Israël veut isoler le Hamas

Publié le par Adriana Evangelizt

Israël déploie une vaste activité diplomatique pour isoler le Hamas
 
 

Les dirigeants de l'Etat hébreu rencontrent de nombreux leaders occidentaux pour tenter de marginaliser d'emblée les vainqueurs des élections palestiniennes. Première visite de la chancelière Angela Merkel.

«Israël n'aura plus aucun contact avec l'Autorité palestinienne (AP) tant que le Hamas n'aura pas renoncé au terrorisme et reconnu son doit à l'existence.» Telle est, en substance, la réponse à la victoire du Hamas délivrée officiellement dimanche par le gouvernement de l'Etat hébreu. Quelques heures après la publication des résultats de l'élection de mercredi dernier, les fonctionnaires israéliens avaient cependant déjà reçu l'instruction de ne plus rencontrer leurs homologues palestiniens, même pour discuter de problèmes subalternes. Dans la foulée, Israël a annulé les «permis VIP», ces laissez-passer permettant aux élus et à quelques hauts fonctionnaires de l'AP de circuler entre la Cisjordanie et la bande de Gaza. «Plusieurs députés du Hamas sont des terroristes ou sont recherchés par nos services», avait alors déclaré le ministre israélien de la Sécurité intérieure Guidon Ezra. «Nous n'avons aucune raison de leur faciliter la tâche.»

Candidats à la «liquidation»

Certains des nouveaux dirigeants de l'AP sont considérés comme des candidats à la «liquidation». C'est le cas d'Ismaïl Hanyeh, la tête de liste du Hamas dans la bande de Gaza qui était déjà sorti indemne d'une «attaque ciblée» israélienne en 1993 et qui figure toujours sur la liste des Palestiniens à éliminer. Le sera-t-il? «Voyons d'abord ce qu'il fera lorsqu'il formera son gouvernement», dit-on dans l'entourage du premier ministre israélien Ehoud Olmert.

Quant au leader politique du Hamas Khaled Meshal, en exil en Syrie, son sort est aussi incertain. Ces derniers jours, ce «faucon» que le Mossad avait déjà tenté d'assassiner en 1997 à Amman a manifesté son intention de s'installer dans la bande de Gaza. Israël a aussitôt répondu. «Il sait ce qui l'attend», a déclaré samedi le ministre de la Défense Shaoul Mofaz. «Tous ceux qui ont organisé des attentats ou continuent de prôner et de pratiquer le terrorisme contre notre pays seront liquidés. Il n'y aura pas d'autre avertissement et l'immunité parlementaire palestinienne ne protégera personne.»

Angela Merkel en visite

A tort ou à raison, les dirigeants de l'Etat hébreu estiment que leur fermeté est «comprise», voire «encouragée» par la communauté internationale. Durant le week-end, le premier ministre Ehoud Olmert s'est d'ailleurs entretenu avec Jacques Chirac et avec plusieurs autres leaders européens. A partir d'aujourd'hui, il reçoit également la chancelière allemande Angela Merkel à l'occasion de sa première visite dans la région. «Le monde nous comprend», a-t-il affirmé dimanche. Sur le terrain, tous les points de passage entre Israël et la bande de Gaza sont désormais fermés. Les contrôles devant les barrages de Cisjordanie, qui s'étaient relâchés durant quelques mois, sont redevenus aussi stricts qu'aux pires heures de l'Intifada. En outre, quatre des six députés Palestiniens de Jérusalem-Est - les quatre élus du Hamas - sont placés sous surveillance permanente. Après avoir déclaré samedi que le Hamas interdirait la mixité dans les écoles palestiniennes, le député Mouhamad Abou Tir, une figure connue du Hamas de Jérusalem, a été convoqué par la police israélienne. Celle-ci l'a menacé d'arrestation s'il poursuivait ses activités politiques.

Certaines des mesures décidées par les responsables de l'Etat hébreu en réaction à la victoire du Hamas ont des répercussions inattendues en Israël même. Au point de passage de Karni (une gare routière par où transitent les biens entrant et sortant de la bande de Gaza), des milliers de vêtements confectionnés par des «petites mains» palestiniennes pour le compte de grandes chaînes de prêt-à-porter basées à Tel-Aviv sont ainsi bloqués. Des dizaines de magasins qui les avaient commandés et qui comptaient présenter les collections de printemps dès la semaine prochaine se retrouvent donc sans le moindre stock.

Le durcissement israélien se manifeste aussi au niveau diplomatique. A la fin de la semaine, la nouvelle ministre des Affaires étrangères Tzipi Livni a lancé une offensive visant à isoler l'AP sur la scène internationale. Tous les ambassadeurs de l'Etat hébreu à l'étranger ont donc entrepris des démarches afin d'obtenir le soutien des pays où ils sont en poste. Objectif avoué? Couper les ressources du budget palestinien approvisionné à plus de 50% par les subsides européens et américains.

Paradoxalement, le Ministère israélien des finances, qui prélève depuis 1994 les droits de douane pour le compte de l'AP, n'a pas gelé les versements mensuels qu'il effectue à celle-ci. Mais il les suspendra comme il l'avait fait entre 2001 et 2003 si les violences devaient reprendre.

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Analyse déficiente des renseignements
par Serge Dumont
Ils n'avaient pas prévu la victoire écrasante du Hamas. Une enquête est ouverte.
Le ministre israélien de la Défense et le chef de l'état-major de l'armée ont demandé l'ouverture d'une enquête sur le mode de fonctionnement des renseignements militaires et du Shabak (la Sûreté générale de l'Etat hébreu) qui n'avaient pas prédit la victoire du Hamas aux élections du 25 janvier.

Comparaissant au début du mois devant la commission de la Défense de la Knesset, le directeur général du Shabak, Youval Diskin, avait déclaré qu'il «ne tomberait pas de sa chaise si le Hamas sortait vainqueur du scrutin». Quant aux notes de synthèses transmises par les renseignements militaires aux principaux dirigeants du pays, elles faisaient toutes allusion au renforcement de l'organisation islamiste. Mais elles prédisaient également la victoire sur le fil du Fatah, ce qui explique pourquoi Ehoud Olmert, Shaoul Mofaz et quelques autres ont paru surpris par les résultats du scrutin palestinien.

Traditionnellement, le Mossad opère dans les pays arabes voisins ou sur des scènes plus lointaines, mais pas dans les territoires palestiniens. Ceux-ci sont de la compétence exclusive du Shabak qui y récolte des informations et y mène des opérations destinées à empêcher les attentats. Quant aux renseignements militaires, il leur appartient de centraliser le matériel recueilli par les différentes agences israéliennes et de le présenter aux ministres responsables.

Pourquoi n'ont-ils rien vu venir? «Il faut en finir avec le mythe selon lequel nous saurions tout sur tout le monde à toute heure du jour et de la nuit», explique l'ancien chef des renseignements militaires Amos Malka. «Un service est bon lorsqu'il a accès à de bonnes sources. C'est sur cette base que se fait l'analyse. En substance, tous les sondages effectués par les instituts palestiniens prédisaient la victoire du Fatah à une courte tête. Les responsables de ce parti y croyaient également. Comment aurions-nous pu penser que tout le monde se trompait?»
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Le Fatah, ce mouvement qui ne veut pas mourir
par Luis Lema
Les Palestiniens sont tiraillés entre la joie de rompre avec une Autorité discréditée et la peur de l'avenir.
Ramallah sentait la poudre, ce week-end. Quelques dizaines de fusils mitrailleurs pointés vers le ciel, ils sont des milliers à se réunir, au centre de la ville, pour crier leur rage et leur amertume, après la tempête électorale qui a balayé sur son passage tout le système politique contrôlé par le Fatah du président Mahmoud Abbas.

De manière très habile, les nouveaux maîtres des Territoires palestiniens laissent les vaincus gérer seuls leur déception. Ici, le parti radical Hamas a raflé 4 des 5 sièges en jeu. Mais nulle démonstration de force, nulle provocation de la part des militants islamistes. Seuls les portraits géants qui ont fait leur apparition sur la place des Lions montrent le changement à l'œuvre dans cette ville, la plus occidentalisée de Palestine. Elles montrent un cheikh Ahmed Yassine (le guide spirituel du Hamas assassiné par les Israéliens) figé dans son sourire impassible: le Hamas a tout son temps.

Les militants du Fatah continuent de rassembler la foule autour d'eux. Ils ont déployé un long drapeau palestinien qui donne l'impression de recouvrir un gigantesque cercueil. Les fusils pétaradent comme lors des événements importants, les mariages, mais surtout les enterrements.

«Ces armes, c'est une question d'honneur. Les gens du Fatah veulent qu'on les respecte, même dans la défaite», explique Nidal Katib, 42 ans, un peu à l'écart du cortège. Nidal est montreur de marionnettes. Ces derniers mois, dit-il, lorsqu'il allait présenter son spectacle dans les villages, il pouvait sentir la grogne des Palestiniens à l'égard d'une Autorité palestinienne usée et discréditée. Il pouvait sentir croître la fatigue et monter la révolte. Aujourd'hui, les sentiments de l'artiste sont ambigus. «Je suis heureux de cette révolution. Mais j'ai très peur de ce qui va arriver. Toute l'Autorité palestinienne va imploser.»

Le cortège s'anime maintenant, à proximité du marché des légumes qui, malgré la révolution en marche, continue de vaquer à ses occupations. «Dahlan, Abbas, on ne veut pas du Hamas», chantent les militants à leurs leaders, Mohammed Dahlan, l'homme fort de Gaza, et le président Mahmoud Abbas. Dans la foule, un manifestant explique: «Nous sommes les gens propres du Fatah. Nous n'avons rien à voir avec ces ministres qui se sont sali les mains au pouvoir. Le président doit nettoyer notre parti. Nous n'avons plus confiance qu'en lui.»

La manifestation s'est approchée de la Mouqataa de Mahmoud Abbas, d'où les soldats de l'Autorité palestinienne regardent d'un air abattu, fusil en main, leurs compagnons d'armes du Fatah. Puis la foule s'excite. Jibril Rajoub, l'ancien bras droit de Yasser Arafat, celui qui a été battu aux élections à Hébron par son propre frère du Hamas, monte sur un muret pour s'adresser aux militants: «Les extrémistes islamiques ne pourront jamais conduire la barque de l'Autorité palestinienne», lance-t-il, en excluant toute possibilité de coalition avec le Hamas. Puis, tâchant de faire régner le calme chez les manifestants en colère: «C'est Arafat qui a commencé l'Intifada. Elle ne s'achèvera pas sans nous.»

Jibril Rajoub ne dit rien de plus. Il n'y a plus rien à dire. Car personne, dans l'entourage de Mahmoud Abbas, ne sait quelle est aujourd'hui la stratégie à suivre. Un président qui lancerait une sorte de «cohabitation» à la palestinienne? Une cohabitation dans laquelle ce président respecté par la communauté internationale dirigerait un gouvernement formé par une organisation considérée comme terroriste par Israël, les Etats-Unis et l'Europe? «Il y a beaucoup d'idées, mais personne ne sait vraiment ce qui va se passer», concède au téléphone Mohammed Adwan, l'un des conseillers du président.

Dans l'immédiat, faute de savoir que leur dire, on a laissé les militants envahir la Mouqataa, protégée par la garde rapprochée du président au grand complet. Sans but, les gens s'approchent du tombeau de Yasser Arafat, inaccessible depuis qu'il est en réfection. «Abou Ammar, pardonne-nous tout ceci, chantent les militants en utilisant le nom de guerre d'Arafat. Les gens de la Mouqataa nous ont vendu pour de l'argent.»


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Qui dirigera la sécurité?
par Luis Lema
Alors que le «système Arafat» reposait sur près de 13 services de sécurité, le Hamas a le projet de les réunifier.
Ce sont des forces pléthoriques, souvent désorganisées et mal formées. Au moins 13 services de sécurité différents, dont la plupart n'ont pas de chaîne de commandement précise et qui servent surtout à offrir un salaire à des dizaines de milliers de personnes. C'est sur ces services de sécurité que se fondait le «système Arafat», un système dans lequel le président Mahmoud Abbas n'a apporté que très peu de transparence.

Ce week-end, Khaled Mashal, le chef du Hamas établi à Damas, répétait que son mouvement a le projet d'unifier ces forces de sécurité pour en faire une armée nationale. Une perspective difficile à accepter par les Israéliens et qui, en outre, poserait un problème de taille: entre quelles mains mettrait-on pareille armée? Celles du président palestinien, membre du Fatah? Celles du gouvernement, que dirigeront les islamistes? Et que faire des dizaines de milliers de personnes qui seraient privées de revenus à la suite d'une possible restructuration?

«Nous sommes en situation de vraie crise politique», assure Isham Ahmad, professeur de science politique à l'Université de Birzeit. Selon lui, les Egyptiens, notamment, font fortement pression pour que des membres du Fatah acceptent d'entrer dans un futur gouvernement. Ce serait une manière de donner davantage de légitimité au gouvernement, auprès de ces forces qui se confondent depuis leur origine avec le Fatah. Ce week-end, un commandant de la force nationale palestinienne le disait sans détour: «Jamais les forces de sécurité ne seront placées sous le commandement du Hamas.»

Pour le professeur Ali Jirbawi, directeur du Département de sciences politiques à Birzeit, le scénario le plus probable verrait pourtant le Hamas nommer au gouvernement des technocrates, qui géreraient avec le moins de passion possible les chantiers qui s'annoncent.

«Tout ce débat ouvre des opportunités de réformes qui pourraient se révéler très positives, affirme en privé un diplomate européen. Mais pour cela, il faudrait que les Occidentaux ne se braquent pas trop devant l'arrivée du Hamas au gouvernement.»


Sources : LE TEMPS

Publié dans HAMAS

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