Palestine, entre guerre civile et unité nationale

Publié le par Adriana Evangelizt

Palestine, entre guerre civile et unité nationale


par Bernard Ravenel

Alors que, du fait de l’embargo international contre les Palestiniens, la situation est de plus en plus dramatique et que se poursuivent les incursions toujours plus meurtrières d’Israël à Gaza, la scène politique palestinienne traverse une crise préoccupante.


On n’oubliera pas de si tôt le « dimanche noir », le 1er octobre 2006, à Gaza. Au moins huit morts et 130 blessés, tel a été le coût immédiat de l’affrontement - télévisé - entre les forces de sécurité du Hamas et les fonctionnaires en grève parmi lesquels les agents des service de sécurité de la présidence, qui protestaient contre le non paiement de leurs salaires.

Jamais la tension entre Hamas et Fatah, ou plutôt entre gouvernement et Présidence, n’avait atteint un tel niveau. Ce dimanche noir restera une blessure profonde dans le corps social de la Palestine. Le mouvement islamique n’a pas hésité à utiliser la force contre ses opposants et à tirer dans les rues de Gaza, imitant ainsi le comportement du Fatah quand il était au pouvoir et celui des régimes arabes en place.

Eclat sans lendemain ou prodrome d’une guerre civile ? On peut s’interroger.

Le lendemain, lundi, d’autres épisodes de violence opposant les deux factions politiques se sont déroulés à l’hôpital Shifa à Gaza (à l’occasion des obsèques des victimes de la veille), à Beit Hanoun et aussi en Cisjordanie (à Hébron, à Jénine, à Jéricho, à Naplouse et Qabatiya). Le mardi, après qu’à Gaza les forces spéciales du ministre de l’Intérieur, le dirigeant du Hamas Saïd Siam, eussent démontré leur capacité de violence contre les opposants, la tension à Ramallah, centre politique de la Palestine occupée, était extrême. Les manifestations de militants du Fatah ont voulu faire comprendre au Hamas qu’en Cisjordanie ce sont eux qui font, et feront, la loi... Les Brigades des Martyrs d’Al Aqsa menacent alors de tuer les chefs du Hamas, désignant nommément Khaled Mechaal, le leader de la direction extérieure du Hamas basée en Syrie et réputée hostile aux compromis et aux formules pragmatiques auxquels serait disposé le Hamas de l’intérieur dans ses rapports avec le Fatah. Un député du Hamas, Mushir Masri, a immédiatement « prévu » une riposte « sans miséricorde ».

Le gouvernement d’unité nationale conclu le 11 septembre pour lequel beaucoup dans les deux camps avaient travaillé à partir du document des prisonniers semble désormais un mirage. Washington et Tel-Aviv, tous deux hostiles à ce gouvernement, doivent se frotter les mains. Ils peuvent espérer que se réalise bientôt leur projet qui verrait Mahmoud Abbas, forçant les échéances sous pression américaine, dissoudre par décret le gouvernement Hamas et convoquer de nouvelles élections législatives comme certains journaux arabes le laissent entendre.

Il apparaît donc que cette confrontation Hamas - Fatah n’est pas seulement armée mais politique et personnelle entre le président Mahmoud Abbas et le Premier ministre Ismaël Haniyé. Celui-ci est en effet soumis à une forte pression du bureau politique extérieur dirigé par Khaled Mechaal et appuyé par la Syrie tandis que Mahmoud Abbas subit les pressions opposées de certains de ses proches collaborateurs comme Mohamed Dahlan, des régimes arabes proaméricains et des Etats-Unis pour pousser à de nouvelles élections législatives début 2007. Une manœuvre qui, si elle se réalisait, pourrait déclencher une guerre civile au sens plein du terme. Ce qu’aucun Palestinien ne veut. Et Mahmoud Abbas a cru nécessaire de préciser : « Toutes les options sont ouvertes sauf la guerre civile ».

Cette exacerbation dramatique des tensions internes du système politique palestinien s’inscrit dans une situation aggravée par le boycott international de l’Autorité palestinienne déclenché après la victoire électorale du Hamas. Cet embargo s’ajoute au refus israélien de restituer aux Palestiniens leurs taxes douanières qui représentent plus du tiers du budget de fonctionnement et qui servaient surtout à assurer les salaires des 165.000 fonctionnaires désormais sans ressources avec leurs familles. En résumé, la pauvreté est transformée en misère totale. John Dugard, rapporteur de l’ONU pour les droits humains dans les territoires occupés a déclaré que « 75% de la population de Gaza dépend désormais des aides alimentaires pour survivre » en précisant que la crise actuelle est causée par la politique de Tel-Aviv.

Tout se passe comme si Israël estimait ne pas pouvoir survivre à la fin de la logique de guerre permanente. Par conséquent, il lui faut créer un chaos généralisé en Palestine et dans la région. Après avoir combattu l’OLP par tous les moyens, liquidé l’accord d’Oslo et tout processus de paix, Israël vise maintenant à enterrer définitivement la feuille de route. Aujourd’hui il lui faut affaiblir le Hamas des territoires occupés - qui a démontré une réelle ouverture pour une solution politique sur la base des résolutions de l’ONU - y compris par l’assassinat : 60 de ses militants ont été froidement assassinés au cours de ces dernières semaines. Ainsi Israël favorise un Hamas extérieur, celui de la diaspora qui, avec le soutien de la Syrie, souhaite constituer une sorte de nouveau « front du refus ».

Une région déstabilisée dans l’impasse

Le résultat de ces deux tendances du refus de négociation qui s’alimentent réciproquement est l’éloignement de toute perspective politique pour désamorcer une situation explosive. C’est dans ce climat dominant que se situent les multiples propositions et manœuvres diplomatiques dans la région. C’est d’abord la question du soldat israélien fait prisonnier en juin à Gaza. Il semble que l’accord était en train de se faire - un échange de prisonniers - mais qu’il y ait eu in fine un veto de Khaled Mechaal. Or cet échec a eu des répercussions sur les négociations pour la formation d’un gouvernement d’union nationale. D’autres canaux discrets avec le Qatar ont été activés pour relancer la négociation sur ce problème. Sans succès.

En même temps, l’Arabie Saoudite et de nombreux pays arabes - les régimes sunnites - doivent affronter une situation délicate, qu’ils perçoivent comme menaçante. Ils savent l’énorme popularité » dont jouit le Hezbollah après sa résistance à l’armée israélienne, ce qui renforce les secteurs « fondamentalistes » dans leurs pays.

Face à l’impasse américaine en Irak, face aussi à l’inquiétude des régimes arabes qui ne souhaitent pas le maintien du Hamas dans le gouvernement de la Palestine - dangereux précédent pour eux - les Etats-Unis se disent prêts à ouvrir le dossier palestinien. Ils promettent aux Arabes de créer l’Etat palestinien et de chasser le Hamas du gouvernement palestinien. Il s’agit aussi de faire émerger un « front arabe modéré » à opposer à l’Iran et à son programme nucléaire. Et pour gagner du temps, les Etats-Unis se disent prêts à accepter le retour sur la scène de l’initiative saoudienne de Beyrouth de mars 2002, laquelle, soutenue par toute la Ligue arabe, a offert à Israël la paix avec tout le monde arabe en échange d’un retrait sur les frontières de 1967. On connaît la suite : pour toute réponse, le gouvernement de Sharon a intensifié la répression (opération Rempart ») et , en accord avec Bush, a décidé le trop fameux retrait unilatéral de Gaza. En fait, il s’agissait de « congeler » toute négociation sérieuse de paix, ce qui a conduit inévitablement à une détérioration de la situation en particulier à Gaza.

Or c’est sur ce point crucial - acceptation de l’initiative arabe de paix - qu’il y a eu revirement du Hamas, ce qui aurait fait capoter l’accord réalisé avec le Fatah le 11 septembre. D’où le débat récurrent relancé sur la reconnaissance d’Israël car soutenir l’initiative de Beyrouth c’est reconnaître implicitement, de facto, l’Etat d’Israël dans les frontières de 1967.

En fait le débat idéologique qui semble porter sur la reconnaissance d’Israël masque le débat politique qui porte sur la possibilité et la nécessité d’une plateforme d’un gouvernement d’unité nationale. Pour mieux comprendre la divergence interne du Hamas il faut distinguer d’un côté le refus idéologique d’Israël dans la Charte du Hamas, fondé sur un argument religieux (la Palestine comme terre de l’Islam) donc sacré, et de l’autre la possibilité d’un accord programmatique d’un gouvernement où le Hamas serait présent. Cet accord se réfère au document des prisonniers, initialement approuvé par toutes les composantes politiques et qui reconnaît l’OLP comme seul représentant légitime du peuple palestinien à l’intérieur et à l’extérieur. Or, reconnaître ainsi l’OLP comme « référence politique », c’est entériner les accords signés incluant la reconnaissance d’Israël. En même temps, le texte des prisonniers rappelle la nécessité de « faire appliquer les décisions politiques... des sommets arabes », en clair l’accord de Beyrouth de mars 2002. L’objectif politique d’ensemble d’un tel accord gouvernemental est la négociation politique avec Israël pour l’établissement d’un véritable Etat palestinien indépendant dans les frontières de 1967. C’est ce que souhaite la grande majorité des Palestiniens et aussi des électeurs du Hamas. C’est évidemment ce que ne souhaitent ni Israël ni les Etats-Unis.

Tout se passe comme si le système politique palestinien, devenu bipolaire, était en train de se re-diviser sur la base de la bipolarisation extérieure qui s’est créée au Moyen-Orient, celle qui opposerait l’Occident dirigé par les Etats-Unis et Israël, mais avec des alliés dans le monde arabe, à l’axe Hezbollah - Syrie - Iran. Or cette bipolarisation divise, dans leur intérieur, chacune des deux grandes forces palestiniennes alors que la majorité des éléments qui les composent venait de réussir à constituer un gouvernement d’unité nationale. Pour les Palestiniens, seul ce type de gouvernement est susceptible de répondre à l’aspiration unitaire profonde et à leur volonté de négocier mais à partir d’une stratégie de résistance plus ferme et la plus unifiée possible. La contradiction principale réside plus que jamais dans la lutte entre le monde arabe occupé par Israël (Palestine, Syrie, Liban) et le colonialisme israélien soutenu par les Etats-Unis. Tant que l’indépendance nationale n’est pas conquise, toute autre forme de stratégie qui diviserait le peuple palestinien relèguerait l’objectif central palestinien dans le domaine de l’utopie. Et l’indépendance suppose aussi une autonomie vis-à-vis des stratégies étatiques extérieures.

Dans ce moment très délicat où se trouve le peuple palestinien, où les pressions extérieures perturbent gravement le pouvoir de décision interne, il est temps que l’Europe descende du char américano-israélien pour développer une politique qui permette non seulement le retour des négociations politiques (dans le cadre d’une conférence internationale) mais aussi qui rende possible une amélioration immédiate de la situation en Palestine. Ce qui passe par l’obligation faite à Israël de reverser immédiatement et inconditionnellement le produit des taxes palestiniennes qu’il retient indûment et par le rétablissement inconditionnel de l’aide financière aux autorités palestiniennes. Déjà le quartette, sous pression de l’Europe, contre l’avis des Etats-Unis, a défendu l’idée d’un gouvernement palestinien d’union nationale, montrant ainsi un début d’autonomie vis-à-vis des Etats-Unis et d’Israël. Elle doit en arriver vite aux décisions concrètes avant que ne s’affirme une logique de guerre civile tragique en Palestine dont elle porterait en partie la responsabilité.

Sources :
France Palestine

Posté par Adriana Evangelizt

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Publié dans HAMAS

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