Diviser pour mieux régner
Diviser pour mieux régner
Les USA et l’UE ont atteint leur objectif: une guerre civile en Palestine
par Knut Mellenthin, Berlin
Début juin, il n’a fallu que quelques jours aux combattants du Hamas, pour prendre d’assaut toutes les bastions des forces de sécurité contrôlées par le président Mahmoud Abbas dans la bande de Gaza. A Washington, la surprise a été grande. Sur le papier les formations liées à Abbas n’étaient pas seulement plus nombreuses mais aussi mieux armées que les forces à disposition du Hamas. Qu’est-ce qui s’était passé? Premièrement, les actions du Hamas étaient planifiées et organisés de manière excellente. Une deuxième base importante du succès rapide est que, dès le début, beaucoup de combattants du Fatah n’ont pas pris part aux combats ou ont déserté. Comme des dirigeants du Fatah déclarent maintenant publiquement, ils ne voulaient pas être plus longtemps les outils d’une politique dont les commanditaires se trouvent à Washington et Jérusalem.
Pourquoi le Hamas et la partie du gouvernement palestinien lié à lui, se sont décidés maintenant à prendre l’initiative militaire pour mettre fin à la lutte pour le pouvoir – qui avait déjà duré des mois – avec Abbas et une grande partie du Fatah? Les désavantages sont évidents: l’étincelle ne peut, pour le moment, se propager en Cisjordanie, toujours occupée par les troupes israéliennes et où le Hamas est moins fort que dans la bande de Gaza. Les deux parties des territoires occupés resteront pour l’instant séparées. La bande de Gaza est menacée par un dessèchement financier et économique encore plus fort par les USA et l’Union européenne. Le courant électrique, l’eau, le mazout et une grande partie de la nourriture doivent être importés d’Israël. Même si le gouvernement à Jérusalem a annoncé maintenant de maintenir l’approvisionnement pour l’instant, cela ne représente aucune sécurité. En fait, Israël a en grande partie interrompue les livraisons de vivres. Par ailleurs, une nouvelle grande offensive israélienne menace, en discussion depuis des mois.
Dans ce contexte on peut supposer que le Hamas a pris l’initiative parce qu’il pensait ne plus avoir d’autre choix. Il a fallu devancer un «putsch» du «Groupe Dahlan», a déclaré le 18 juin Jahja Musa, le président suppléant de la fraction du Hamas au parlement. Non pas sans ajouter que le plan d’action de Dahlan avait été accordé avec les USA, Israël et le président Abbas.
Mohammed Dahlan est le responsable pour la sécurité de Abbas. Outre cela, il a dirigé le Conseil de sécurité national, dont la dissolution a été ordonnée le 18 juin par le président. Ce conseil, dont le Hamas faisait également partie, devait surveiller la coordination des diverses forces de sécurité. Depuis le début des négociations d’Oslo (1993), Dahlan a été le plus important homme de liaison d’Arafat avec les services secrets et militaires israéliens et américains. Depuis lors, il jouit de la plus grande estime auprès d’eux. Chez le Hamas c’est l’homme le plus haï, car dans les années 90, il a fait emprisonner des centaines de ses membres. On parle de torture dans les prisons, et de l’engagement d’escadrons de la mort contre l’opposition. L’obligation de «détruire l’infrastructure terroriste» faisait partie de l’accord entre le OLP et Israël.
A l’intérieur du Fatah, Dahlan est depuis longtemps au centre de la critique. Ahmed Hilas, un politicien important du Fatah de la bande de Gaza, lui a reproché en avril qu’il imposait des objectifs américano-israéliens à l’organisation. Se référant à Dahlan, Hilas a déclaré que certaines personnes croyaient qu’il était possible de résoudre le problème de l’occupation par le dialogue, tandis que, pour résoudre les contradictions internes palestiniennes, il fallait miser sur la force des armes. («Jerusalem Post» du 19 avril)
Après la victoire rapide du Hamas à Gaza, il y a de nouvelles attaques du Fatah contre Dahlan. Beaucoup de gens le rendent responsable de la défaite. Il y en a qui exigent même de le traîner devant un «tribunal révolutionnaire» parce qu’il aurait «fait la honte» du Fatah et l’aurait «détruit». Dahlan n’était pas à Gaza pendant les combats, il séjournait depuis plusieurs semaines en Egypte pour un traitement médical. Mais il y a aussi des suppositions que le séjour de Dahlan dans le pays voisin servait en réalité à la préparation d’actions militaires pour la destruction du Hamas.
En ce qui concerne l’affirmation qu’avec son offensive le Hamas aurait devancé le «putsch» prévu par la «fraction des mutins» conduite par Dahlan, des informations plus détaillées seront probablement publiées prochainement. Un indice important se trouve dans l’accord informel entre Israël et le président Abbas, sur lequel on a informé début mai. Il s’agit d’une idée lancée par la ministre des Affaires étrangères des Etats-Unis, Condolezza Rice. Son auteur serait le général-major Keith Dayton. En tant que «coordinateur de la sécurité» des Etats-Unis pour la Palestine, il a son mot à dire pour tout ce qui concerne les forces armées dirigées par Abbas.
La partie centrale de l’accord est un plan qui contient, dans le sens d’un échange réciproque, jusqu’au plus petit détail, des points d’orientation chronologique (des soi-disant Benchmarks).
En font partie entre autre l’abandon de nombreux points de contrôle et de blocages de routes israéliens en Cisjordanie qui auraient dû commencer le 1er juin. En outre, Israël aurait dû, d’après la volonté de Rice et de Dayton, aider à fournir des armes, de la munition et des pièces d’équipement aux forces d’Abbas.
Du côté palestinien, Dahlan devait être chargé de présenter jusqu’au 21 juin un plan élaboré pour une action militaire d’envergure dans la bande de Gaza. Officiellement il s’agissait d’empêcher le tir de roquettes Qassam et le trafic d’armes le long de la frontière avec l’Egypte. Les forces armées requises pour cela devaient également être à disposition pour cette date. («Haaretz» du 4 mai)
Début mai, il n’était pas encore clair si les deux parties s’étaient déjà définitivement mis d’accord sur ce calendrier. Selon le quotidien israélien «Haaretz», le gouvernement Olmert ne s’était pas encore fixé, tandis que l’entourage d’Abbas avait déjà donné son approbation non officielle. Le 17 juin, Abbas a prié Israël – en faisant expressément appel à l’accord des Benchmarks – d’abandonner un certain nombre de points de contrôle, ce qui laisse supposer, qu’au moins le côté palestinien considère ce calendrier comme définitif – et qu’ils pensent avoir rempli leur part du «deal».
Tout de suite après les élections du parlement en janvier 2006, le gouvernement des Etats-Unis a mis le cap sur un isolement du Hamas qui avait récolté une majorité des mandats. Pour cela, ils ont exercé une forte pression sur Abbas et le Fatah de ne pas participer à la coalition souhaitée par le Hamas. Finalement, fin mars 2006, le Hamas a formé seul son gouvernement. L’objectif des USA était alors sa chute par la force. Un facteur important était la collaboration étroite avec l’Allemagne et les autres Etats de l’UE. Le levier le plus important était l’interruption des payements avec lesquels les salaires des fonctionnaires palestiniens avaient été payés. Le but était une révolte des masses contre le gouvernement.
Le projet américano-européen misait avant tout sur les réactions des forces de sécurité dominées par le Fatah. Celles-ci avaient, déjà sous Arafat et plus tard sous son successeur Abbas, manifesté plusieurs fois pour une meilleure rémunération et pour d’autres exigences sociales. Déjà à l’époque, cela prenait parfois des allures de mutinerie armée accompagnée de vols à main armée organisés. Comme prévu, ces activités de protestation ont massivement amplifié sous le gouvernement du Hamas. De manière répétée, des troupes d’Abbas ont occupé les ministères, ont dévasté systématiquement les bureaux, ont pris des membres du gouvernement en otage et ont même finalement pris d’assaut le parlement de Ramallah. Depuis l’été 2006, les régions occupées se sont trouvées plusieurs fois au bord d’une guerre civile. Déjà à cette époque-là, les USA ont pressé Abbas de destituer le gouvernement et d’instituer un régime d’urgence. D’abord en vain, parce que le président voulait éviter de verser du sang parmi les Palestiniens.
Dans ce contexte, Abbas et le chef de gouvernement Ismail Hanije ont annoncé en septembre 2006 qu’ils s’étaient mis d’accord sur un gouvernement de coalition. Cependant, les négociations de détail se sont avérées très pénibles, la «fraction des mutins» n’a pas cessé de perturber ces négociations avec de nouvelles provocations armées. La prétendue garde du président, la formation la mieux équipée des mutins, a occupé le ministère de l’Agriculture en décembre 2006. A la même époque, d’autres unités d’Abbas ont attaqué un convoi dans lequel se trouvait le ministre des Affaires étrangères, Mahmud Al-Zahar et ont tenté de le tuer. Dans cette atmosphère échauffée, Abbas a annoncé qu’il allait dissoudre le gouvernement et préparer de nouvelles élections. Ce qui l’en a empêché étaient les pronostics défavorables pour le Fatah.
C’est seulement le 17 mai que la formation d’un gouvernement de coalition a été réalisée. Les USA ont voulu l’empêcher cela jusqu’à la dernière minute. Alors ils ont pressé Abbas à une nouvelle provocation, avec succès: Comme premier acte administratif après la prestation de serment du nouveau gouvernement, il a nommé Dahlan conseiller de la sécurité. Le Hamas a protesté violemment et a mis en question le sérieux de la volonté à la collaboration d’Abbas.
A Washington on était entre temps persuadé que les appels répétés à l’adresse d’Abbas de procéder par la violence contre le Hamas ne servaient à rien. Surtout les bureaux israéliens concernés ont rendu attentif au fait que les rapports de force n’étaient pas favorables au Fatah. Pour cette raison le gouvernement états-unien a bricolé dès automne 2006 un programme pour armer massivement les forces de sécurité soumises à Abbas et pour améliorer leur formation.
A la première tentative, fin 2006, 100 millions de dollar ont été planifiés pour ce projet. Mais, le Congrès n’a pas joué le jeu, les deux partis ont constamment fait de nouvelles objections. Le gouvernement israélien a également refusé, en premier lieu avec l’argument que les armes livrées pourraient «tomber dans les fausses mains». Derrière cet argument se cachait manifestement le doute de la loyauté d’une partie des forces de sécurité envers Abbas. Le gouvernement des USA a descendu sa planification à 86 millions de dollars, mais pour le congrès c’était toujours trop. La formation d’un gouvernement de coalition palestinien a renforcé la résistance des sénateurs et des députés contre le programme d’aide militaire. Le gouvernement a présenté un nouveau plan du montant de 59 millions de dollars qui a finalement été accepté par le Congrès, début avril 2007. Destinataire en est maintenant presque exclusivement la garde présidentielle, manifestement l’unité la plus fiable, qui reçoit 43,4 millions du «paquet de sécurité», dont 14,5 millions seront utilisés pour la formation et 23 millions pour l’équipement «non mortel». La garde présidentielle compte d’après les données israéliennes, 3700 hommes et devrait être renforcée avec l’aide des USA à 4700 hommes. L’année passée déjà, il a été rapporté qu’à long terme Abbas comptait même l’augmenter à 10 000 hommes.
L’aide militaire officielle des Etats-Unis devait se limiter à un équipement «non létal». Malgré cela, au cours des derniers mois, des grandes quantités d’armes ont été livrées aux troupes d’Abbas, venant en premier lieu d’Egypte et de Jordanie. Des soldats israéliens ont sécurisé les transports et les ont fait passer à la frontière. On ne conteste pas sérieusement que ces livraisons aient été financées et organisées avec l’aide des Américains. Seul le déroulement concret n’est jusqu’à présent pas connu.
Les médias des Etats-Unis prétendent unanimement que l’aide de 59 millions n’a pas encore été activée. En effet, il a été rapporté plusieurs fois en mai que des groupes de 500 à 600 hommes ont été transférés dans la région de Gaza après avoir terminé leur formation. L’entrée de ces troupes d’Abbas s’est faite avec l’accord d’Israël. Ces cours n’auraient cependant pas été financés avec ces 59 millions de dollar, ils viendraient d’autres sources. Dès décembre 2006, il était évident que des activités étaient en cours. A cette époque des militaires américains et soi-disant aussi européens ont participé à un camp d’entraînement de la «brigade Badr» en Jordanie. Selon des médias israéliens, cette troupe a la meilleure formation de la Fatah et est le mieux armée.
Après leur défaite à Gaza, Mahmoud Abbas et sa «fraction des mutins» essayent maintenant de stabiliser leur régime en Cisjordanie avec des moyens contraires à la constitution, illégaux et despotiques. Pour cela ils peuvent être certains du plein soutien des Etats-Unis, de l’Allemagne et d’autres Etats importants de l’UE.
Le week-end du 16 juin, le président Abbas a déclaré dissolu le gouvernement de coalition, dirigé par Ismaël Hanije. Le 17 juin, il a assermenté personnellement un gouvernement d’urgence qu’il avait choisi lui-même – en contradiction totale avec la constitution palestinienne. Celle-ci prescrit que l’assermentation par le président doit être auparavant approuvée par le parlement. Mais cela est impensable, car au parlement, c’est le Hamas qui dispose de la majorité des mandats. On ne peut pas s’attendre à ce que la représentation nationale – issue d’élections libres et équitables en janvier 2006 – se réunisse prochainement. Abbas a ordonné par décret que la représentation d’urgence puisse prendre des décisions sans approbation du parlement. Tout ce qui n’est pas expressément interdit par la constitution palestinienne élaborée avec peu de soin, semble légitime pour le président. Ainsi, après la victoire du Hamas aux élections il y a un an et demi, il s’est rapidement assuré le commando de toutes les forces de sécurité et le droit de disposer de l’immense fortune du Fatah, amassée sous Arafat.
Le gouvernement d’urgence est constitué pratiquement que de représentants soi-disant indépendants (le statut du ministre de l’intérieur Mahmud Al-Jahija n’est pas clair). Avec ce mot trompeur on désigne maintenant des personnes qui n’ont aucune base dans la politique palestinienne et dont la seule recommandation consiste en la haute estime dont ils bénéficient aux Etats-Unis et en Israël. Le Premier ministre Salam Fajad, nommé par Abbas, représente ce type à merveille. 1968, quand il avait 16 ans, sa famille a quitté la Palestine occupée et est allée s’établir en Jordanie, plus tard aux Etats-Unis. Là, à l’Université de Texas à Austin, il a fait ses études et passé sa thèse. De 1987 à 1995, il a travaillé pour la Banque mondiale, puis comme représentant du Fond monétaire international pour la Palestine. En 2001, il a été appelé par Arafat au poste de ministre des Finances – surtout suite à la pression du gouvernement des USA qui a demandé une «réforme» fondamentale des finances palestiniennes. Il avait gardé cette fonction aussi dans le gouvernement de coalition formé en mars sous Hanije.
Il y a quelques années, Fajad a fondé ensemble avec la politicienne connue, Hanan Aschrawi, le parti du «Troisième voie». Lors des élections de janvier 2006, cette liste a atteint 2,41%. Cela a suffit pour le moins pour deux mandats qui ont été occupés par Fajad et Aschrawi. Fajad est, comme les médias l’ont déjà écrit il y a des mois, le «Palestinien préféré de tout le monde», plus exactement le «politicien palestinien avec la plus grande estime en Occident». Avec Dov Weisglass, le conseiller de l’ancien chef de gouvernement israélien Ariel Sharon, il est lié d’une amitié profonde.
Les gouvernements des Etats-Unis et de l’UE ont, après les mesures d’urgence d’Abbas, commencé le «combat pour les cœurs et les têtes des Palestiniens», comme ils l’appellent eux-mêmes. Ouvertement et sans gêne on radote qu’il faut maintenant soutenir le président, en démontrant aux habitants des régions occupées que l’adaptation et la soumission sous l’influence étrangère totale apportent des avantages matériaux. Il semble qu’on ignore en Occident que ce débat est perçu aussi en Palestine et que cela provoque chez beaucoup de gens des sentiments entre la nausée et la colère. La protection étrangère démesurée pour le président ne peut que lui nuire, mettent en garde des critiques de cette stratégie.
D’autant plus: combien est-ce que cela paie réellement? Jusqu’à présent les Etats-Unis et l’UE n’ont pas promis beaucoup plus que la libération de fonds qui auraient été payables déjà l’année passée mais qui ont été gelées après la victoire électorale du Hamas. La même chose est valable pour Israël, où l’on réfléchit actuellement au déblocage de quelques cent millions de dollars. Là, il s’agit de recettes d’impôts, de taxes et de droits de douane encaissés par Israël qui appartiennent légitimement aux Palestiniens mais qui ont été retenus pour affamer le gouvernement Hanije.
Les USA font maintenant pression pour qu’Israël fasse publiquement semblant de négocier une solution de paix avec Abbas. Il est certain qu’Olmert rendra bien ce petit service aux Américains. Evidemment ce n’est qu’une farce: Déjà avant la victoire électorale du Hamas, Israël n’avait pas négocié sérieusement avec Abbas et lui a refusé toute chance de se profiler par de petits succès. Pourquoi cela devrait tout à coup changer?
De toute façon il ne s’agit pas d’une question «climatique», comme semblent le croire les gouvernements occidentaux. La population palestinienne ne se laisse pas impressionner par des comédies diplomatiques. Elle attend vainement des résultats depuis 40 ans. Olmert non plus, n’a rien d’autre à offrir que son projet de convergence, présenté en mars 2006. Il prévoit qu’Israël annexe définitivement des parties centrales de la Cisjordanie, occupée depuis 1967. En contrepartie un Etat palestinien dépecé en trois ou quatre parties sera créé, un état sans propres frontières extérieures et entièrement dépendant d’Israël. Avec de tels plans, Mahmud Abbas et ses mutins ne récolteront pas de sympathie – en tout cas pas auprès des Palestiniens. •
Source: junge Welt du 20/6/07
(Traduction Horizons et débats)
Sources Horizons et débats
Posté par Adriana Evangelizt