Ce que le Hamas pourrait apprendre des sionistes
Ce que le Hamas pourrait apprendre des premiers sionistes en matière de construction d'un Etat
Par Jonathan Freedland
The Guardian , mercredi 1er février 2006
Paralysées par le choc du résultat de l'élection palestinienne, toutes les parties se tournent vers le passé pour trouver une voie qui leur permettrait d'avancer
Dans ce nouveau paysage, tout le monde se retrouve dans le noir. Après l'énorme victoire du Hamas qui a été un choc pour tous - y compris eux-mêmes - les acteurs du conflit au Moyen-Orient tournent en rond d'un pas hésitant, incertains de la manière de négocier le nouveau terrain. Personne ne sait vraiment quoi faire.
La preuve de cette situation, c'est la déclaration du Quartet (les puissances mondiales qui président à ce qui fait allusion, toujours avec ridicule, au processus de paix au Moyen-Orient) qui l'a donnée lundi. Traduite, cette déclaration diplomatique se réduit à une demande de temps. Chacun veut faire une pause pour respirer, pour voir ce qui se passe lors des élections israéliennes du 28 mars, pour voir ce que le Hamas va faire avec sa majorité parlementaire. Le Hamas ne se hâte pas non plus vraiment pour gouverner : ils anticipaient (peut-être même le voulaient-ils) la formation d'un large bloc d'opposition, plutôt que de recevoir la dangereuse mission d'administrer pour de bon l'Autorité Palestinienne. Etre responsable de la vie quotidienne des Palestiniens tout en ayant peu de pouvoir, à cause de l'occupation israélienne, pour accomplir le travail est une tâche ingrate, voire impossible. Le Hamas parle d'une "période de transition" ; ils suggèrent une coalition avec le Fatah, le parti qu'ils ont battu. Eux aussi sollicitent un délai.
Cette paralysie étonnante de toutes les parties est due à bien plus que le simple choc de la nouveauté. Il faut prendre aussi en compte le fait qu'il semble n'y avoir aucune bonne option - pour personne. Imaginez une partie d'échec dans laquelle tous les chemins possibles sont bloqués : les joueurs regardent fixement leurs pièces, se rongent les ongles et ne voient que le pat.
Prenez le Président Bush. S'il reconnaît le Hamas, il contredit platement sa guerre globale contre la terreur - puisque les Etats-Unis et l'UE ont tous deux classé depuis longtemps le Hamas avec les organisations terroristes. Mais s'il ne reconnaît pas le Hamas, il contredit platement sa campagne globale pour la démocratie - puisque le Hamas vient juste de remporter une claire majorité, précisément dans cette sorte d'élection libre que Bush exige pour tout le monde arabe. Soit, selon sa propre logique, il légitime la terreur, soit il admet qu'il n'offre qu'une démocratie à la Henry Ford : vous pouvez choisir la couleur de votre voiture, du moment qu'elle est noire.
L'Europe se trouve dans une situation qui n'est guère meilleure. Elle ne peut pas maintenir son aide financière, parce que cela équivaudrait à donner de l'argent à une organisation terroriste. Mais si elle ferme le robinet européen, la vie en Palestine se détériorera encore plus. Peut-être que les Etats arabes pro-occidentaux, comme l'Egypte ou la Jordanie, pourrait combler le vide financier - mais que se passera-t-il si la Syrie et l'Iran arrivent en premier ?
Dans cette atmosphère de confusion gelée, les uns et les autres s'accrochent aux expériences du passé pour voir quelles leçons ils pourraient en tirer. Lors d'un cycle de conversations, cette semaine, avec ceux qui sont impliqués - y compris une haute personnalité du Hamas - chacun a abouti à son propre parallèle historique.
L'exemple de l'OLP
Tout d'abord, on a comparé le Hamas d'aujourd'hui avec l'OLP d'il y a trente ans. En tant qu'organisation terroriste refusant de reconnaître Israël, eux aussi étaient écartés sur le plan diplomatique. En vérité, le trajet de l'OLP a culminé en 1988 avec l'acceptation d'Israël aux côtés d'un Etat palestinien, des négociations, enfin, et les accords d'Oslo cinq ans plus tard. "Donnez-leur du temps !", m'a dit hier un vieux négociateur palestinien. "Cela nous a pris 40 ans pour atteindre cette position".
Vous pouvez considérer ce parallèle comme étant soit joyeux, soit lugubre. Les optimistes seront réconfortés par les déclarations claires du Hamas selon lesquelles ils sont prêts à accepter un Etat sur les territoires post-1967, peut-être pas comme solution définitive, mais du moins comme solution intérimaire à long terme. S'ils veulent bien négocier sur cette base, ils auraient un grand avantage : au contraire du procès qui est fait au Fatah, ils commanderaient au soutien de la rue palestinienne pour tout accord de paix qu'ils pourraient signer.
Ou bien, les pessimistes pourraient s'étonner qu'après 30 années de pleurs et de bain de sang nous soyons retournés exactement où nous étions. Il nous faudra repassera une nouvelle fois par toutes les vieilles recettes : déclarations codées de la part des Palestiniens, timides négociations secrètes de la part des Israéliens, pression de Washington, des années de diplomatie - et tout ça pour arriver au point qui pouvait et qui aurait dû être atteint en 1993.
Les Israéliens, en particulier, devraient se repentir de l'échec de leur pays à saisir l'occasion lorsqu'elle s'est présentée la première fois. Ils avaient, avec le Fatah et l'OLP, une direction palestinienne qui avait déjà parcouru ce long trajet ; mais au lieu d'assouplir chaque tension pour faire en sorte que l'adaptation à 1993 marche, Israël l'a saboté à chaque instant. Israël a poursuivi la construction des implantations ; il a maintenu les postes de contrôle, les couvre-feux et les confiscations de terres. L'année dernière ils ont fait passer le président palestinien, Mahmoud Abbas, et le reste de la direction du Fatah pour des pigeons. Le message qu'Israël a envoyé à l'électorat palestinien était saisissant : faire la paix et être modéré ne marchent pas. Les Palestiniens l'ont parfaitement bien capté - et ils ont voté pour le Hamas. Les pessimistes diront que cela pourrait prendre encore une décennie ou plus pour que le Hamas passe par le processus qu'a effectué le Fatah. S'ils le font et lorsqu'ils le feront, est-ce qu'Israël laissera passer une nouvelle fois l'occasion ?
L'exemple de l'Irlande du Nord
Le deuxième parallèle favori du moment est celui avec l'Irlande du Nord - le Hamas dans le rôle du Sinn Féin et de l'IRA. Cette comparaison pourrait s'avérer utile, ne serait-ce que pour ce public d'Anglais moyens de Question Time et de Any Question qui semblait scandalisé la semaine dernière par le fait qu'Israël ne se soit pas précipité pour donner une chaleureuse accolade au Hamas. Ils pourraient se rappeler à quel point les Britanniques refusaient de traiter avec les républicains lorsque l'IRA était toujours engagée dans la lutte armée. Gerry Adams pouvait remporter autant de voix qu'il voulait à Belfast-Ouest, cela ne faisait aucune différence : les Britishs n'avaient pas le droit d'entendre sa voix, et à plus forte raison de parler avec lui. Nous devrions garder cela en mémoire la prochaine fois que nous enjoignons les étrangers à parler avec ceux qu'ils considèrent comme terroristes.
Le problème de la comparaison avec l'Irlande du Nord est que les républicains d'aujourd'hui ont renoncé à la violence et ont décrété un cessez-le-feu depuis bientôt dix ans - et pourtant le plus grand parti unioniste refuse toujours de leur parler. À cette échelle, un accord israélien avec le Hamas est à des années-lumière. On m'a dit hier que le Hamas ne désarmera jamais : "La légitimité de leur résistance est enchevêtrée trop profondément dans la société palestinienne". Si le désarmement a retardé la paix en Ulster pendant dix ans, quel espoir reste-t-il pour Israël et la Palestine ?
L'exemple des premiers sionistes
Non, le futur le plus probable est celui qu'un analyste palestinien, et qui fut négociateur pendant un temps, Ahmed Khalidi, appelle "l'unilatéralisme parallèle" : chaque côté fera ses propres manœuvres, indépendamment de l'autre. Cela conviendra à Israël, qui a insisté pendant longtemps pour dire "qu'il n'y a pas de partenaire pour la paix" du côté palestinien : s'ils pouvaient dire cela du conciliant Mahmoud Abbas, ils ne s'adouciront pas pour le Hamas. En supposant qu'Ehud Olmert gagne en mars, et qu'il soit assez fort, il poursuivra le travail de Sharon - et procédera à de nouveaux retraits unilatéraux de Cisjordanie.
Cela obligera le Hamas à agir aussi en solo. Il se peut qu'ils mettent simplement en application leurs promesses électorales clés : se débarrasser de la corruption, étendre leurs services de santé et d'éducation, améliorer la vie quotidienne des Palestiniens. Ou, pour dire les choses avec plus de majesté, ils pourraient s'engager dans la construction d'un Etat. Ce qui nous amène peut-être au plus improbable des parallèles historiques. Le meilleur pari du Hamas pourrait non pas d'apprendre du Fatah ou de l'IRA, mais du mouvement sioniste des débuts. Alors qu'il vivait sous le règlement militaire colonial des années 20 aux années 40, il concentra ses énergies à construire les institutions d'un Etat : écoles, bureaucratie et même un service national de santé embryonnaire. Lorsque l'indépendance arriva en 1948, ils étaient prêts. Je sais que la loi israélienne n'est pas celle du mandat britannique. Mais il y a pareillement ici une leçon à tirer - et le Hamas ferait sa révolution en s'en emparant.
Traduit de l'anglais par Jean-François Goulon
Sources : Questions critiques
Posté par Adriana Evangelizt