technique qui s'alimente de la propagande et de la violence des deux camps, d'autres (comme Norman Finkelstein) clament que cela ne peut pas continuer, qu'Israël ne peut pas se permettre d'ignorer son échec de démocratie, que le peuple y «perd son âme».
Le projet sioniste ne portait que sur la création de l'Etat en tant qu'implantation coloniale juive en Palestine offrant un refuge aux juifs contre l'antisémitisme. Il ne disait rien sur l'après-création. Or, au vu des évolutions historiques issues des évolutions du droit international, la suite de toute colonisation est une décolonisation accompagnée d'une volonté (juridique du moins) de démocratisation.
Quelle forme pourrait donc prendre la décolonisation dans le cas d'Israël, sinon celle d'une démocratie réussie? Israël ne pourra réussir la démocratie qu'en mettant fin à l'Etat juif. Cet Etat ayant techniquement réussi, il lui faut maintenant «tuer le père». Israël, fondé, peut maintenant mettre fin à ses concepts fondateurs inégalitaires.
Concrètement, pour pouvoir accéder à la réussite démocratique, il lui faudra abandonner sa caractéristique «juive dominante», mettre fin au concept du «retour», abandonner la logique colonialiste et proposer aux Palestiniens une formule de cohabitation démocratique dans un Etat binational.
Le sionisme, c'est le courage d'agir pour des valeurs. L'Etat étant créé, il est temps qu'Israël prenne le chemin d'un sionisme nouveau qui remplacera les valeurs coloniales fondatrices par les valeurs démocratiques – voie plus libératrice pour son peuple que l'impasse dans laquelle l'a laissé le sionisme à l'ancienne.
Sources : Le Jeudi Lu
Posté par Adriana Evangelizt