Dire NON aux chasseurs de Goliath

Publié le par Adriana Evangelizt

Dire NON aux chasseurs de Goliath

Gilad ATZMON

Son site

Traduit par Fausto Giudice


« L’obsession (‘dibouk’) de Nasrallah, qui a hanté les décideurs (israéliens) tout au long de la deuxième guerre du Liban , a plusieurs raisons. En premier lieu, Israël a toujours perçu les ( dirigeants) arabes comme des personnes privées plutôt que des représentants de systèmes politiques. Même les analystes des médias et politiciens faisaient référence à « Assad », à « Arafat » ou à « Nasrallah », plutôt qu’aux États et aux organisations qu’ils représentent. Aux yeux des décideurs (israéliens), tout comme à ceux des médias et de l’opinion publique, le monde arabe était dirigé par des individus plutôt que par des systèmes de gouvernement et, par conséquent, la meilleure manière de l’influencer était, dans la plupart des cas, de balancer une bombe au bon endroit. »

Ofer Shelah et Yaov Limor, Captives in Lebanon, Miskal, Yedioth Ahrononth and Chemed Books, 2007, p. 95.

Les Israéliens ont tendance à personnaliser tout conflit. Certes, ce faisant, ils ne sont ni originaux ni innovateurs. Ils ne font de fait que suivre l’enseignement biblique. Dans la vision juive du monde, l’histoire et l’éthique sont souvent réduites à un simple et banale opposition binaire. Par exemple, la bataille à mort entre David le « juste » et Goliath le « méchant » incarne le combat entre les « bons » Israélites et les « mauvais » Philistins. Bien que ce récit biblique particulier, puisse être compris en des termes purement littéraires, les similitudes avec les Israélites contemporains sont particulièrement inquiétantes. En Israël, il existe une voie express, qui mène directement du « rôle de l’assassin » aux fauteuils ministériels. En permanence, nos Israélites des temps modernes supplient leurs criminels couverts de décoartions de devenir leurs rois, de prendre la tête de leur armée, et d’entrer au gouvernement. C’est à l’évidence ce qui est arrivé à Sharon, à Barak, à Mofaz, à Halutz, à Dichter et à bien d’autres .

Mais les Israéliens ne sont pas les seuls à se livrer à ce jeu. La tendance à personnaliser et à concrétiser l’histoire est très répandue chez les juifs. Aux yeux de beaucoup de juifs, le Troisième Reich se résume à deux personnes : Hitler et Goebbels. L’antisémitisme est souvent ramené à Wagner, Marx, Weininger et ainsi de suite. De fait, la personnalisation ne fait que simplifier la réalité ambiante, le cours de l’Histoire et son interprétation. Une fois Hitler disparu, le Troisième Reich n’existe plus ; une fois Wagner banni, il en sera forcément de même de l’antisémitisme. Cette tendance à personnaliser les conflits, les idéologies et les visions du monde obéit à une perception infantile du monde : ce que vous ne voyez plus a du cesser d’exister. Cela colle parfaitement avec le slogan biblique : « œil pour œil, dent pour dent ». Et pourtant, il n’y a là qu’un modèle d’autosuggestion. Cela associe de manière fausse quelque chose d’abstrait avec quelque banale concrétisation. Cela exonère les adeptes de ce sport de tout engagement intellectuel, idéologique, critique et impliquant une réflexion sur soi-même.

Il est évident que l’interprétation sioniste de l’histoire ne s’attache à rien de plus qu’au symptôme concret, à la manifestation la plus simple de l’animosité qui l’entoure, plutôt qu’au cœur du problème lui-même. Bon d’accord, Hitler a été vaincu ; les juifs sont aujourd’hui plus que bienvenus en Allemagne et en Europe mais l’État juif et les fils d’Israël sont au moins aussi impopulaires, au Moyen-Orient, que l’étaient leurs grands-parents il y a tout juste six décennies en Europe. Apparemment, c’est la personnalisation de la Seconde guerre mondiale et de l’Holocauste qui a aveuglé les Israéliens et leurs partisans, les empêchant ainsi d’intérioriser la signification réelle des circonstances et des événements qui conduisirent à leur destruction. Si les sionistes comprenaient la signification réelle de leur Holocauste, les Israélites contemporains seraient en mesure d’éviter la destruction qui leur pend au nez dans le future. De même, Wagner peut bien être interdit en Israël mais les conditions qui amenèrent Marx, Weininger et Wagner à dire ce qu’ils avaient à dire sont inchangées. Apparemment, de plus en plus de gens, dans des milieux de plus en plus larges, réagissent aujourd’hui de manière critique, politiquement et idéologiquement, à Israël, au sionisme, au tribalisme juif et aux politiques atrocement inhumaines qui dérivent du nationalisme et de ses rejetons politiques et culturels.

Mais regardons les choses en face : il n’y a pas que les Israéliens qui personnalisent les conflits. Grâce aux néocons et à leur terrifiante influence présente sur le royaume politique anglo-usaméricain, nous sommes tous exposés à quelque simplification à outrance, à quelque personnalisation de pratiquement tous les conflits dans lesquels l’Occident est engagé. Apparemment, toute guerre actuelle de l’Occident occident a un « visage », qui lui est lié. La « guerre contre le terrorisme » a le visage barbu d’Oussama Ben Laden. La prétendue « libération du peuple irakien » avait le visage de Saddam Hussein en première position sur la liste des hommes à abattre. Dans le cadre de la guerre sionisée des néocons, tout conflit idéologique devient un complot visant à l’ « assassinat ciblé » d’une personne. Puis-je rappeler qu’avant que les néocons ne lancent leur opération pas mal réussie de sionisation de l’Amérique et de la Grande-Bretagne, ces deux pays étaient impliqués dans des guerres idéologiques et dans des conflits politiques qui n’étaient nullement personnalisés. La Grande-Bretagne et les USA se sont battus courageusement contre l’Allemagne du Troisième Reich (plutôt que simplement contre Hitler). De même, ils ont eu un clash froid avec « Les Rouges », (plutôt qu’avec le seul Staline).

Mais, à l’évidence, ce n’est plus le cas. Dans un monde remodelé par les néocons, le système politique est réduit à une chasse simpliste au Goliath biblique. Nous les justes, nous les David, nous pourchassons les Goliath : Saddam, Ben Laden, Assad et Ahmadinejad

Pourtant, au jour d’aujourd’hui, nous devrions tous comprendre la futilité de cette philosophie. Autant Israël a échoué à écraser la résistance palestinienne en tuant tout dirigeant palestinien émergent un tant soit peu remarquable, autant Israël a échoué à vaincre le Hezbollah en ciblant ses dirigeants, autant l’Usamérique et la Grande-Bretagne sont condamnées à échouer dans leurs actuelles batailles sionisées et criminelles. Saddam est mort et pourtant, l’Irak et ses champs pétrolifères sont encore loin d’atteinte. Ben Laden ne montre jamais son visage en public et pourtant, la guerre contre le terrorisme attend toujours un quelconque résultat

Je veux croire que la défaite qui vient d’Israël et de ses lobbies sera saisie de manière appropriée par l’opinion publique occidentale. Nous devons dire NON aux tactiques sionisées, nous devons dire NON aux agents sionistes, nous devons dire NON aux chasseurs de Goliath !

Anatomie d’une défaite kolossale

Un an après l’humiliante défaite d’Israël au Liban, je me suis retrouvé en train de passer en revue le fiasco israélien à travers les yeux de deux analystes militaires renommés, Yoav Limor et Ofer Shelah. Dans un ouvrage récent, intitulé Captives Of Lebanon, les deux auteurs ont réussi à composer un journal très détaillé de l’enchaînement des événements qui ont mené à la guerre, de la guerre elle-même et de l’interminable liste des échecs opérationnels, tactiques et stratégiques israéliens. Miais Limor et Shelah ne se limitent pas à l’armée et à ses commandants, ils transmettent avec talent l’image d’une société dévoyée, d’une société qui s’est détachée progressivement de sa propre réalité et de son environnement. Une société faisant face aujourd’hui à un total effondrement moral, sous la direction d’un leadership égotiste et autiste, sur les plans aussi bien politique que militaire.

La défaite militaire d’Israël, l’année dernière, au Liban, a pris le monde par surprise. Elle a d’emblée été un choc pour l’administration de Bush, comme pour Tony Blair, qui s’étaient empressés de donner à Israël le feu vert pour détruire le leadership chiite du Liban, pour ne pas parler de la destruction totale de l’infrastructure civile libanaise. Bush et Blair ne furent pas les deux seuls à être choqués ; le monde arabe fut lui-même assommé. Les dirigeants arabes ne sont pas habitués à des défaites de l’armée israélienne. Les dirigeants arabes modérés se sont vus contraints de suivre à la télé comment un clerc musulman, seul, enseignait aux Israéliens le sens du mot « défi ». Apparemment, le Cheikh Hassan Nasrallah et un nombre insignifiants de combattants ont été les premiers Arabes à vaincre l’armée israélienne au sol. Leur victoire a réduit Israël en lambeaux. La puissance de dissuasion israélienne s’est complètement dissoute. C’est déjà devenu un sujet de recherche historique. Le commandement suprême de l’armée israélienne a été lui aussi choqué : un mois après la guerre, le général Udi Adam, commandant en chef du Front Nord, démissionnait., Le chef d’état-major de l’armée israélienne Dan Halutz ne tarda pas à faire de même. Amir Peretz, le ministre de la Défense, fut remplacé par l’ancien Premier ministre Ehud Barak. Il est plutôt évident que les Israéliens sont parfaitement conscients de l’ampleur de leur défaite. Mais il semble qu’ils ne sachent pas comment s’y prendre pour réparer les dégâts. Ils sont totalement amoureux de leur « belle vie », ils sont captivés par l’images de la technologie et de l’aisance.

Bien que je ne sache pas si ce livre sera traduit ou non dans d’autres langues (il est écrit en hébreu), je le classerais dans la catégorie « à lire absolument » par toute personne intéressée par les affaires de la région. Cet ouvrage est une plongée dans ce qui semble être un dysfonctionnement final et destructif de la société israélienne. Je suis convaincu que ceux d’entre les Américains qui ont été assez débiles pour soutenir l’appareil de guerre israélien depuis presque quarante ans, et qui croient encore qu’Israël est une « superpuissance régionale » doivent lire ce journal de la couardise militaire d’Israël et de son dysfonctionnement politique généralisé.

Bien que le livre ne le dise pas explicitement, son message est tout à fait clair : Israël agit à la manière d’un violent ghetto juif mégalomane, motivé par quelque zèle meurtrier bizarre et inondé de technologie meurtrière usaméricaine. Comme le révèlent les auteurs, Limor et Shelah, en dépit du fait que le conflit terrestre se soit déroulé sur une bande de territoire très étroite (la frontière israélienne, au sud, et la rivière Litani, au nord), l’artillerie israélienne n’en a pas moins trouvé le moyen de tirer plus de 170 000 obus. En comparaison, durant la guerre de 1973 où ils étaient opposés aux armées de deux puissants pays, sur deux fronts très étendus, les Israéliens n’avaient lancé que 53 000 obus. Les chiffres concernant l’aviation sont beaucoup plus frappants encore. Bien que très peu de cibles concrètes eussent été à la disposition du renseignement militaire israélien, l’aviation israélienne a lancé non moins de 17 550 missions de combat, ce qui donne une moyenne de 520 missions par jour, soit presqu’autant qu’au cours de la guerre de 1973 (605 raids par jour). Pourtant, en 1973, l’aviation israélienne était confrontée à deux aviations bien équipées ; elle avait été engagée dans un nombre important de combats air-air, et à une lutte incessante contre les missiles sol-air soviétiques de la dernière génération. On n’a rien vu de tel durant la seconde guerre du Liban. L’aviation israélienne s’est uniquement consacrée au pilonnage du territoire libanais. Elle a littéralement balancé et lancé tout ce qui lui tombait sous la main, recourant à une méthode impitoyable qui, par endroits (dans la banlieue Sud de Beyrouth par exemple) a eu le même effet que les bombardements en tapis anglo-usaméricains, de sinistre mémoire des années 40.

Pour quelle raison les Israéliens ont-ils réagi aussi rudement à un banal incident de frontière ? Pourquoi les hommes politiques et les chefs militaires israéliens ont-ils perdu leur capacité d’avoir une réflexion stratégique et tactique ? Pourquoi ont-ils, tous, échoué à définir des objectifs militaires atteignables, ce qui aurait pu donner à leur guerre un cadre temporel, une ligne et une justification ? Bref, pourquoi les Israéliens ont-ils perdu les pédales ? C’est là, effectivement, une question absolument cruciale. Bien que Limor et Shelah s’abstiennent de poser ces questions, leur livre parvient à donner certaines réponses. Je vais tenter de résumer certaines de leurs opinions.

Les militaires

Commençons par l’armée. L’armée israélienne a subi une sérieuse transformation au cours des quatre dernières décennies. Dans les années qui suivirent l’invasion éclair de 1967, ce sont des officiers d’infanterie et des généraux des blindés, en particulier, qui ont été promus et portés à la direction de l’armée. L’Israël post-1967 croyait en la Blitzkrieg, une attaque offensive mettant simultanément en action des forces terrestres importantes, appuyées de près par un soutien aérien. Après la guerre de 1973, en raison du succès limité des forces terrestres et des divisions de blindés, cette tendance a été abandonnée. Progressivement, ce sont des vétérans des unités spéciales qui ont été promus aux hauts postes de commandement. Le plus célèbre de ces vétérans a probablement été Ehud Barak, un officier de commandos couvert de décorations, qui conclut sa carrière comme chef d’état-major. C’est lui qui, en tant que chef de l’état-major, a nommé ses ex-subordonnés aux plus hauts postes dans le commandement suprême israélien. Les officiers d’infanterie ont, quant à eux, été mis sur la touche.

Cette mutation de l’armée israélienne était motivée par deux éléments : tout d’abord, les services de renseignement présumaient qu’aucun pays arabe n’envisagerait de mener une guerre totale contre Israël dans un futur proche ; deuxièmement, depuis la première Intifada et la montée générale d’une résistance civile palestinienne, l’armée israélienne se trouvait de plus en plus engagée dans des opérations de police. Devant une telle évolution, il n’y avait plus de grand besoin d’un entraînement militaire en vue d’opérations terrestres d’envergure. Les brigades de blindés et de l’artillerie semblaient devenues superflues, et même obsolètes, face aux nouveaux besoins émergents de l’Etat juif. De grandes unités de soldats combattants furent détournées vers des tâches policières en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Dans le cadre de ce changement de scénario, ce furent initialement des unités spéciales de sécurité, avec leurs propres chefs, qui prirent la tête de ce que les Israéliens percevaient comme leur propre « guerre contre le terrorisme ». En conséquence un nombre croissant de vétérans des commandos prirent le chemin du commandement en chef de l’armée, puis carrément de la vie politique israélienne, qui est extrêmement militarisée.

Mais la messe n’était pas dite ; il ne fallut pas bien longtemps pour que les unités spéciales israéliennes démontrent leur incapacité à régler le problème constitué par ce qui semblait être une résistance civile palestinienne croissante. Envoyer le sel de la terre juive dans la bande de Gaza à l’heure du laitier s’avérait bien trop dangereux. Il faut dire qu’autant les Israéliens adorent voir leurs jeunes boys terroriser des Palestiniens, autant ils ne supportent pas de voir leurs Rambos adorés tomber dans des embuscades et se faire tuer.

Il ne fallut pas longtemps avant que la tâche de se colleter avec le défit palestinien soit confiée à l’aviation. Capitalisant sur quelques technologies usaméricaines avancées, Israël envoya ses F-16 et ses hélicoptères armés Apache lancer des missiles téléguidés contre des cibles civiles et militaires palestiniennes. La philosophie en était plutôt simple : l’aviation israélienne avait pour raison d’être de maintenir les Palestiniens dans un état d’effroi permanent. C’est pourquoi, au cours de la dernière décennie, l’aviation israélienne est devenue la force de pointe dans la guerre contre la Palestine, contre le peuple palestinien et contre sa direction islamique émergente. L’aviation a rapidement mis au point une nouvelle tactique militaire, qui n’a pas tardé pas à être baptisée « assassinats ciblés ». D’après la nouvelle doctrine militaire israélienne, tout ce dont on avait besoin, c’était d’un peu de renseignements récoltés au sol, suivis d’un jet israélien isolé, lançant un missile téléguidé usaméricain sur une bande de Gaza densément peuplée. Les effets de cette tactique furent plutôt évidents. Dans beaucoup de cas, les Palestiniens visés furent assassinés, mais dans beaucoup de cas, aussi, ils trouvèrent la mort en compagnie de civils innocents qui avaient eu la malchance de se trouver dans le voisinage. Ces malheureux se trouvaient au mauvais endroit au mauvais moment ! Dans de nombreux autres cas, les pilotes manquaient de renseignements ou étaient induits en erreur par eux. Résultat : beaucoup de civils palestiniens, dont principalement des vieillards, des femmes et des enfants, trouvèrent la mort. Bien entendu, personne, en Israël, ne s’en souciait le moins du monde. Quand on demanda à Dan Halutz, alors commandant de l’aviation, ce qu’on éprouve quand on a lancé une bombe qui a tué quatorze civils palestiniens, sa réponse fut courte et simple : « Vous ressentez une légère secousse, du côté de l’aile gauche ». Halutz, l’officier au sang froid, l’homme qui donna l’ordre d’assassiner tant de Palestiniens, était l’homme qu’il faut à la place qu’il faut: on ne tarda donc pas à le prier de prendre la tête de l’armée israélienne.

Au fil du temps, le gouvernement israélien s’abstint de mettre en danger la vie de ses jeunes soldats. La « guerre contre le terrorisme » israélienne était devenue particulièrement sûre, et ressemblait à un jeu électronique. Sheikh Yassine, le Dr. Al Rantissi et beaucoup d’autres civils tombèrent, victimes de cette forme de tactique meurtrière. Apparemment, la direction militaire israélienne s’est laissée griser par le succès de sa nouvelle méthode d’assassinat. Le peuple d’Israël avait un nouveau Dieu, à savoir : la « supériorité technologique ». La dernière fournée de généraux israéliens, dont la plupart étaient d’anciens pilotes et des vétérans d’unités spéciales, s’habitua à l’idée qu’Israël était en mesure de maintenir sa suprématie régionale en capitalisant sur sa supériorité technologique et sur sa puissance de feu écrasante.

Comme le révèlent Limor et Shelah dans leur livre, au cours des dix dernières années, les soldats israéliens ont littéralement arrêté de s’entraîner à une forme quelconque d’opération tactique de grande envergure au sol. Avec une aviation pourchassant les ennemis d’Israël jusque dans leur chambres à coucher, à quoi bon les tanks et l’artillerie ? De jeunes tankistes furent redéployés, immédiatement après un entraînement initial minimal, dans des tâches élémentaires de surveillance dans les territoires occupés. En pratique, non seulement ces soldats ignoraient totalement leurs missions militaires d’origine, dans les tanks et dans l’artillerie, mais ils n’étaient absolument pas familiarisés avec une forme quelconque de manœuvres tactiques opérationnelles. Autrement dit, l’armée israélienne perdit ca capacité à être prête en cas de guerre.

Si bien que les Palestiniens ont gagné

Beaucoup d’analystes considèrent la Résistance palestinienne comme quantité négligeable du point de vue militaire. En fin de compte, une bande de gosses lançant des pierres ne peuvent pas faire beaucoup de dégâts. Mais à la lecture de Limor et Shelah, on comprend qu’en réalité la lutte des Palestiniens était, de fait, tout, sauf quantité négligeable. En réalité, c’est précisément la résistance civile palestinienne qui a réussi à épuiser l’armée israélienne. C’est la résistance palestinienne qui a mis l’armée israélienne dans un état de paralysie. C’est la résistance palestinienne, qui a fait disperser les effectifs de l’armée israélienne jusqu’aux limites extrêmes, et qui l’a empêchée de s’entraîner en vue de « la prochaine guerre ». Ce sont les Palestiniens, qui ont fait des soldats israéliens et de leurs officiers une bande de couards préférant gagner des guerres confortablement installés devant leurs écrans d’ordinateurs, en manoeuvrant des manettes. De fait, ce sont les Palestiniens qui ont démantelé d’une manière dévastatrice la préparation à la guerre de l’armée israélienne.

C’est tout à fait comme l’a suggéré le Cheikh Hassan Nasrallah dans un de ses discours les plus éloquents. Israël, de fait, « se cachait derrière sa supériorité technologique, à la seule fin de dissimuler sa couardise et son incompréhension des implications qu’avait pour lui le fait de vivre au Moyen-Orient » [discours de Beint Jbeil, après l’évacuation israélienne]. L’armée israélienne s’est habituée à écraser des civils palestiniens sous les décombres de leurs maisons, à assassiner leurs leaders émergents, à terroriser des femmes enceintes aux barrages routiers, à bombarder de jeunes enfants dans leurs salles de classe, et tout cela était très facile. Pourtant, quand on demanda à l’armée israélienne de combattre quelques petits groupes d’enthousiastes paramilitaires faiblement entraînés, elle s’effondra honteusement. Elle s’effondra, en dépit de sa supériorité technologique ; elle fut battue, en dépit de sa puissance de feu écrasante, en dépit, aussi, du soutien odieux apporté par Bush et Blair. Si l’armée israélienne s’est effondrée, c’est parce qu’elle était incompétente, parce qu’elle n’était pas prête au combat, parce qu’elle ne savait pas comment combattre et, plus inquiétant encore pour les Israéliens, parce qu’elle ne comprenait même pas pour quoi elle se battait.

Peu de temps après que le conflit au Liban fut devenu une guerre totale (tout du moins aux yeux des Israéliens), il devint clair, pour la plupart des généraux israéliens, que l’armée israélienne ne disposait pas des moyens de faire cesser la pluie des roquettes Katyusha lancées par le Hezbollah. Si l’objectif initial des Israéliens avait été d’arrêter les roquettes Katyusha et de ramener à la maison les deux réservistes israéliens faits prisonniers, ces objectifs s’avérèrent être hors d’atteinte. Le commandant israélien comprit très tôt qu’en l’absence de renseignement pertinent et de qualité, la supériorité de la puissance de feu et des technologies israéliennes perdait toute pertinence. Aussi curieux que cela puisse paraître, il fallut seulement quelques jours aux dirigeants israéliens pour adopter une sorte de vocabulaire néo-structuraliste. Au lieu de fournir au peuple d’Israël une bonne et franche « victoire » immédiate, ils se mirent – tous, sans exception – à communiquer en termes de « discours de victoire ». Plusieurs jours après le lancement de la campagne armée, les militaires israéliens se mirent à parler en termes d’ « image de victoire », plutôt qu’en termes de « victoire » tout court. Shimon Peres ses mit, quant à lui, à utiliser l’expression « perception d’une victoire ». Rien n’y fit : même la « perception », même l’ « image » d’une improbable victoire s’avérèrent totalement hors de portée.

La Seule-Démocratie –du-Moyen-Orient

Aussi pitoyable qu'eût été l’armée israélienne, le gouvernement israélien ne valait guère mieux. Ehud Olmert, le Premier ministre, l’homme qui avait voté le « désengagement » israélien de certains territoires palestiniens, ne comprenait que dalle aux questions militaires. Comme si cela ne suffisait pas, Amir Peretz, le ministre travailliste, cet homme qu’Olmert avait nommé ministre de la Défense, était tout aussi dépourvu de toute connaissance en matière de défense. Pour la première fois de toute son histoire, Israël était dirigé par deux politiciens professionnels sans expérience militaire [Amir Peretz a tout de même été parachutiste, mais peut-être dans les bureaux, NdT]. À première vue, on pourrait s’attendre à ce qu’un changement aussi dramatique aurait eu pour effet de calmer les tendances israéliennes bellicistes tant dans l’armée que dans l’arène politique. Dans la pratique, c’est le contraire qui s’est produit. Tant Peretz qu’Olmert se virent manipuler et entraîner dans un conflit à grande échelle par un chef d’état-major assoiffé de sang. Considérant leur inexpérience et leur peu de temps au pouvoir, ni Olmert, ni Peretz n’étaient en mesure d’apporter des solutions alternatives créatives, qui auraient pu, à défaut d’autre chose, éviter le conflit. Bien loin de retenir l’armée et de donner une chance à la diplomatie, ils ont tous deux laissé Halutz entraîner le pays dans une escalade totalement superflue. Sans avoir une vision d’ensemble, le gouvernement israélien finit par promettre à Halutz le temps et le soutien nécessaires pour atteindre des objectifs qui étaient dès le départ hors de portée.

Mais il faut dire la vérité : Olmert et Peretz n’étaient pas tout seuls dans leur cabinet. De fait, ils étaient entourés d’analystes militaires, d’experts du renseignement, d’anciens généraux et de vétérans des services de sécurité. Olmert avait, dans son gouvernement, le général de réserve Shaul Mofaz, ancien chef d’état-major, un homme qui a passé la dernière phase de sa carrière militaire à combattre le Hezbollah. Avi Dichter, un vétéran des services de sécurité, était là pour lui commenter les suggestions opérationnelles de l’armée. Ils avaient aussi dans le gouvernement Benjamin Ben Eliezer, un général de brigade de réserve, qui avait été un expert des affaires libanaises dans les trente dernières années. Shimon Peres avait été lui-même Premier ministre, et ministre de la Défense dans le passé. Le général de réserve Ami Ayalon, ancien général de l’armée israélienne et ancien chef des services de sécurité intérieure, offrit son aide à Amir Peretz. Pourtant, aucun de ces experts ne réussit à constituer un organe de prise de décision, aucun d’entre eux ne réussit à modérer l’enthousiasme militaire des Halutz, Olmert et Peretz. Comme une feuille au vent, le gouvernement israélien était manipulé par les généraux, puis par l’opinion publique, qui se retourna de manière dramatique contre la direction et ses échecs.

Le temps passant, plus la défaite militaire devenait notoire et plus Olmert, Peretz et Halutz tentaient désespérément de modifier le cours de la guerre, à seule fin de sauver leur future carrière. Bien qu’ils aient pris conscience que les chances d’obtenir la victoire étaient en train de fondre d’heure en heure, ils étaient déterminés à présenter à l’opinion publique quelque chose qui ressemblerait un tant soit peu à une victoire ou au moins à une réalisation quelconque. C’est là, apparemment, ce que signifie réellement survivre politiquement dans la démocratie israélienne : vous devez absolument avoir quelque chose à montrer, qui ressemble de près ou de loin à une victoire… Pour dire les choses comme elles sont, Peretz, Halutz et Olmert donnèrent à l’armée l’ordre de causer de réelles dévastations supposant que cela plairait à l’électeur israélien. Les commandements de l’aviation et de l’artillerie réagirent instantanément : d’intenses barrages de bombes à fragmentation, de missiles et de mines s’abattirent sur l’ensemble du Sud-Liban. Dans les quarante-huit heures précédant le cessez-le-feu, Israël vida totalement ses stocks de munitions. D’après Shelah et Limor, les stocks se retrouvèrent tous « dans le rouge ».

Pour sauver les carrières politiques d’Olmert et de Peretz, l’armée israélienne lança de plus en plus d’opérations risquées sans aucune utilité, d’une valeur tactique très limitée. Ces opérations échouèrent, l’une après l’autre, sans aboutir à quoi que ce soit. Mais elles révélèrent les faiblesses de l’armée israélienne. Elles révélèrent une armée et une direction politique en état de panique. Dans les heures ultimes de la guerre, des groupes appartenant à des unités spéciales israéliennes se retrouvèrent encerclés et affamés, tout au long du front sud-libanais, sans aucun accès à de l’eau ou à du ravitaillement. Quelques unités de combattants du Hezbollah avaient réussi à encercler des commandos de choc israéliens. Apparemment, personne, en Israël, n’osa prendre le risque d’envoyer des convois logistiques sur le champ de bataille. De la nourriture et des munitions, largués d’avions cargos israéliens, tombèrent entre les mains du Hezbollah. Dans certaines zones, les commandos israéliens blessés restèrent étendus à même le sol, attendant des secours pendant d’interminables heures. La défaite israélienne fut totale. L’humiliation, kolossale. Non seulement l’ « Armée Israélienne de Défense » n’était plus capable de défendre Israël, mais elle n’avait même pas pu se défendre elle-même !

Limor et Shelah dénoncent bien d’autres aspects intéressants :

Des généraux qui, au au lieu d’aller au combat avec leurs, ont préféré diriger la bataille calfeutrés dans des bunkers à l’intérieur d’Israël.

Certains hélicoptères armés n’ont pas été autorisés à pénétrer dans l’espace aérien libanais, à seule fin de leur éviter d’être abattus. Résultat : des commandos israéliens ont été abandonnés au combat contre le Hezbollah, à armes égales (c’est-à-dire : privés de couverture aérienne…)

Un lieutenant-colonel, qui a refusé de pénétrer au Liban à la tête de ses hommes, a reconnu avoir été déficient en matière de connaissances opérationnelles tactiques.

Des réservistes sont montés au front presque totalement démunis de tenues de combat, en raison de graves pénuries dans les entrepôts d’urgence de l’armée. Certains de ces réservistes en furent amenés à payer de leur poche pour acheter la tenue nécessaire.

Plus de détails concernant l’affaire boursière de Dan Halutz, le 12 juillet 2006. Apparemment, le chef d’état-major, le général Halutz, avait téléphoné à sa banque, lui donnant l’ordre de vendre son portefeuille d’actions, après avoir appris la nouvelle des affrontements armés dans le Nord d’Israël. Et ceci juste avant de donner l’ordre passer à une nouvelle étape de l’escalade.

En apparence, l’armée israélienne est un ectoplasme, elle est sous-entraînée, elle est lourde, elle est bordélique, et ses dirigeants sont pourris jusqu’à l’os. La direction politique israélienne ne vaut guère mieux. Même si Peretz n’est plus ministre de la Défense, Olmert, Mofaz, Dichter et, désormais, Barak – tous, des meurtriers de masse patentés – sont encore ministres. Vu l’état de son armée, Israël devrait considérer un changement radical de direction, il n’est plus en mesure de combattre. Il manque d’endurance. Mais, apparemment, ça n’est pas près d’arriver. Il semble qu’au cours des prochaines élections israéliennes, nous allons probablement voir l’éloquent et néanmoins belligérant Benjamin Netanyahu affronter le belligérant et néanmoins beaucoup moins éloquent Ehud Barak.

Des années durant, nous avons eu tendance à croire qu’Israël ne pouvait pas être battu sur le champ de bataille. Etudier dans le détail les événements de la guerre de l’été dernier nous permet d’entrevoir que ce n’est sans doute pas le cas. L’État juif a connu une défaite militaire. Et cela risque de reproduire, plus tôt qu’on pourrait le croire.

Source :
http://peacepalestine.blogspot.com/2007/08/gilad-atzmon-saying-no-to-hunters-of.html

Sources Tlaxcala

Posté par Adriana Evangelizt

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