La Bible et le droit

Publié le par Adriana Evangelizt

La Bible et le droit

par Denis Sieffert

Pascal Boniface et Elisabeth Schemla confrontent leurs points de vue sur le Proche-Orient, l'antisémitisme, l'islamophobie. Deux visions qui ne se croisent guère.

Au moins Pascal Boniface et Elisabeth Schemla ont-ils un point d'accord. Ils conviennent l'un et l'autre de la " centralité " à la fois planétaire et franco-française du conflit israélo-palestinien. Ils le disent dès l'entame de leur dialogue publié sous ce titre édifiant : Halte aux feux. Un titre qui rend moins compte de la violence au Proche-Orient que de l'âpreté du débat au sein de la société française.

Reconnaître la singularité de ce conflit et son influence partout dans le monde où il y a des juifs, des Arabes et des musulmans était plus difficile pour l'ancienne journaliste du Nouvel Observateur, qui se plaint d'avoir trop souvent été caractérisée de " sioniste, comme s'il s'agissait d'un racisme ", que pour le politologue. Tant de ceux qui défendent la cause israélienne contestent cette évidence et trouvent suspecte l'attention que portent les médias à ce conflit. Ce sont d'ailleurs ces rares écarts avec la doxa communautaire qui légitiment Elisabeth Schemla dans cette confrontation avec le directeur de l'Institut de relations internationales et stratégiques. Car, pour le reste, les surprises sont rares.

Les discours sont évidemment connus. L'une cherche surtout l'origine du conflit dans des causes religieuses millénaires. Il en découle que le Hamas ne changera jamais - tant pis si l'actualité témoigne exactement du contraire ! - tandis que l'autre persiste à y voir un conflit essentiellement politique fait de colonisation, d'expropriation et de spoliation. Quand Pascal Boniface nous parle de 1948 et de l'exode de huit cent mille Palestiniens, Elisabeth Schemla nous renvoie à Nabuchodonosor et à la destruction du Temple.

On n'évite pas la sempiternelle querelle en antériorité. C'est la Bible contre les Nations unies. Les fils de la pensée se croisent rarement. L'un regarde surtout les faits, et l'autre s'intéresse à leur représentation dans les médias et dans l'opinion. Quand Pascal Boniface évoque le massacre de Sabra et Chatila en septembre 1982, Elisabeth Schemla souligne la haine pour Israël et l'antisémitisme qui se propage ensuite dans le monde arabe. Au point que cet antisémitisme échappe aux situations qui l'ont fait naître, ou l'ont aggravé.

Hélas, Elisabeth Schemla ne s'en tient pas à cette rhétorique qui consiste à reprocher à ceux qui dénoncent le crime d'attiser les haines ; elle prend souvent de singulières libertés avec la vérité historique. On retrouve sous sa plume le mythe de l'achat de terres en 1948, qui n'est jamais une " spoliation " mais une banale transaction commerciale ; le mythe de la terre désertique, à peine peuplée d'Arabes isolés qui ne constituaient pas un peuple… Comme si les " nouveaux historiens " israéliens et leur collègue américano-palestinien Rashid Khalidi (l'Identité palestinienne) n'avaient jamais existé.

La liste des contre-vérités serait trop longue à établir. En voici un échantillon. Non, madame Schemla, il n'y a pas eu à Oslo de " reconnaissance de la Palestine " ou d'un Etat palestinien par Israël, mais d'un mouvement politique, l'OLP. Pascal Boniface a donc raison de noter que, si l'OLP de Yasser Arafat a reconnu Israël, la réciproque n'a jamais été vraie. Oui, il y a eu des Palestiniens tués par l'armée israélienne au lendemain du massacre de 29 musulmans à Hebron en 1994. Et cela même si le mot " ratonnade " utilisé par Pascal Boniface vous déplaît. Non, il n'a jamais été question, ni à Taba ni ailleurs, de faire revenir trois millions d'exilés Palestiniens au nom du droit au retour en Israël. Enfin, il faut beaucoup d'aplomb pour affirmer que jamais les dirigeants israéliens n'ont eu de double langage. Il suffit de relire les discours d'Ariel Sharon en 2003, à propos de la feuille de route d'une part, et devant les responsables des organisation de colons d'autre part ; ou encore ceux du même Sharon au moment du retrait unilatéral de Gaza (été 2005), et les propos de son conseiller Dov Weissglass à destination de l'électorat de droite…

Mais le plus étonnant tient en un mot qu'il fallait oser prononcer : si, selon Elisabeth Schemla, le retour aux frontières de 1967 est impossible, si l'application des résolutions des Nations unies est proprement impensable, c'est en raison de " réalités démographiques et architecturales ". " Architectural ", quel aimable adjectif pour parler de colonisation. On n'a jamais tort de débattre. La vérité n'en sort pas moins toujours grandie. Mais au moins peut-on vérifier que le feu est loin d'être éteint.
" Halte aux feux ", Pascal Boniface, Elisabeth Schemla, Flammarion, 338 pages, 19 euros
Halte aux feux” de Pascal Boniface et Elisabeth Schemla par Denis Sieffert / Politis / 21 septembre 2006



Sources : IRIS

Posté par Adriana Evangelizt

Publié dans palestine

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