Pourquoi Clinton s'est fourvoyé

Publié le par Adriana Evangelizt

Un article datant de 2000 mais qui montre bien pourquoi à l'heure actuelle, la Syrie est dans le collimateur... les positions d'Assad sont fermes sur le plateau du Golan...

Pourquoi Clinton s'est fourvoyé

par Paul-Marie de la Gorce

18 avril 2000

Pour sortir les négociations syro-israéliennes de l'impasse, les Américains ont misé sur des concessions de Damas. Ils se sont lourdement trompés.

Il ne reste plus que quelques semaines, écrivions-nous récemment (voir le n° 2047), pour que Bill Clinton entre dans l'Histoire comme l'artisan d'une paix générale au Proche-Orient. C'est dire qu'aujourd'hui les jours sont comptés. L'échec de sa rencontre avec le président syrien Hafez el-Assad, le 26 mars à Genève, a en effet marqué un coup d'arrêt brutal au « forcing » que la diplomatie américaine menait en vue d'obtenir un accord entre Syriens et Israéliens et, en même temps, entre ces derniers et les Palestiniens, au moins dans ses grandes lignes, d'ici à septembre.

Le choc ressenti par la délégation syrienne au spectacle d'un président américain tirant de ses dossiers la carte des territoires à évacuer par l'armée israélienne et le maintien d'Israël sur tout le pourtour du lac de Tibériade, en contradiction avec le principe de l'évacuation totale du Golan, était à la fois prévisible, compréhensible et fatal. Prévisible parce que la restitution totale du Golan jusqu'à ses limites de juin 1967, donc avec un accès au lac, était à la base de la reprise des négociations. Compréhensible puisque l'effacement du changement territorial intervenu après la guerre des Six Jours a toujours été considéré par la Syrie - comme auparavant par l'Égypte - comme la condition de la paix. Fatal, enfin, pour les chances d'un accord. Rien de surprenant, donc, dans la position syrienne : reste à comprendre comment Bill Clinton a pu en arriver là.

Au moment d'aller retrouver le président Assad à Genève, il croyait avoir, semble-t-il, les plus fortes raisons d'être optimiste. La diplomatie américaine venait d'obtenir la reprise des négociations israélo-palestiniennes. Avec l'aide très active de l'Égypte et, plus précisément, du conseiller du président Hosni Moubarak pour les Affaires étrangères, Oussama el-Baz, qui joue auprès de Yasser Arafat un rôle considérable. On ne pouvait être assuré naturellement que ces négociations aboutiraient, mais leur succès ne pouvait être exclu. Les trois hommes qui ont exercé la plus grande influence sur Bill Clinton dans les affaires du Proche-Orient, Sandy Berger, chef du Conseil national de sécurité, Dennis Ross, en charge des dossiers israélo-arabes, et son adjoint Aaron Miller, en concluaient que la Syrie risquait ainsi de se trouver isolée face à Israël et qu'afin de l'éviter, elle serait prête à plus d'accommodements.

Il s'y ajoutait la décision d'Ehoud Barak de retirer ses troupes du Sud-Liban d'ici à juillet, même sans accord préalable avec Beyrouth et Damas. Le projet en avait été longuement discuté auparavant entre le Premier ministre israélien et ses interlocuteurs américains. Ceux-ci avaient donné l'assurance que les États-Unis useraient de tous leurs moyens d'influence pour amener le Liban à empêcher la moindre action militaire soit du Hamas soit des organisations palestiniennes présentes sur le sol libanais, à la frontière nord d'Israël et en territoire israélien. Plus encore : ils avaient assuré Barak qu'ils obtiendraient le soutien de l'ONU elle-même pour garantir la sécurité de la frontière israélo-libanaise après le retrait israélien, comme le prévoit en effet la résolution 425 du Conseil de sécurité. Et, de fait, à l'instigation de la diplomatie américaine, Kofi Annan est entré en contact avec le gouvernement israélien dès le 5 avril, suscitant d'ailleurs aussitôt de vives réactions à Beyrouth et à Damas. Mais, au total, on peut penser que la position de la Syrie en serait affaiblie puisqu'elle ne disposerait plus contre Israël du moyen de pression permanent que représentait l'action de la résistance libanaise. Autre raison de penser qu'elle serait plus accommodante quand Clinton lui offrirait un accord avec Israël.

Celui-ci avait enfin un autre motif d'optimisme : c'était l'analyse que Sandy Berger et Dennis Ross faisaient de la position personnelle du président Assad et de ses intentions. Suivant cette analyse, abondamment - et très imprudemment - répandue dans la presse, le président syrien aurait été de plus en plus malade et affaibli, sur le point d'abandonner ses fonctions, anxieux d'en finir avec l'éternel conflit du Proche-Orient, désireux par-dessus tout de le régler avant de léguer son pouvoir à son fils Bachar... Comment, dans ces conditions, ne ferait-il pas preuve de souplesse ? Clinton, en tout cas, a souscrit aveuglément à cette analyse.

On comprend qu'il ait alors été prêt à reprendre à son compte, sans trop de précaution, les objectifs israéliens sur le Golan, dont on sait qu'ils excluaient toute évacuation du pourtour du lac de Tibériade, en l'agrandissant même d'une profondeur d'une centaine de mètres pour y construire une rocade. Ce n'était évidemment plus du tout « l'évacuation totale » comme contrepartie d'une « paix totale », ainsi que la Syrie le demandait depuis l'origine. Mais Berger et Ross assuraient que le président Assad, affaibli comme il l'était, pourrait consentir à cette concession. Par-dessus tout, ils convainquirent, semble-t-il, Clinton que Barak ne pouvait aller au-delà, quels que fussent son opinion personnelle et son désir de reprendre l'engagement de Itzhak Rabin, voici quatre ans, en faveur de l'évacuation totale du Golan. Sa situation politique et parlementaire, avançaient-ils, le lui interdisait. Le poids des formations religieuses dans la coalition qui le soutient est beaucoup plus fort que celui du Meretz, le parti le plus favorable à la paix. Au sein même du Parti travailliste, une fraction demeure hostile à la restitution totale du Golan, et le ministre des Affaires étrangères lui-même, David Levy, exerce presque ouvertement une surenchère constante sur les positions que Barak voudrait défendre. Le risque, pour ce dernier, serait alors, s'il acceptait un accord que ses alliés politiques désapprouvent, de le voir rejeter au référendum auquel il doit être soumis : ce serait la fin de ce gouvernement. Il fallait donc, en concluaient Ross et Berger, tenir compte de ses exigences sur le pourtour du lac de Tibériade. Clinton se laissa convaincre.

Le président américain avait retenu des arguments en faveur d'un soutien complet à Barak et donc aux positions israéliennes, mais aucun argument en sens contraire. L'échec de Genève était inscrit en avance dans ce choix. Et quand il se rendit compte que le président Assad, prêt à remplir toutes les autres conditions d'une « paix totale », ne changeait rien à son exigence d'une « restitution totale du Golan », il ne trouva rien de mieux que de lui demander d'aider Barak à surmonter ses difficultés parlementaires par une concession supplémentaire... Moyennant quoi, il confia aux journalistes américains - réunis hors de la présence des autres correspondants de la presse internationale - que « la balle était dans le camp de la Syrie »...

Il ne fallut pas longtemps pour qu'à Washington on prenne conscience de l'échec définitif que risquait de subir Clinton dans ses « desseins » historiques. Le président Assad, qui n'avait naturellement rien ignoré des spéculations américaines sur sa situation personnelle et politique, chargea son ministre des Affaires étrangères, Farouk el-Chara, de « mettre les pieds dans le plat ». Pour ce faire, celui-ci choisit un journal libanais appartenant à l'ancien président du Conseil, Rafic Hariri. Dans l'interview, il affirma que le président Assad n'était pas handicapé par son état de santé dans l'exercice de ses fonctions, qu'il n'était nullement résigné à céder sur l'essentiel pour conclure la paix avant de se retirer, qu'il n'avait pas l'intention de laisser en héritage à son successeur une mauvaise paix plutôt qu'un conflit non réglé. Quant aux États-Unis et à Israël, ils devaient se rappeler, une fois pour toutes, qu'une « paix totale » exigeait « l'évacuation totale » du Golan.

A la Maison Blanche, la déception et la colère de Clinton ne passèrent pas inaperçues, et l'étoile de Ross pâlit singulièrement au point qu'on parla de son remplacement - mais sans qu'on ait pu sérieusement l'envisager à six mois de l'élection présidentielle, d'autant qu'il apparut au même moment que les négociations israélo-palestiniennes avaient peu de chances d'aboutir. Aaron Miller, qui s'en occupait, reçut même les deux délégations à sa résidence personnelle, tandis que leurs travaux se déroulaient sur la base aérienne de Bolling. Ni sur Jérusalem, ni sur le retour des réfugiés, ni sur les colonies israéliennes et leurs limites futures, on ne s'est entendu. Tout au plus a-t-on envisagé un arrangement laissant aux Palestiniens deux ou trois communes mitoyennes de Jérusalem et deux anciens quartiers de la ville, la perspective la plus vraisemblable étant la proclamation unilatérale d'un État palestinien sans qu'Israël y fasse obstacle. Cet État, en pratique, serait une enclave à l'intérieur du territoire israélien.

On imagine mal aujourd'hui ce qui pourrait sortir la négociation israélo-syrienne de l'impasse.

Sources : Jeune Afrique

Posté par Adriana Evangelizt

Publié dans palestine

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