Juifs et arabes... un beau texte...

Publié le par Adriana Evangelizt

Juifs et arabes, de Tel-Aviv à Jaffa

Par Sélim Nassib
Journaliste. Auteur d’Un amant en Palestine, Robert Laffont, Paris, 2004

 

Loin de la guerre, à une heure de route de Gaza, à Tel-Aviv, la ville moderne, et à Jaffa, sa jumelle, la ville des oranges, Juifs et Arabes se côtoient, s’ignorent et, parfois, se parlent.

Tel-Aviv n’a pas changé. Elle sort, travaille, s’amuse avec frénésie, extravertie, sans repos, tendue vers un perpétuel présent. L’été est sa saison, les quatre ans d’Intifada ne semblent pas l’avoir affectée – on pourrait même croire que leur ombre a stimulé son appétit, son énergie, la vibration un peu excessive qui l’anime jour et nuit. Elle bouge sans arrêt, déborde sur sa longue plage, dans les restaurants, les cafés, les hôtels du front de mer. Les religieux se mêlent aux filles au ventre nu, aux Yéménites, aux Falachas, aux prostituées, aux familles nombreuses.

On entend l’hébreu, le russe, le français, l’anglais, toutes les langues sauf l’arabe. Quand je le parle, les gens se tendent autour de moi, c’est presque délicieux. Je retrouve la lumière de Beyrouth, l’air marin particulier, sel sur la peau, immersion bienheureuse du corps, sensualité implicite et permanente, Orient. La nuit, les cafés alignent des pyramides de lumière colorée entre les tables sur la plage, on peut se baigner. Les sushi bars restent ouverts tard, les boîtes sont nombreuses, la drogue facile.

La guerre est ailleurs, dans les territoires, là-bas. Rien ne la rappelle sous ce ciel dégagé, on se croirait en Grèce. Gaza est à une heure de route, Jérusalem plus proche encore, Tel-Aviv n’en veut rien savoir. Ses habitants font leurs trois ans de service militaire comme tout le monde, leur mois de réserve par an, ils voient l’Intifada de leurs yeux. Mais ils la laissent derrière, comme à l’étranger, au loin, dans les colonies. Autour d’eux, la métropole est en paix, elle est en vacances, joyeuse, la petite fille l’appelle : « Telle la vie. » Seuls les gardes armés d’un détecteur de métal à la porte des restaurants et des lieux publics rappellent les risques d’attentat, mais ils font partie du paysage et sont devenus invisibles. Le mur en construction censé protéger Tel-Aviv du terrorisme semble lui épargner jusqu’aux rumeurs du conflit. Ce n’est pas que la ville tourne le dos au pays, elle se place un peu en marge, une île, une pomme, un petit New York, elle non plus ne dort jamais.

« Ils ont réussi à faire disparaître les Arabes du paysage », dit le cinéaste Avi Mograbi, auteur de l’hilarant Comment j’ai appris à surmonter ma peur et à aimer Ariel Sharon (1997). La disparition ne touche pas seulement les Palestiniens des territoires occupés, mais aussi les Arabes israéliens, qui représentent un million d’habitants sur les six millions que compte le pays. Depuis qu’en octobre 2000 l’armée a tué treize d’entre eux lors d’une manifestation de soutien à l’Intifada naissante, les regards ont changé. Les uns, qui croyaient être des citoyens israéliens à part (presque) entière, ont compris qu’on pouvait les tirer comme des Palestiniens ; les autres ont découvert que leurs ouvriers ou leurs domestiques familiers pouvaient soudain devenir un danger. Commencée dans les yeux, la séparation s’est lentement accentuée sur le terrain, créant des vides aussitôt comblés par des travailleurs immigrés philippins, russes, roumains. Jour après jour, Tel-Aviv réalise le rêve initial : être exclusivement juive dans une vie qui paraît normale, plus que normale même.

Avi Mograbi n’a plus le cœur à faire des films drôles. Son fils de 18 ans a décidé de ne pas se présenter à la convocation du service militaire, il risque deux ans de prison, sinon plus. Depuis des mois, la famille se réunit avec d’autres refuzniks et leurs parents pour se préparer collectivement à l’épreuve. L’association Briser le silence expose des photos prises par de jeunes appelés pendant leur service, en particulier aux chekpoints d’Hébron, pour montrer ce que signifie l’occupation au quotidien. Une autre, Taayoush (« Coexistence »), animée par des Israéliens et des Palestiniens, multiplie les initiatives pour dénoncer l’occupation et affirmer qu’une vie commune pacifique est possible. Mais si des sondages révèlent qu’une majorité d’Israéliens seraient favorables à un retrait quasi complet des territoires occupés, les militants prêchent dans le désert. Car le « camp de la paix » a cessé de croire en la paix, il a volé en éclats avec l’échec des conférences de Camp David (juillet 2000) et de Taba (janvier 2001), les attentats-suicides, l’arrivée de M. Ariel Sharon au pouvoir, l’Intifada et son implacable répression.

Qu’ils soient de droite ou de gauche, peu d’Israéliens critiquent le principe du mur de séparation. En dépit des nuances qui les distinguent, ils vivent sous l’empire d’un même credo : le monde extérieur nous est hostile, les partenaires palestiniens sont corrompus et défaillants, Yasser Arafat a refusé l’offre de paix généreuse qui lui a été faite, Israël n’a pas le choix. Dans ce climat, ceux que les horreurs de l’occupation et des attentats-suicides empêchent de dormir vivent un tourment permanent. Isolés, épuisés, ils continuent de manifester non parce qu’ils gardent un espoir quelconque, mais parce qu’il leur est impossible de faire autrement.

Les boutiques de moto sont alignées dans ce quartier délabré du nord de la ville où, parmi les travailleurs immigrés, les Falachas et les familles modestes, quelques cafés branchés ont fait leur apparition. Nous cherchons un scooter à louer, ce n’est pas facile, un jeune vendeur de motos nous aide à en trouver un dans le quartier. Il raconte que sa famille a dû quitter Bagdad dans les années 1950 en laissant tous ses biens derrière elle. Mais son oncle s’est vengé en aidant à préparer le raid aérien contre la centrale nucléaire irakienne Osirak, en 1981. La politique actuelle ne l’intéresse que modérément. « Ce sera la guerre pour toujours, affirme-t-il. La seule différence est que mon père croyait que cette guerre était bonne, alors que je pense, moi, que c’est de la merde. » L’essentiel est la vie elle-même, les motos, et surtout la sekhina – cette sensualité d’être ensemble.

« Tu ne pourrais plus te perdre »

Rondeurs des balcons, alignement vertical des fenêtres d’aération, hublots géants creusés dans les murs, les immeubles Bauhaus sont reconnaissables de loin. Ils occupent des rues entières autour du centre-ville et au-delà, tous différents, tellement nombreux que Tel-Aviv est désormais classée par l’Unesco, mirage Bauhaus au Proche-Orient. Les architectes juifs allemands qui fuyaient le nazisme construisaient à tour de bras, rivalisaient, vivaient dans un autre monde mental. Ils se sont brutalement arrêtés en 1948, quand la création d’Israël a imposé d’autres priorités et d’autres styles. Entre-temps, leurs bâtiments s’étaient intégrés au paysage de la ville. Certains sont restaurés avec des matériaux d’origine, mais la plupart sont délabrés, bricolés par leurs occupants successifs, qui ont notamment transformé les balcons en pièces supplémentaires en les entourant de stores en plastique dénommés trisim.

Sur la corniche qui longe la mer, des formes blanches bondissent soudain dans le phare du scooter, des juifs religieux qui dansent aux sons d’une musique mi-religieuse mi-orientale diffusée à plein volume depuis un autobus. Ils sont disciples du célèbre rabbi Nachman de Braslav, mort en 1811, qui disait : « Ne demande ton chemin à personne et surtout pas à qui le connaît, tu ne pourrais plus te perdre. ». Ils suivent sa voie, si c’en est une, et croient qu’il faut aimer Dieu le plus simplement du monde, en mangeant, buvant, chantant et dansant. Ils ont l’air vraiment contents.

Un peu plus loin sur la corniche, nous traversons une invisible zone frontière, un fantôme de no man’s land. L’autre rive s’annonce par une horloge brillamment éclairée plantée au milieu d’une place. Ici commence Jaffa, la ville des oranges tristes, comme elle s’appelle elle-même, architecture en arcades, pierre de taille, ruelles tortueuses. Tout le monde le sait : Jaffa est arabe, même si les deux villes n’en forment officiellement qu’une, Tel-Aviv-Yaffo. Le point de contact se fait de l’autre côté de l’horloge, sur le trottoir d’une longue boulangerie ouverte sur la rue, la meilleure de la ville. Les voitures stationnent en double file, elles viennent de partout, pleines de désirs. Sur une vingtaine de mètres, une succession de cylindres verticaux en plastique présentent sous une forte lumière toutes sortes de pains. Clients et employés se parlent en hébreu de part et d’autre, comme à travers un mur transparent, déformant.

L’arabe a disparu des rues. Toutes les enseignes sont en hébreu, même les noms sur les sonnettes. La vieille maison aux fenêtres en ogive est collée à celle du cheikh de Jaffa, dans une ruelle en pente. Sa grille bleue ouvre sur une étroite allée qui conduit à une cour intérieure. Elle est puissante, accueillante, envahie par les plantes, inextricablement mêlée à ses voisines. Il y a deux chiens et un perroquet. Jack, l’ami qui nous la prête, est né à Tripoli, où sa famille vivait depuis la nuit des temps, tous parlant l’arabe et l’italien. Avec Kadhafi, l’air est vite devenu irrespirable pour une famille juive, ils sont partis, abandonnant sur place biens et regrets. Jack avait 20 ans. Il est venu à Jaffa, il a trouvé cette maison, il s’est senti chez lui.

On s’y installe vers minuit, on couche la petite fille, on monte sur la terrasse, on décide de dormir là, sous les étoiles. Loin des tours de Tel-Aviv, les maisons basses entrelacées s’étendent à perte de vue, on devine la mer au loin. Les rues sont désertes, le silence règne, on dirait un autre pays.

Soudain, des coups de feu retentissent, sept à la file. Au bruit, c’est un pistolet. Des hommes sortent de chez eux en pyjama, en maillot de corps, tirés du lit, une vingtaine. Ils s’interpellent en arabe, essayent de repérer d’où les coups sont partis. Le temps s’écoule, il ne se passe rien. Pas la moindre voiture de la police ou de l’armée, aucune apparition des autorités. Les hommes retournent se coucher sur cette violence tirée en l’air.

Le chant du muezzin retentit un peu plus tard, réveillant une familiarité immédiate, presque sensuelle, Dieu est plus grand et la prière préférable au sommeil. C’est surtout sa musique. On l’entend, on est dans le monde musulman, inclus dans son état et son rythme. Les silhouettes des maisons sous un ciel bleuissant confirment l’illusion, et jusqu’à l’air chargé de sonorités qu’on respire. Le minaret de la mosquée surmonté de deux néons verts commence à être visible. Sa pierre a la couleur du sable, il est parfaitement restauré, comme neuf. Mais son appel ne tombe que sur un îlot perdu dans une mer juive, un sous-univers qui a même renoncé à afficher sa langue.

Au matin, personne ne sait rien. Nous sommes dans un quartier de petite criminalité, voleurs d’autoradios, revendeurs de drogue, où la police s’aventure rarement. Les Arabes s’approvisionnent au marché arabe, les Juifs au supermarché. Autres niveaux de revenus, autres modes de vie, les deux sociétés suivent à Jaffa des parcours parallèles, glissent l’une sur l’autre, se croisent sans se voir. Yankélé, un voisin qui vient arroser les plantes de la maison, croit que les Français « auront bientôt avec leurs musulmans les mêmes problèmes que nous avec les Arabes ». Tout est pourtant lisse en surface, tout est calme.

Un jour, Jack et sa femme Imbal ont trouvé la cage de leur perroquet vide. Seul le fils du voisin avait pu faire le coup, le mur est mitoyen. « Si c’est mon fils, dit le voisin, vous retrouverez votre perroquet, mais n’avertissez pas la police. » Trois jours plus tard, il est obligé de reconnaître son impuissance : le perroquet a été revendu deux fois depuis sa disparition, et son dernier détenteur est intouchable, il est informateur de police. Intouchable ? Le sang d’Imbal ne fait qu’un tour. A Jaffa, un homme sur trois est informateur de police, le deuxième est en prison, et les autres font ce qu’ils peuvent. Plus l’informateur est important, et plus il vole gros : son pouvoir se mesure à l’étendue de son impunité. Jaffa est contrôlée, intimidée, tenue en respect comme ça, de l’intérieur, par la confusion entre loi et délinquance, indicateurs et criminels.

Repartir à l’étranger, n’importe où

Mais Imbal est une femme têtue, juive, sûre de son droit, extérieure au système ambiant de fatalité et de soumission. Elle se met en campagne, remue ciel et terre, la police de Tel-Aviv, des relations, un ministre. La pression qu’elle exerce devient trop forte. Le commissariat finit par lui téléphoner : le perroquet a été retrouvé, il faut qu’elle vienne le reconnaître. Elle gare sa voiture, elle voit des policiers courir après un enfant de 10 ans, elle les engueule : « Où est mon perroquet ? » Elle le veut tout de suite ! Les policiers abandonnent leur chasse et la conduisent à l’intérieur, dans une pièce mal éclairée. Dès qu’il l’aperçoit, le perroquet se met à crier : « Ima ! Ima ! » (« maman » en hébreu). Elle l’entoure de ses mains en pleurant, elle se retourne : les policiers poursuiveurs d’enfant sont en larmes eux aussi.

La plage de Jaffa est découpée, rocheuse, noire de monde en ce jour de sabbat. La mer est forte, les haut-parleurs hurlent en arabe et en hébreu pour demander aux parents de ramener leurs enfants vers le rivage. Personne n’a l’air d’entendre, les baigneurs jouent et rient dans les vagues, accrochés à des bouées et à des matelas. Les pelouses en surplomb sont envahies par les pique-niques. Dans la fumée des barbecues, on déballe d’abondantes provisions et on découpe des pastèques, certains ont apporté leur narguilé.

Samy gagne sa vie en construisant des sites Internet, il passe son temps chez lui devant son ordinateur. Son balcon donne sur une large rue qui se vide vers 9 heures du soir. Sa voisine de droite est sri-lankaise, ravissante, en minijupe, tenue d’une main de fer par sa mère. Il meurt d’envie de lui parler mais la mère est toujours là. Sa voisine de gauche vit seule, elle sort voilée jusqu’aux yeux, mais quels yeux ! Il a passé plusieurs années en Occident avant de revenir à Jaffa. Devant ses cheveux longs et sa dégaine new-yorkaise, les hommes du quartier lui ont dit : « Mais qu’as-tu fait de toi ? » Il leur a répondu : « Et vous, qu’avez-vous fait de vous ? » Coincé entre ses deux voisines, Samy soupire sur les succès féminins qu’il a connus à Tel-Aviv. Ça se passait dans les boîtes, dès qu’il disait qu’il était arabe, les filles allaient aux toilettes et ne revenaient plus. Sauf celles qui restaient. S’il en avait les moyens, il repartirait tout de suite à l’étranger, n’importe où. Ici, il n’y a rien. La frustration, l’ennui, tous ces gens qui tournent en rond sans travail, il ne supporte plus. A son avis, plus de la moitié des jeunes de Jaffa se droguent. Héroïne, cocaïne, haschich, herbe, on trouve de tout, plus facilement que du lait. La mafia est florissante, Juifs et Arabes s’y entendent à merveille. « Et si un jeune veut sortir de la drogue, dit-il, il y a la mosquée. Elle promet une vie vertueuse en échange, elle ramène à la religion, au droit chemin, et ça marche, et ça fait reculer la criminalité. Il vaut mieux que je m’en aille. » Samy apparaît dans Chic Point, une œuvre vidéo de sept minutes réalisée par son ami Sharif Waked, un artiste arabe israélien de Haïfa. C’est un défilé de mode masculine, les mannequins sont beaux, ils s’avancent et se montrent. L’un tire une ficelle à la hauteur de son épaule et le tissu qui lui couvrait le nombril se soulève comme un store, l’autre détache des fermetures Velcro, le troisième dénoue un système de lanières. Le principe est de se dévoiler élégamment le ventre quand les soldats vous demandent de soulever votre chemise afin de vérifier que vous ne portez pas une ceinture d’explosifs. Chic Point est projeté au Musée d’art contemporain de Herzlia, au nord de Tel-Aviv.

Comme tous les soirs, Zahiya met des chaises dehors pour la veillée. Elle vit avec ses trois filles dans une petite maison collée à la nôtre, son mari est parti, son fils probablement en prison, elle a abandonné ses blue-jeans au profit du voile. Des femmes du voisinage sont assises avec elle, à fumer, à boire du thé. Zahiya est allée acheter des fournitures scolaires pour ses filles à Tel-Aviv. Elle est montée avec ses emplettes dans un bus, et ce bus s’est instantanément vidé, même le chauffeur s’est enfui. Elle s’est retrouvée seule avec ses deux grands sacs de plastique sur les genoux, bouleversée, ne comprenant pas ce qui lui était arrivé. « C’est une femme, dit-elle, je l’ai vue, elle a couru parler au chauffeur, et tous les visages se sont tournés vers moi. Et quels visages ! Moi aussi, j’ai tout le temps peur des attentats ! Si c’étaient des bombes, j’aurais explosé avec elles, non ? » Sa question reste en suspens. « Tu ne devrais pas sortir habillée comme ça, murmure Sharif Waked en souriant, tu effraies les gens. »

Une des femmes raconte qu’elle a eu la mauvaise idée de se marier en 1947, un an avant que sa famille ne s’enfuie au Liban, l’abandonnant à un mari qui s’est révélé très décevant. Une autre travaille aux puces, la cinquantaine, juive, cheveux blancs ras, elle s’appelle Ruthie. Une vieille Arménienne me tire de côté et me souffle à l’oreille : « Ne croyez pas leurs beaux visages. Ici, tout le monde hait tout le monde. »Des voitures de sport puissantes passent régulièrement en faisant vrombir leurs moteurs, souvent des BMW blanches conduites par des hommes seuls, dealers sans doute, qui tournent inlassablement dans les ruelles, musique poussée à fond. Les femmes les connaissent tous, elles les ont vus grandir.

La petite fille court et joue pieds nus dans la rue avec les enfants du voisinage, garçons et filles confondus. Sans connaître un mot d’arabe, elle s’intègre à la bande, apprend à éviter les voitures, rit et s’amuse avec une joie et une liberté qu’on lui avait rarement vues. La veille, elle avait mis une robe blanche pour assister à un mariage juif plutôt religieux dans un grand hôtel de Tel-Aviv.

D’autres tables sont visibles au bout de la rue, d’autres veillées, tout Jaffa prend le frais de cette manière, et jusque tard dans la nuit. C’est un mode de vie. Quand on n’a plus rien, il reste ça. Les passants s’arrêtent pour saluer, les nouvelles circulent et tissent une toile qui maintient l’illusion d’une société villageoise heureuse. Une illusion ? Ils disent oui, nous sommes heureux, après une seconde d’hésitation. Nombre de leurs fils ou de leurs maris sont en prison. Mais, au grand air, il fait bon. Après tout, ils sont chez eux. Et les filles se sentent un peu plus libres qu’ailleurs. Les sujets du président Assad ou du roi de Jordanie ne sont pas forcément plus heureux.

Jack et Imbal reviennent de vacances. Ils retrouvent leur maison et, avec un serrement de cœur, leur pays. A un moment, Jack nous montre deux cartes postales qu’il conserve dans sa chambre. L’une est un tableau de Goya représentant deux hommes qui se battent et s’enfoncent dans des sables mouvants à mesure qu’ils se battent, l’autre une photo de Laurel et Hardy l’air amusé avec des instruments de musique dans les mains. « Voilà ce que c’est que d’avoir un sol ferme sous les pieds », dit-il. Nous leur racontons notre séjour chez eux, la maison, les soirées, les voisins. Imbal reste songeuse : « Tel-Aviv est maintenant couverte de digicodes et de gardes, elle vit dans l’enfermement. Moi, j’ai passé mon enfance à courir pieds nus dans la rue, tout comme ces gamins arabes de Jaffa. Aujourd’hui, j’ai l’impression que ce sont eux, les Israéliens. »

Sources : LE MONDE DIPLOMATIQUE

Posté par Adriana Evangelizt

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A
aaaaaaaaa
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A
Une seule petite erreur de cette article qui montre l'immense connaissance de ce pays de la créatrice de ce blog : les oranges de Jaffa sont produites à Gaza et distribuées à Tel Aviv, c'est d'ailleurs un exemple de collaboration réussie entre palestiniens et israèliens.<br /> J'aimerais rappeler aussi que tous les israèliens ne sont pas juifs, loin de là.
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A
Ce teste n'est pas de moi alors je ne vois pas pourquoi vous m'incriminez, une fois de plus ! Elodie... Amaury... etc... etc... et après il faudrait être tolérant.