Ce n'est pas la terreur du Hamas que craint Israël
Une excellente analyse qui démontre bien pourquoi Israël fait pression sur le monde entier pour que le Hamas soit tenu à l'écart ou même qu'il démissionne. C'e'st que les revendications du Hamas sont légitimes et mettent les dirigeants d'Israël au pied du mur. A savoir qu'ils ont colonisé à tout va mais que ce n'est pas légal.
Ce n'est pas la terreur du Hamas que craint Israël
Le Compromis de 1988 vu sous un nouveau jour
par Elaine C. Hagopian
Le 15 novembre 1988, le Conseil National Palestinien (CNP), le corps législatif de l'OLP, a lancé une bombe politique sur Israël et les Etats-Unis. Cette "bombe" vient d'être ressuscitée par le gouvernement du Hamas. Il s'agit du fameux compromis palestinien historique[1], incorporé dans la Déclaration d'Indépendance Palestinienne et annoncée publiquement en ce mois de novembre à Alger.
Voici ses deux principales caractéristiques :
1) L'acceptation de la Résolution 242 du Conseil de Sécurité des Nations-Unies (CSNU) [2], du 22 novembre 1967, votée au lendemain de la guerre de 1967, qui incluait la reconnaissance naturelle d'Israël mais ne faisait aucune mention d'un Etat palestinien. En fait, c'est volontairement que la Résolution 242 ne faisait aucune référence aux résolutions onusiennes existantes concernant un futur Etat palestinien et le droit au retour des réfugiés ; [3]
et,
2) ce compromis ancrait la Déclaration 181 de l'Assemblée Générale des Nations-Unies du 29 novembre 1947, qui recommandait la partition de la Palestine en deux Etats, l'un, arabe (palestinien), et l'autre, juif.
Cette dernière mesure était destinée à pallier la déficience de la Résolution 242 eu égard au désir d'Etat palestinien. Cependant, le CNP/OLP accepta explicitement que les territoires occupés par Israël en 1967, la Cisjordanie, Gaza et Jérusalem-Est (22% de la Palestine d'avant 1948), soient la limite territoriale de l'Etat [palestinien] au lieu des 45% alloués par le plan de partition de 1947. Ces deux caractéristiques - la reconnaissance d'Israël sur 78% de la Palestine historique et l'acceptation des territoires pour construire la qualité d'Etat - constituaient l'essence même de ce compromis historique.
Bien que le CNP/OLP n'ait jamais renoncé au droit au retour des réfugiés palestiniens, après la Déclaration de 1988 et pendant tout le processus de Madrid/Oslo (1991-1993), il a bien minimisé son importance. En conséquence, depuis 1988, et tout particulièrement durant les négociations de Madrid et d'Oslo, Israël avait une occasion en or de résoudre son conflit avec les Palestiniens par une solution de deux Etats, selon des termes qui lui étaient favorables. Les lignes de cessez-le-feu de 1949, dessinées après la guerre de 1948 et qui englobaient les 78% de la Palestine conquit par Israël, seraient devenues de fait les frontières d'Israël ; et les territoires occupés par Israël en 1967 seraient devenus l'Etat palestinien. Il devint clair après la guerre de 1967 qu'Israël n'avait aucunement l'intention de rendre les territoires occupés. Le débat israélien interne qui suivit la guerre en fait l'éclatante démonstration. Le mouvement "Toute la Terre d'Israël", représentant le spectre politique israélien gauche/droite, insistait pour garder les territoires comme partie intégrante d'Eretz Yisrael [le grand Israël]. D'autres chipotaient pour garder des zones stratégiques tout en travaillant sur un accord avec leur collaborateur d'un temps, la Jordanie. La transformation immédiate de Jérusalem-Est et son unification avec Jérusalem-Ouest - israélien - étaient de mauvais augure pour tout retrait. Par la suite, la colonisation israélienne des Territoires Palestiniens a commencé. Les colons israéliens sont à présent plus de 400.000 à Jérusalem-Est (annexée auparavant) et en Cisjordanie.
Comment Israël a-t-il pu ignorer la loi internationale, les conventions de Genève, et les résolutions onusiennes sur les droits des Palestiniens ? Cela est dû, dans une large mesure, au soutien tacite des Etats-Unis et à la façon dont Israël a interprété la Résolution 242 du CSNU de l'après-guerre de 1967. Cette résolution était écrite de telle manière qu'elle permettait d'ignorer le plan de partition de 1947 existant pour, en fin de compte, jeter les bases de son anéantissement. La Résolution 242 du CSNU est devenue le seul cadre de travail "légal" pour négocier. Elle offrait en effet à Israël l'occasion de s'étendre territorialement et de s'institutionnaliser dans la région, malgré son caractère d'occupant colonial, sans avoir à aborder les droits des nationaux palestiniens et des réfugiés. Cette résolution appelait à :
"Cessation de toutes assertions de belligérance ou de tous états de belligérance et respect et reconnaissance de la souveraineté, de l'intégrité territoriale et de l'indépendance politique de tous les Etats [italique ajoutée] de la région et de leur droit de vivre en paix à l'intérieur de Frontières sûres et reconnues [italique ajoutée] à l'abri de menaces ou d'actes de force".
La Palestine n'était/n'est pas un Etat. Questionné sur son intention d'abolir le plan de partition qui appelait à deux Etats et de donner la liberté de manœuvre aux objectifs israéliens, l'auteur de la Résolution 242, Lord Carradon, s'est démené avec un démenti non-convaincant, bien qu'il admît que 242 était destiné à permettre à Israël d'étendre ses "frontières" de 1967 à l'intérieur des territoires occupés, pour établir des "frontières sûres". Depuis lors, les diplomates américains et israéliens ont essayé à plusieurs reprises d'annuler toutes les résolutions de l'ONU sauf la Résolution 242, concernant la Palestine.
Bien que 242 fournît une grande liberté de manœuvre aux intérêts israéliens, elle soulignait "l'inadmissibilité de l'acquisition de territoire par la guerre". Elle appelait aussi au "Retrait des forces armées israéliennes des territoires occupés lors du récent conflit". La 242 du CSNU fut écrite sous le Chapitre VI (Règlement Pacifique des Conflits) de la Charte de l'ONU et, par conséquent, ne disposait pas de moyens officiels pour mettre en place tout retrait. Seul le Chapitre VII (Action Relative aux Menaces à la Paix, à la Violation de la Paix et aux Actes d'Agression) inclut des mécanismes de mise en application. Dans tous les cas, Israël n'a pas considéré que les territoires palestiniens étaient occupés, puisqu'ils n'ont jamais été reconnus comme un Etat avant la guerre de 1967. Après la guerre de 1948, la Jordanie avait absorbé Jérusalem-Est et la Cisjordanie, au sein du Royaume Hachémite. Mais l'action de la Jordanie ne fut pas reconnue internationalement. L'Egypte administrait Gaza mais ne l'a pas absorbée. Donc, si les Territoires Palestiniens ne faisaient pas partie d'un Etat, Israël n'occupait pas le territoire de quelqu'un d'autre (c'est du moins ce que les Israéliens prétendaient). Ainsi, Israël a maintenu qu'il n'était pas nécessaire qu'il se retire, sauf par choix et accords volontaires. Face à l'illégalité évidente de l'annexion israélienne (1981) des Hauteurs du Golan syrien, occupées et colonisées, cet argument s'effondre.
Pendant le processus d'Oslo, Arafat a beaucoup cédé à Israël, lui permettant de fixer les termes concernant les zones dont ils se retireraient et les "pouvoirs" qu'ils accorderaient à l'Autorité Palestinienne. Arafat pensait qu'il finirait par obtenir ce compromis historique avec des ajustements mineurs. Il se trompait : ses concessions sapèrent les termes du compromis. Il a continué à concéder des terres et du pouvoir jusqu'en juillet 2000 à Camp David, lorsqu'il a réalisé qu'il avait été piégé à clore tous les dossiers juridiques sur la Palestine - y compris le droit au retour des réfugiés palestiniens - et accepter un Etat tronqué et fragmenté. Mahmoud Abbas (Abou Mazen) a succédé à Arafat, mais il a été en fait ignoré par les Israéliens. Il n'y a et n'y a eu aucunes négociations de "paix" depuis juillet 2000 ; seulement des actions israéliennes unilatérales, considérées comme moyens de sauvegarder la majorité démographique juive dans un Israël élargi. Pendant ce temps, les Palestiniens des territoires sont emmurés et économiquement et socialement étouffés.
Ce n'est pas le terrorisme. Israël sait bien, comme le savaient les Sud-Africains blancs, les Algériens français et les Kenyans britanniques que les tactiques terroristes font partie de la résistance anti-coloniale et anti-occupation. Lorsqu'il y a une volonté de résoudre un conflit, le terrorisme - de résistance et d'Etat - finit par être abandonné. Ce qui gêne Israël avec le Hamas est que le Hamas veut revenir à l'heure du compromis historique de 1988. Pendant plus de quinze ans de "processus de paix", Israël a réussi à empêcher l'émergence d'un Etat palestinien viable basé sur ce compromis. Le Hamas a remis l'accent sur ce compromis - un Etat palestinien intégralement souverain, dans les Territoires Occupés libérés des implantations et de l'occupation militaire. Il affirme aussi le droit légitime et inaliénable jamais abandonné du retour des réfugiés vers leurs maisons d'origine dans la Palestine historique. En diabolisant le Hamas et en affamant les Palestiniens, Israël espère détruire le Hamas en tant que parti élu représentant la volonté palestinienne. Israël ignore une nouvelle fois l'occasion d'avoir une solution viable de deux Etats et pave de fait la route pour plus de chaos et de violence. Essayer de soutenir Mahmoud Abbas, qui a peu ou pas du tout de crédibilité au sein de son peuple pour s'opposer au Hamas, est voué à l'échec. Israël devra alors prendre la responsabilité de la population palestinienne qui, en fin de compte, bien loin dans cette ligne, conduira à un seul Etat englobant Israël et les Territoires Occupés, basé sur une citoyenneté égale pour les deux peuples. Dommage que cela ne puisse se produire maintenant !
Pour en savoir plus :
[1] Voir : La déclaration du Conseil National Palestinien du 15 novembre 1988 sur le site France-Palestine Solidarité
[2] Le texte intégral (en français et en anglais) de 242
[3] Voir : La Résolution 242 dans Le Monde Diplomatique
Elaine C. Hagopian est Professeur Emérite de Sociologie au Simmons College.
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Jean-François Goulon - QuestionsCritiques
Posté par Adriana Evangelizt