Horizon bouché pour les palestiniens

Publié le par Adriana EVANGELIZT

Horizon bouché pour les Palestiniens


par Roger Backman

 

L'année 2006, qui va commencer par des élections législatives en Israël comme dans les territoires palestiniens occupés, risque fort de ne pas être favorable à la reprise du processus de paixUn entretien avec Nasser al-Qidwa, ministre palestinien des Affaires étrangères

«L'année qui vient de s'écouler a été très difficile pour les Palestiniens. Et celle qui vient risque d'être bien pire.» Ancien chef militaire du Front démocratique de Libéra-tion de la Palestine (FDLP) pendant la bataille de Beyrouth, Mamdouh Nofal, qui fut l'un des premiers à condamner la militarisation de la seconde Intifada en 2000, est un fedayin à la retraite. Désormais pacifique et bon vivant, il ne déteste pas les soirées entre amis autour d'une bouteille de vodka. D'habitude, il cache son pessimisme derrière des blagues ou une ironie souriante. Aujourd'hui, c'est sans humour qu'il lance cet avertissement. «Sharon, qui va entrer en campagne électorale, ne cesse de répéter qu'il rejette désormais le principe «la terre contre la paix»; les Américains, qui sont occupés avec l'Irak et peut-être bientôt avec la Syrie, ne considèrent plus comme une priorité l'instauration d'un Etat palestinien. L'Europe est riche, mais n'a aucun poids politique. Le monde arabe... n'en parlons pas. Nous sommes de plus en plus seuls. Livrés à nous-mêmes. Avec un président, Mahmoud Abbas, qui fait ce qu'il peut et un parti, le Fatah, qui, après avoir été un mouvement de libération puis l'instrument personnel d'un homme - Yasser Arafat -, n'arrive pas à devenir une formation politique démocratique et moderne.»

Le seul événement encourageant de ces derniers mois, pour Mamdouh Nofal, a été, en septembre, le démantèlement des colonies et le départ des Israéliens de la bande de Gaza. «Je n'ai aucune illusion. Ils ne l'ont pas fait pour nous rendre service, et ils sont loin d'avoir tenu tous leurs engagements. Mais ils sont partis. Et c'est ce qui compte. Quand on a évacué et détruit Goush Katif, on peut aussi, un jour, évacuer et détruire Ariel.» C'est aussi l'avis de Nasser al-Qidwa, ministre des Affaires étrangères palestinien. Sous un portrait de son oncle Yasser Arafat, dans son bureau de Ramallah, à deux pas de la Mouqataa, l'ancien représentant de l'OLP aux Nations unies est catégorique : «Il n'y a pas de doute, le bilan est positif. Politiquement, idéologiquement, psychologiquement, ce retrait est capital. Car il est le résultat de la fermeté du peuple palestinien.»
Sur le terrain, cette conquête est moins évidente. Même si les habitants de Beit Hanoun, de Gaza, de Khan Younis ou de Rafah ne cachent pas leur joie de pouvoir retourner sur leurs terres, rendre visite à leurs amis, aller à la plage ou simplement traverser la route, leur quotidien demeure difficile et leur avenir très incertain : selon les Nations unies, près de 70% des habitants de la bande de Gaza vivent au-dessous de la ligne de pauvreté... Cette nasse de 352 km2 où s'entassent 1,4 million d'habitants - 26 400 au km2 dans la partie habitable - donne aujourd'hui l'impression d'avoir été à la fois le décor d'une bataille, avec ses façades grêlées d'impacts de balles, et d'un tremblement de terre, là où les bâtiments des colonies ont été démolis. En attendant que l'Etat israélien finance, comme il s'y est engagé, l'enlèvement des gravats, une petite industrie de la récupération a vu le jour sur ces décombres. Alimentés par des armées de ramasseurs de métaux, les casseurs de voitures produisent des blocs de ferraille compressée qui s'empilent au bord des routes avant d'être embarqués à destination d'Israël.


«La réhabilitation de l'économie de Gaza se heurte pour l'instant à trois obstacles majeurs, explique Khaled Abdel Shafi, directeur local du Programme des Nations unies pour le Développement (PNUD) : les difficultés de communication avec l'extérieur, les conditions de sécurité très incertaines et - conséquence des deux premières - une très grande réticence des donateurs... L'ouverture du terminal de Rafah vers l'Egypte est certes un premier pas, mais les liaisons avec la Cisjordanie et Israël sont encore en discussion. Le territoire ne peut ni importer les matières premières dont il a besoin ni exporter ses fruits et légumes. Son économie est en survie artificielle. Quant au futur port en eaux profondes et à l'aéroport tout neuf - rendu inutilisable par l'armée israélienne -, ils ne sont pas considérés comme des dossiers urgents par le gouvernement Sharon.»


Cette mauvaise volonté israélienne avait provoqué, fin octobre, un gros coup de colère de James Wolfensohn, l'envoyé spécial du Quartette (Etats-Unis, Union européenne, Nations unies, Russie). Dans une lettre adressée à Kofi Annan et aux ministres des Affaires étrangères britannique, américain et russe, l'ancien président de la Banque mondiale accusait même Israël d'agir «comme si le désengagement n'avait jamais eu lieu». C'est informée par James Wolfensohn de l'attitude israélienne que la secrétaire d'Etat américaine Condoleezza Rice, visiblement irritée, a décidé il y a dix jours de prolonger son séjour à Jérusalem pour arracher à Ariel Sharon l'accord sur l'ouverture du terminal de Rafah et l'instauration d'une négociation sur les convois routiers sécurisés - de voyageurs et de marchandises - entre la bande de Gaza, Israël et la Cisjordanie.


En revanche, l'autre problème majeur de la bande de Gaza - l'insécurité - ne doit rien aux Israéliens, même s'il leur profite, comme le relève Raji Sourani, président du Centre palestinien des Droits de l'Homme, en montrant que décidément l'Autorité palestinienne n'est pas capable de faire régner la loi et l'ordre chez elle. Clanisme, règlements de comptes politiques, rivalités entre milices, affrontements entre policiers et combattants islamistes, liquidations de «collabos» ou de «corrompus», conflits entre propriétaires terriens, voire enlèvement de journalistes : tout se conjugue depuis le retrait israélien pour rendre le territoire peu engageant.


Malgré la réforme des services de sécurité, ramenés d'une douzaine à cinq et confiés à des hommes sûrs, il est clair qu'à Gaza - comme à Naplouse ou à Jénine - Mahmoud Abbas n'a pas réussi à placer sous le contrôle de l'Autorité, comme il le souhaitait, tous les groupes armés qui gravitent autour du Fatah - sans parler des formations islamistes ou des bandes mafieuses qui se moquent ouvertement de ses policiers mal armés, mal payés et démotivés. Il est peu aidé, en tout cas, par l'homme fort de Gaza, Mohammed Dahlan, ministre des Affaires civiles - c'est-à-dire des relations avec Israël -, qui, même malade, continue de jouer un jeu personnel. Peut-être pour que le président n'oublie pas qui est « le patron » du territoire, Dahlan a fait ériger un panneau publicitaire à son effigie en face de la villa qu'occupe Mahmoud Abbas pendant ses séjours à Gaza...


«Nous nous considérons comme des membres du Fatah, dit un porte-parole des Brigades des Martyrs d'Al-Aqsa, rencontré, avec ses quatre gardes du corps masqués et armés de kalachnikov, dans le quartier de Cheikh Radouane, près du camp de réfugié de Jabaliya où est née, en décembre 1987, la première Intifada. Mahmoud Abbas est notre président élu et nous lui faisons confiance. Mais en dix ans de négociations, nous n'avons rien obtenu et nous pensons que, face à Israël, il faut toujours disposer de deux armes : la négociation et la résistance armée pour atteindre notre objectif. Aujourd'hui, beaucoup de dirigeants du Fatah sont trop vieux et parfois trop corrompus pour comprendre ce que veut le peuple.» C'est aussi ce qu'ont dit, à leur façon, les militants du Fatah de Ramallah, qui viennent de se prononcer à 96%, lors des primaires de leur parti, en faveur d'une candidature de Marwan Barghouthi, la figure de proue de l'Intifada, aujourd'hui détenu en Israël sous le coup de cinq peines de prison à vie.


L'ennui, pour Mahmoud Abbas, parfois qualifié de «Karzaï palestinien» par les « durs » du Fatah, c'est que ce discours de ses jeunes partisans armés, qui réclament des hommes neufs et propres, n'est pas très éloigné de celui du Hamas, des Brigades Azzedine al-Qassam ou du Djihad islamique, qui dénoncent eux aussi la corruption du pouvoir et l'échec de sa stratégie de négociation. «La stratégie d'Oslo est morte, constate Sami Abou Zohri, membre de la direction du Hamas à Gaza, qui préfère désormais, pour des raisons de sécurité, rencontrer ses visiteurs dans des immeubles discrets du centre-ville plutôt qu'à la terrasse d'un hôtel du bord de mer. Ce n'est pas au terme d'une négociation, mais parce qu'il devenait trop coûteux en hommes et en argent de rester à Gaza, qu'Israël s'est retiré. Avec la lutte contre la corruption, le retour à l'ordre et la réforme des institutions pour mieux tenir compte des souhaits de la population, la nécessité de poursuivre la résistance - tout en négociant s'il y a lieu - sera au centre de notre programme électoral.»


Car pour la première fois le Mouvement de la Résistance islamique Hamas a décidé de participer aux élections législatives organisées par l'Autorité palestinienne, le 25 janvier. «Et si c'était le meilleur - voire le seul - moyen de les contrôler ? s'interroge un conseiller du président palestinien. Après tout, entrer au Conseil législatif, et même participer au gouvernement, mesurer jour après jour la difficulté du dialogue avec les Israéliens ou le poids de la pression américaine sur nos épaules, cela ne peut que les ramener à la raison. Rien ne prouve, en plus, que les urnes ne leur offriront pas quelque surprise.» Même dans la bande de Gaza, fief traditionnel du Hamas et des groupes armés islamistes, des critiques commencent, en effet, à fuser contre les barbus. «En poursuivant leurs tirs de roquettes contre Israël même après le départ des colons, ils ne gênent que nous, explique Hatem Hadawi, grossiste en fruits et légumes à Beit Hanoun. Une bonne partie des fusées tombent chez nous, et lorsqu'elles tombent en territoire israélien, elles provoquent immédiatement les représailles de l'artillerie qui pilonne la région. Alors à quoi bon?»


De là à dire que la partie est jouée et que le Fatah, s'il renouvelle ses candidats comme le réclame la base, n'a rien à craindre du Hamas, il y a du chemin. Alors qu'en face Ariel Sharon fourbit sa nouvelle machine de guerre, le parti Kadima (En avant), en vue des législatives de mars, il reste à Mahmoud Abbas moins de deux mois pour se préparer à gouverner avec les députés du Hamas.

Sources :
NOUVEL OBSERVATEUR

Posté par Adriana Evangelizt

Publié dans palestine

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article