GAZA, A COURTE VUE
GAZA, A COURTE VUE
par Denis SIEFFERT
Dans un peu plus de deux semaines, l’armée israélienne devrait entamer le démantèlement des colonies de Gaza. Qui a visité cette minuscule bande de terre surpeuplée coincée entre Israël et l’Égypte ne pouvait être que révolté par la présence de ces fortins entourés de chevaux de frise et de béton, protégé par une débauche de moyens militaires, et dont les habitants accaparaient l’eau et les meilleurs endroits du littoral, imposant à la population palestinienne barrages et chemins de contournement. Sans parler évidemment de la répression dont les corps et les murs portent partout les stigmates. Le 17 août, en principe, quelque 60 000 soldats devraient se déployer pour assurer l’évacuation, de gré ou de force, de 6 000 colons. Le bon coup politique d’Ariel Sharon réside en ceci qu’il fera apparaître cette opération comme un geste de paix quand elle n’est rien d’autre que l’application a minima d’une règle internationale longtemps bafouée. Dans cette affaire, le Premier ministre israélien peut d’ailleurs remercier les colons. Leur rhétorique bravache lui a permis de se reclasser sur le tard en politicien modéré. En vérité, il reste évidemment le plus ardent défenseur de la colonisation. S’il réussit son retrait de Gaza, il espère que l’effort sera salué comme il convient et qu’on ne lui demandera plus rien avant longtemps. Surtout pas de toucher à un seul des deux cent mille colons qui peuplent la Cisjordanie. Mieux, il continuera gaillardement de programmer l’extension des colonies et de construire son mur d’annexion des terres palestiniennes. À courte vue, c’est une belle manoeuvre. Dans son camp, Ariel Sharon chagrine certes quelques excités d’extrême droite. Mais il ne perd pas le contrôle de Gaza, qu’il peut faire bombarder à tout instant. Il lègue aux Palestiniens un champ de ruines. Et, selon la psychologie coloniale qui est la sienne, la moindre violence légitimera une idéologie essentialiste dont il prendra à témoin l’opinion : si des désordres agitent Gaza alors que les Israéliens n’y sont plus, c’est bien que ces Palestiniens ont le diable au corps.
Mais l’opération n’a pas lieu dans n’importe quel contexte. L’Irak est à feu et à sang. Des kamikazes frappent Londres et Charm el-Cheikh. La « guerre au terrorisme » est la grande affaire de l’époque. Et c’est ici qu’il faut remettre en perspective les conditions de l’évacuation de Gaza. Car on ne se lassera pas pour notre part de proposer une vision de la lutte contre le terrorisme qui ne se résume pas à une traque policière. Dès le 11 septembre 2001 nous l’avons écrit : les terroristes et nous appartenons au même monde. Leurs bombes résultent le plus souvent de politiques occidentales, parfois anciennes. Comment ignorer que les deux guerres d’Irak ont bouleversé l’espace arabo-musulman bien au-delà de ce qu’on imagine. On ne tue pas des dizaines de milliers de civils sans créer une terrible onde de choc.
Or, précisément, parmi les motifs anciens qui ont produit un ressentiment à l’égard de l’Occident, il y a ce conflit israélo-palestinien qui empoisonne les rapports Nord-Sud. Que depuis trente-huit ans toutes les résolutions de l’ONU aient pu être bafouées par Israël avec la bénédiction des grandes puissances a été dévastateur pour les relations internationales. Le monde que l’on se choisit n’a que deux voies possibles : celle du droit ou celle de la force. Le choix assumé par le concert des nations d’un non-droit absolu a ouvert la porte à toutes les violences. La loi des chars et celle des terroristes procèdent de la même logique. Quand M. Sharon, à la veille de sa visite en France, dit au Figaro que « la Bible est plus forte que toutes les cartes politiques » (1), il légitime la violence. La sienne sans doute. Mais aussi celle des terroristes. Si la Bible est plus forte que le droit, pourquoi pas le Coran ?
Mais il y a peut-être pire encore que l’abus de la force. C’est la parole non tenue. C’est une longue tradition occidentale dans cette région du monde, depuis la promesse d’indépendance faite par Lawrence à Fayçal. Sans remonter si loin dans l’histoire, il suffit de rappeler que la paix d’Oslo de septembre 1993 prévoyait le gel de la colonisation israélienne dans les territoires palestiniens.Mais, sept ans plus tard, à l’abri d’un accord qui a anesthésié l’opinion internationale, le nombre des colons avait doublé, et le sol palestinien était morcelé. Il faut espérer que nous ne sommes pas à la veille d’une nouvelle duperie historique. Tout porte hélas à le penser. Le désengagement israélien ne pouvait avoir de sens que s’il s’était inscrit dans une vraie logique de décolonisation de l’ensemble des territoires palestiniens, et de création négociée d’un État. Or, il n’est question aujourd’hui que de démanteler en Cisjordanie quatre minuscules colonies accueillant quelques centaines de colons. Cela, tout le monde le sait. Mais qui le dit ? Nous avons pourtant là tous les ingrédients des violences futures.
(1) Entretien au Figaro du 22 juillet.
P.-S. : Comme chaque année au mois d’août, l’équipe de Politis prend quelque repos. Retour dans les kiosques (ou dans les boîtes aux lettres) le jeudi 1er septembre. Bonnes vacances à tous.
Sources : POLITIS
Posté par Adriana EVANGELIZT