LES DESSOUS DU DESENGAGEMENT

Publié le par Adriana EVANGELIZT

Un article ci-dessous de Amnon Kapeliouk qui date un peu mais qui garde toute la fraîcheur de l'actualité écoeurante de mensonges que l'on essaie de nous faire avaler en ce qui concerne le désengagement. Il ne faut jamais perdre de vue que Sharon est téléguidé par les idéologues sionistes qui, eux, sont comme un amiral à la barre... ils tiennent le gouvernail du navire. Et le navire des instances sionistes, que l'on ne voit jamais sur le devant de la scène, poursuit son but, toujours le même, la création du mythique Eretz Israël...

Les dessous du désengagement israélien

par Amnon Kapeliouk

Journaliste, Jérusalem, auteur de Sabra et Chatila, enquête sur un massacre, Seuil, Paris, 1982.

Après le décès du président Arafat et la réélection de M. George W. Bush, nombre de commentateurs annoncent une relance des négociations au Proche-Orient. C’est peut-être aller un peu vite et oublier que le principal obstacle à la paix réside dans le refus de M. Sharon d’un Etat palestinien en Cisjordanie et à Gaza, avec Jérusalem-Est comme capitale. Cette stratégie du refus l’a conduit à élaborer unilatéralement son plan d’évacuation de Gaza.

Avancé par le premier ministre israélien, le général Ariel Sharon, le plan de désengagement qui prévoit le démantèlement des colonies juives de la bande de Gaza et qui concerne 7 000 personnes (1) suscite nombre de réactions positives. L’opposition travailliste, la Paix maintenant, et même le parti Yahad, « père » du pacte de Genève (2), qui préconise le retour aux frontières de 1967 avec quelques rectifications mutuellement acceptées, tous félicitent M. Sharon pour son « courage » et sa « clairvoyance ». Une même approbation s’exprime à l’étranger. Des dirigeants occidentaux multiplient les louanges à l’égard du premier ministre israélien, se réjouissant d’entendre des mots tels que « démantèlement des colonies » dans sa bouche. Certes, évacuer une seule colonie bâtie sur la terre palestinienne occupée depuis trente-sept ans serait une grande première, mais cela fait-il du plan d’évacuation de Gaza un plan de paix ?

D’une part, si M. Ariel Sharon était vraiment sérieux, cette évacuation des colonies juives aurait été exécutée en quelques semaines, voire en deux ou trois mois au maximum. Or, depuis l’annonce de ce retrait, un an a passé sans qu’un seul colon quitte la bande de Gaza. M. Sharon traîne les pieds, parle des « sacrifices douloureux » consentis par les Israéliens avec le démantèlement des quelques colonies et... ne fait rien. En focalisant l’attention sur Gaza, il retarde d’autant les négociations fondamentales sur la création d’un Etat palestinien.

D’autre part, il est évident que la création de colonies dans cette bande a été un échec : 7 000 colons à peine s’y sont installés, alors qu’ils sont plus de 250 000 en Cisjordanie (sans compter les 200 000 juifs installés dans la partie de Jérusalem occupée depuis 1967). S’ils monopolisent 40 % des terres et utilisent 50 % de l’eau, ils ne pèsent guère face au million et demi de Palestiniens qui s’entassent dans la bande. De plus, leur sécurité nécessite des sommes importantes et la mobilisation de nombreux militaires, qui paient parfois de leur vie cette tâche ingrate. Dans ces conditions, quitter Gaza n’est pas vraiment un sacrifice pour Israël. Plutôt un soulagement.

« Tout est gelé maintenant »

Les manifestations houleuses des extrémistes et fanatiques de la droite nationaliste, les menaces de « guerre civile » en cas de désengagement, ainsi que les appels des éléments fascisants à tuer le premier ministre pour sa « trahison » sont exploités par le gouvernement, surtout à l’étranger, pour montrer que le retrait de Gaza se révèle déjà très difficile et que l’on ne pourra pas en envisager un autre, en Cisjordanie, avant longtemps. En attendant, le processus de paix serait bloqué « jusqu’à ce que les Palestiniens deviennent des Finlandais », selon l’expression paternaliste du principal conseiller de M. Sharon, son émissaire permanent à la Maison Blanche et surtout son homme de confiance, l’avocat Dov Weisglass (3). Celui-ci précise la pensée du premier ministre : « Le désengagement représente le formol. Il fournit la quantité nécessaire de cette solution pour éviter un processus politique avec les Palestiniens. » En d’autres termes : geler les négociations de paix. Ce qu’il explicite crûment : « Le processus de paix signifie la création d’un Etat palestinien, le démantèlement des colonies [en Cisjordanie], le retour des réfugiés, le partage de Jérusalem. Tout est gelé maintenant. »

Du reste, le plan de désengagement précise, dans son premier point, qu’« en l’absence d’un partenaire palestinien pour des pourparlers de paix », il faut agir unilatéralement. Cette allégation est destinée à garder les mains libres, à ignorer les intérêts des Palestiniens. Son caractère colonialiste est patent : l’occupant choisit non seulement ses propres délégués, mais aussi les représentants des occupés.

Quant à la proposition d’organiser un référendum en Israël sur le redéploiement, elle revêt le même caractère néfaste. Il faudrait tout d’abord poser la question à ceux qui souffrent quotidiennement de l’occupation et qui vivent sous un régime d’apartheid réservant aux colons juifs installés un statut juridique séparé et bien supérieur à celui des Palestiniens, en violation de la quatrième convention de Genève.

La mort subite du président Yasser Arafat a réjoui M. Ariel Sharon. Le symbole de la lutte nationale palestinienne disparu, le premier ministre espère imposer ses plans aux successeurs. Ceux qui, comme le Parti travailliste, espéraient le voir renoncer à son unilatéralisme – après la disparition de l’« obstacle » Arafat – ont été déçus. La mort du vieux chef palestinien ne signifie pas, selon M. Sharon, qu’il existe un partenaire pour discuter de la paix. Et d’expliquer, au contraire, qu’une période d’incertitudes s’ouvre, qu’il n’est pas du tout certain que la nouvelle direction pourra éradiquer le terrorisme, en finir avec les incitations à la violence, accomplir les réformes en profondeur nécessaires, etc. En attendant, et pour longtemps, le gouvernement israélien entend bien agir de manière unilatérale.

L’objectif essentiel du projet Sharon est destiné, en plus du gel du processus de paix, à donner aux colonies de la Cisjordanie, surtout aux grands blocs, un statut permanent, afin de les annexer. Le président George W. Bush n’a-t-il pas promis au premier ministre israélien, après la publication du plan de retrait de Gaza (4), que, dans le cadre du règlement final, ces colonies feraient partie de l’Etat d’Israël ? M. Weisglass (5) révèle la pensée profonde du premier ministre : « Et dans quelques années, peut-être dans des dizaines d’années [sic !], lorsqu’il y aura des pourparlers entre Israël et les Palestiniens, viendra le maître du monde, il frappera sur la table et dira : “Nous avons déjà dit il y a dix ans que les grands blocs des implantations font partie intégrante de l’Etat d’Israël.” » Entre-temps, la colonisation continuera, avec l’espoir de doubler le nombre de colons en Cisjordanie, ce qui créerait une situation irréversible sur le terrain. La création d’un Etat palestinien indépendant deviendrait irréalisable.

Le désengagement sans coordination avec les Palestiniens fera de Gaza la plus grande prison du monde, les geôliers quittant l’intérieur, mais gardant les portes. L’armée israélienne supervisera l’espace aérien et maritime ainsi que les frontières. Et l’armée se réserve un droit d’y pénétrer « pour combattre le terrorisme ».

En fait, si M. Ariel Sharon s’était opposé au projet de désengagement et de séparation des Palestiniens évoqué par son prédécesseur, M. Ehoud Barak, c’est qu’il restait partisan d’un grand Israël. N’a-t-il pas, quelques mois après son élection, en février 2001, lancé aux élèves lors d’une cérémonie dans une école à Jérusalem : « Eretz Israël [la Palestine historique] tout entière nous appartient. »

Depuis, il a changé d’avis, car la situation sur le terrain a évolué. Après son accession au pouvoir – l’Intifada s’était déjà installée durablement –, M. Sharon a tout fait pour la briser par la force. Toute la société civile des territoires palestiniens souffrant de sa main de fer, le premier ministre s’attendait à une reddition palestinienne. Mais son plan a échoué. Pour la première fois dans l’histoire des guerres d’Israël, l’adversaire pénètre à l’intérieur de son territoire et cause la mort de centaines et de centaines de civils, dans les villes du pays. En outre, l’économie nationale, en premier lieu le tourisme, source essentielle de revenus, est sévèrement frappée. Le moral de la population baisse. Les critiques contre le refus de toute reprise des pourparlers avec l’Autorité palestinienne et contre les violations flagrantes des droits de la personne augmentent. Le pacte de Genève, une initiative des pacifistes israéliens et palestiniens (« pire qu’Oslo », selon M. Sharon), attire des sympathisants, en Israël ainsi que dans le monde, surtout en Occident, où certaines chancelleries, notamment en France, ont salué cet engagement comme une base possible pour de futures négociations.

Du poison avec un peu de miel

Mais ce qui inquiète le plus le général Sharon, ce sont les critiques acerbes de militaires contre le comportement brutal de l’armée à l’égard de la population palestinienne, qualifié de contraire aux normes humanitaires. Aux centaines de refuzniks du mouvement Yesh Gvoul (« Il y a une limite ») qui ont été envoyés en prison pour leur refus de faire leur service militaire dans les territoires occupés, se sont joints 27 pilotes de l’armée de l’air, dont le légendaire général Iftah Spector, vétéran de la guerre de 1967. Ils ont signé à la fin de septembre 2003 une pétition condamnant l’occupation qui « corrompt toute la société israélienne », et ils ont refusé de mener des opérations de « liquidations ciblées » dans les territoires palestiniens, « de porter atteinte à des civils innocents » et « d’attaquer des zones à population dense ». Plus tard, treize réservistes, officiers et gradés de l’unité d’élite numéro 1 de l’armée, Sayeret Matkal, ont écrit à M. Sharon qu’ils ne prendront pas part « à la négation des droits des millions de Palestiniens » : « Nous ne servirons pas de rempart aux colonies ; nous ne ternirons pas notre image dans les opérations d’une armée d’occupation. »

Le comble s’est produit à la mi-novembre 2003, lorsque quatre anciens chefs du Shin Beth, au cours d’une table ronde, ont sonné l’alarme en avertissant que cette politique « pousse le pays vers le gouffre ». « C’est inadmissible », a réagi M. Sharon, accusant ces quatre anciens responsables des services de la sécurité intérieure de créer une atmosphère portant atteinte... à la sécurité du pays.

Le premier ministre mène alors des consultations avec ses conseillers pour chercher à arrêter cette escalade. Il comprend qu’il lui faut présenter un projet qui neutralisera le pacte de Genève en même temps qu’il atténuera les critiques internes et externes. Des suggestions sont avancées, comme celle d’en finir avec l’Autorité palestinienne ou, au contraire, de relancer le processus de paix, mais sans volonté d’aboutir. D’emblée, M. Sharon rejette toutes ces idées.

A Rome, le 18 novembre 2003, il rencontre l’émissaire de la Maison Blanche, M. Elliott Abrams, et lui fait part de ses inquiétudes. M. Abrams lui propose alors de reprendre les pourparlers avec les Syriens. M. Sharon refuse et évoque devant lui le projet de désengagement unilatéral de Gaza (6). Les réactions ne tardent pas et les dirigeants occidentaux félicitent sans retenue M. Sharon pour son « courage ».

Le pacte de Genève est mis au placard. L’opposition travailliste soutient le premier ministre et fait tout pour rejoindre la coalition de la droite nationaliste et religieuse. « M. Sharon a changé », se réjouissent M. Shimon Pérès et ses amis, sans formuler la moindre réserve sur les aspects négatifs du plan. Aucune critique non plus contre les crimes perpétrés par l’armée à Rafah, à Jabaliyya et ailleurs dans les territoires palestiniens, qui ont causé des centaines de morts, pour la plupart des civils, et la destruction de centaines de maisons, surtout dans les camps de réfugiés.

Les Palestiniens, eux, ont réagi avec scepticisme au plan de désengagement. Ils ne croient pas M. Ariel Sharon. Le journaliste palestinien, Elias Zananiri, résume leurs réactions : « Le plan Sharon ressemble au poison qui contient un peu de miel. »

(1) Et quatre autres, petites, dans le nord de la Cisjordanie, qui sont à moitié vides depuis des années. Lire « Des colons entre rage et résignation », Le Monde diplomatique, janvier 2001.

(2) Lire Amram Mitzna, « Voilà pourquoi M. Ariel Sharon a peur », et Qadoura Fares, « L’accord de Genève, une fenêtre ouverte sur l’espoir », Le Monde diplomatique, décembre 2003 ; et Monique Chemillier-Gendreau, « Israël-Palestine, une paix fondée en droit », janvier 2004.

(3) Entretien à Haaretz, Tel-Aviv, 8 octobre 2004.

(4) Discours de M. Bush lors de sa rencontre avec M. Sharon, à Washington, le 14 avril 2004.

(5) Entretien à Haaretz, 8 octobre 2004.

(6) Haaretz, 13 octobre 2004.

Sources : MONDE DIPLOMATIQUE

Posté par Adriana Evangelizt

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