Un ou deux Etats pour Israël et la Palestine ? 2ème partie
Illan Pappe : La solution d’un seul État n’est pas née du désespoir. C’est vrai qu’il y a du désespoir dans les élites politiques, oui - mais pas du désespoir en la nature humaine ou en la société civile. Le désespoir est le fait des politiciens qui vendent, commercialisent et revendent encore et encore la solution de deux États depuis maintenant soixante ans - et les résultats visibles sur le terrain sont : plus d’occupation, plus d’injustice, une violation plus grande et plus systématique, si faire se peut, des droits de l’homme et des droits civiques. On peut espérer. Par exemple, vous voyez, en Galilée - où juifs et arabes vivent dans une région qui échappe relativement au contrôle de l’État. Il est intéressant de noter que là où il y a une égalité démographique entre juifs et arabes, il y a aussi des partenariats dans le commerce, des écoles communes, et soudain il se développe une vie ensemble entre les deux nationalités. Il en ressort que l’on peut combattre la ségrégation.
Pourquoi est-il possible de la combattre ? Vous savez pourquoi ? Parce que l’idée que le nationalisme doit l’emporter ici est le résultat de manipulations et de l’éducation - non de la nature humaine. Vous pouvez éduquer autrement. Oui, il y a une différence énorme entre la solution de deux États et la solution d’un État. Pour deux États il faut des hommes politiques, pour un État il faut des éducateurs. D’éducateurs, on n’attend pas de résultat en un ou deux ans. Il arrive même que les éducateurs ne voient pas les résultats de leur travail de leur vivant. Ce que je peux me permettre, Yossi Bellin ne le peut pas : mourir sans savoir si les graines d’éducation à un État unique commun aux juifs et aux arabes porteront leurs fruits. Un homme politique ne peut se permettre cela - pas parce qu’il veut que le conflit finisse, mais parce qu’il ne veut pas que sa carrière politique finisse.
Si l’irréaliste solution de deux États qui dit que les colonies devront être démantelées, était donc réalisable, qui ira démanteler Gilo ? Y a-t-il quelqu’un pour démanteler Gilo ? Mais de quoi parle-t-on ? Et qui va démanteler Ma’ale Adumim ? Mais de quoi parle-t-on ? Quelles colonies va-t-on démanteler ? Il n’y a pas de « colonies » dans la tête du public israélien dont nous parle Uri. Au fond, tout au fond de la conscience publique, Gilo est inséparable de l’État d’Israël - et si l’on ne démantèle pas Gilo, qu’on ne nous parle plus du tout de deux États. Si quelqu’un pouvait me dire à quelles conditions Gilo pourrait être démantelé, je suis prêt à parler, à discuter de deux États. Sans ça, il n’y a rien à discuter. L’échange de territoires est une invention des diplomates israéliens. Pas un Palestinien sain d’esprit ne pourrait accepter, sur un si petit territoire.
La vraie formule de deux États - pas la formule utopique où Gilo fait partie de l’État palestinien, mais la vraie formule de deux États - est ce que nous voyons se mettre en place sous nos yeux. Ça veut dire 50 % de la Cisjordanie annexés par Israël et les 50 % restants être un bantoustan entouré de murs et de barrières, mais avec un drapeau palestinien. Ce sera ça l’État, plus, à ce qu’il semble, une espèce de tunnel qui le branchera avec cet autre camp de concentration qui s’appelle la bande de Gaza. On signera sur le gazon de la Maison-Blanche, et le camp de la paix sioniste viendra dire : quoi qu’il en soit, c’est un peu mieux que ce qu’il y avait avant. On a déjà vu où cette façon de penser nous amène. Il nous faut des personnes qui se battent contre leur société. Des gens qui peuvent dire à leur société : désolé, mais le type d’idéologie collective que vous avez choisi est méprisable et on ne peut le conserver. Il ne répond pas aux critères moraux communs ni à ceux du judaïsme.
Cette idée que les juifs aient la préférence ethnique, la majorité ethnique, la supériorité ethnique - pour un État qui est supposé représenter les victimes de l’Holocauste. Dois-je supporter tout ça parce que c’est ce que la majorité pense ? Parce que c’est le résultat de l’éducation dispensée ? Même si je suis le seul Israélien à penser autrement, je continuerai à parler. Qu’est-ce que tu essayes de dire ? Qu’au nom de la conscience collective, telle qu’elle était sous le régime de l’apartheid, il était interdit pour un Blanc de venir dire à haute voix ce qui ne sonnait sans doute pas comme réaliste dans les années 1960 et 1970, que l’apartheid était une idéologie méprisable. Le sionisme n’est pas l’idéologie d’un mouvement national. C’est une idéologie ethnique qui prône la dépossession du peuple indigène et lui dénie la possibilité de continuer à vivre ici. Si ce n’est pas nous qui nous mettons à changer le discours, le grand public en tout cas ne le fera pas. Il y a des points de non-retour dans l’Histoire ! Oui, il y a des points de non-retour dans l’Histoire. Je suis désolé de le dire, Uri, mais le génocide est un point de non-retour, un acte irréversible. Les exemples ne manquent pas. Je te le dis, comme historien, il ne manque pas d’exemples historiques où le nettoyage ethnique a tourné au génocide. Tu devrais considérer les profondeurs de cette conscience nationale, cette conscience juive sur laquelle tu battis l’espoir de mener à bien la solution de deux États. Je n’aime pas aller y voir, le passage possible du nettoyage ethnique à l’extermination ethnique.
Dans la salle : Où est-ce que ça n’existe pas ? Où dans le monde n’est-ce pas comme ça ?
Illan Pappe : Je vais vous dire le pire. Si dans les vingt ans qui viennent nous n’en sommes pas venus à une solution alternative, et en vérité, le rapport des forces en faveur d’Israël va figer une situation où une moitié de la Cisjordanie sera annexée à Israël et où dans l’autre moitié les gens ne pourront subsister, il est fort possible que nous aurons effacé les Palestiniens de l’Histoire. Peut-être les aurons-nous effacés de toute conscience - mais alors le monde arabe et musulman nous effacera, même si cela doit prendre cent ou deux cents ans. Nous devons penser une solution à long terme, pas seulement pour mettre fin à l’occupation, pas seulement pour trouver une solution pour les juifs et les Arabes dans ce pays, mais parce que tout l’avenir du peuple juif sera menacé si le projet sioniste réussit son achèvement. Le projet sioniste n’aura atteint son but que si la majorité dans ce pays est juive, et qu’il reste le moins de Palestiniens possible. Quant à ce que les réfugiés veulent, il y a, en tout cas, un projet qui résume en quelque sorte leur désir politique. Ça s’appelle Civitas. Si tu regardes le résultat, Uri, tu verras des choses dérangeantes. La plupart des réfugiés veulent revenir. La plupart des réfugiés ne veulent pas d’argent
Mais ce qu’il y a peut-être de plus important dans le procès de démocratisation dont on peut voir les prémices dans la communauté des réfugiés, c’est que la question la plus importante pour eux n’est ni le retour ni les compensations. La question la plus importante qu’ils se posent est la suivante : pourquoi ne leur permet-on pas de participer à la définition de l’avenir de leur patrie ? Que nous revenions, et même que nous ne revenions pas, laissez-nous prendre part aux décisions ! Il n’y a pas que les habitants de Jénine ou les habitants de Jaffa, laissez-nous participer à définir l’avenir du pays. Dix minutes ont passé, je vais donc dire encore deux phrases. Est-ce possible ? Ce n’est pas possible demain, ce n’est pas non plus possible après-demain. Je suis désolé de dire que ce sera d’autant moins possible que le projet sioniste réussira à créer ici un État sans arabes. Ce qui est bien le plus possible ! C’est dans les plans, entre autres à cause de l’erreur du camp de la paix et du soutien à « deux États pour deux peuples ». Parce qu’en s’appuyant sur le slogan « deux États pour deux peuples », on peut parler de transfert de population, on peut parler de réduire le territoire palestinien, on peut nettoyer le territoire israélien de tout Palestinien. « Nous sommes ici et ils sont là », disait Ehoud Barak. Ils peuvent aussi nettoyer la minorité palestinienne d’Israël, au nom de l’idée sublime de deux États.
En tout cas, je ne pense pas que la pression de l’étranger sera ce qui, en fin de compte, permettra d’établir un seul État. Ce n’est pas ce que j’ai dit. J’ai dit que la pression de l’étranger peut amener la fin de la présence israélienne dans la vie des Palestiniens. Mais la fin de la présence militaire ne sera pas la fin du conflit. Ce fut le rêve éveillé de Camp David en 2000, que la fin de l’occupation pourrait être la fin du conflit. Non. La fin de l’occupation pourrait simplement rendre possible une discussion réaliste, complète, juste sur la fin du conflit. La fin du conflit, dans un pays aussi petit, ne pourrait advenir que sur la base d’un seul État commun. On peut citer des exemples historiques qui vont contre, mais on peut aussi citer des exemples historiques opposés. La même chose est vraie pour les exemples contemporains, on peut citer des cas d’un côté comme de l’autre. Le plus important, c’est les questions que nous nous posons - précisément nous, qui sommes nos partenaires pour un combat commun avec les Palestiniens. N’avons-nous pas de partenaires dans le camp palestinien pour construire ici un État commun ? N’y a-t-il pas de Palestiniens en Israël avec qui nous voulons construire un État commun ? N’y a-t-il pas de juifs en Israël avec qui nous ne voulons pas construire un État commun ? Donc séparons d’une part les juifs et les Arabes normaux et d’autre part les juifs et les Arabes qui sont des salauds. Arrêtons de traiter avec le discours nationaliste qui perpétue l’occupation, l’aliénation et l’oppression ! Merci.
Zalman Amit : Deuxième round, Uri Avnery a dix minutes pour réagir.
Uri Avnery : Je suis dans une situation quelque peu inconfortable - parce que, dans un débat entre l’émotion et la logique, les applaudissements vont toujours à l’émotion. Dans un débat entre une morale absolue et une morale relative, les applaudissements vont - et c’est juste - à la morale absolue. J’ai écouté ce que tu as dit, Illan, avec attention, mais j’ai aussi écouté avec attention ce que tu n’as pas dit. Tu n’as pas dit comment tu feras pour démanteler l’État d’Israël. Tu n’as pas dit comment l’État unique verra le jour. Tu n’as pas décrit à quoi il ressemblera dans la réalité. Tu as décrit l’idéal. Excuse-moi pour la comparaison, mais ça me rappelle quelque peu l’utopie du livre du père fondateur du sionisme, Altneuland. Mais nous vivons dans la réalité, et nous savons comment les choses sont dans la réalité. Comment elles peuvent être dans la réalité et ce qu’on peut faire dans la réalité - et c’est ça qui compte.
Il y a beaucoup de gens bien en Israël. Beaucoup qui font de bonnes choses. Il y a cent organisations qui luttent pour la paix, chacune d’entres elles fait des choses importantes dans son domaine. Il y a des enseignants qui éduquent à la coexistence judéo-arabe, il y a des jardins d’enfants qui préparent à ça encore plus tôt dans la vie, tout cela est vrai. Mais tu as dit toi-même qu’ils ne verront pas de leur vivant la solution que tu proposes. Tu proposes de planter un amandier dont tes petits-enfants goûteront les fruits. Mais, Dieu tout-puissant, tout cela me fait terriblement peur. Tu parles de nettoyage ethnique, du danger terrible de nettoyage ethnique, Tu parles des terribles dangers qui menacent le peuple palestinien dans la réalité présente, et je vois la situation sous des traits aussi sombres que toi. Je suis peut-être encore plus pessimiste que toi. Dans cette réalité, nous n’avons pas cinquante ans pour attendre une solution !
J’ai dit qu’il n’y a pas de compromis possible entre des positions antagoniques. Mais je t’offre néanmoins un compromis : travaille avec nous à la création de deux États. Quand les deux États seront là, après que ces dangers auront été écartés, combattons ensemble pour les réunir dans un seul État commun. Je suis sérieux. Se battre pour que les deux États en deviennent qu’un seul, volontairement, je l’espère de tout mon cœur - et j’en ai parlé avec Arafat, et plus qu’une fois ou deux - qu’entre l’État israélien et l’État palestinien il faudra une sorte de fédération, un partenariat entre les deux États avec des frontières ouvertes et une économie intégrée - avec, bien sûr, des garanties pour l’économie palestinienne. Lors de notre première rencontre avec Arafat, pendant le siège de Beyrouth, il m’a parlé d’une solution de type « Benelux » (les plus vieux se rappelleront le Benelux, l’accord d’unité entre la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg). Arafat pensait à une alliance tripartite - Israël, Palestine et Jordanie - qui pourrait inclure le Liban aussi. La dernière fois que nous nous sommes vus, il en a encore parlé.
C’est une perspective importante et riche. Mais nous avons, pour le moment, un malade, là, devant nous, un malade qui souffre de blessures graves et qui saigne. L’urgence est de stopper l’hémorragie, de trouver une solution, non pas idéale, mais réelle et qu’on puisse réaliser. Pour mettre un terme à cette partie du débat, je ne pense pas que le camp de la paix ait perdu ni qu’il ait failli. Ce qui se passe ici est beaucoup plus complexe. Il y a ce qui arrive sur le terrain et ce qui arrive dans les profondeurs. C’est bien vrai. Sur le terrain, ce qu’on voit est une réalité terrible, pire de jour en jour - si faire se peut et nous savons que c’est toujours possible. Nous nous y affrontons tous les jours. Mais, dans les profondeurs, c’est autre chose. Il y a eu un moment où 99 % du public juif israélien niait purement et simplement l’existence du peuple palestinien - aujourd’hui, personne ne parlera plus comme ça. Il est arrivé que l’immense majorité était contre la création d’un État palestinien. Aujourd’hui, d’après les sondages, en Israël, la grande majorité l’accepte dans le cadre d’une solution. Quand nous avons dit qu’Israël devait parler avec l’OLP, ils ont dit que nous étions des traîtres. Et puis le gouvernement a conclu un accord avec l’OLP. Aujourd’hui, nous disons qu’il faut parler avec le Hamas. Je suis sûr qu’Israël va parler avec le Hamas, et même qu’il ne faudra pas attendre trop longtemps.
Nous avons dit que Jérusalem devait être la capitale des deux États. C’était terrible, inacceptable. Jérusalem est la capitale éternelle et unifiée d’Israël, bla-bla-bla. Mais quand Ehoud Barak a proposé une façon de partager Jérusalem - qu’importe qu’il y ait cru ou pas ni même ce à quoi il pouvait bien croire -, quelle a été la réaction du public ? Le silence. Quelque chose change dans ce pays. Les changements en profondeur de l’opinion publique sont vitaux pour une solution. Nous allons gagner, je le crois. Je pense que le mouvement de l’Histoire va dans notre direction. Ce n’est pas facile, les obstacles sont énormes. Mais je ne suis pas un optimisme écervelé. Mon optimisme repose sur la réalité. Je pense que nous allons vers la création d’un État palestinien à côté d’Israël. Je pense que la Palestine sera un État national dont on sera fier. Je sais que pour beaucoup de gens « national » et « nationalisme » sont des mots sales. On pourrait faire un autre grand débat là-dessus, qui nous prendrait toute une autre soirée, mais je ne dirai que ceci : qui ignore l’énorme pouvoir du sentiment national vit loin de la réalité. La réalité est nationaliste.
On ne peut extirper le sentiment national du cœur des peuples, il va trop profond. Ce n’est pas un mois qu’il faudrait ni une année ou deux, ce sont des siècles. Même en Europe, après soixante ans d’unification européenne, regardez ce qu’il se passe dans les stades. Regardez ce qu’il se passe quand on touche au sentiment national - même en Europe. Le nationalisme est un fait, il existe, nous devons le prendre en considération. Il n’est pas rationnel d’ignorer l’élément irrationnel en politique. L’irrationalité existe. Il est rationnel de prendre en compte l’irrationnel. Nous devons penser comment, malgré l’irrationalité, nous pouvons arriver à une solution qui nous permette de vivre.
Zalman Amit : On en arrive au moment où je vais pouvoir justifier ma paie comme modérateur. Je vous préviens qu’on ne pourra présenter toutes les questions, ça prendrait bien plus que le quart d’heure prévu pour les questions et les réponses, mais je vais faire du mieux possible et je compte sur vous.
Première question, elle est pour Illan, posée par Moshe Bokai : La résolution 181 de l’ONU est le document sur la base duquel l’État d’Israël a été proclamé. La résolution a fixé aussi les frontières des deux pays. Quelqu’un d’autre que l’ONU peut-il abolir cette résolution ?
Illan Pappe : Quelqu’un d’autre que l’ONU peut-il abolir cette résolution ? Certainement. Les Israéliens et les Palestiniens peuvent abolir cette résolution par toute procédure historique commune, si seulement ils le veulent. Ce n’est pas un problème. Il n’y a rien de sacré dans cette résolution, rien - sauf à répéter l’erreur sur laquelle est fondée cette résolution. L’idée erronée que, bien que la population d’origine du pays, soit 66 % de la population totale, n’acceptait pas leur solution - la communauté internationale et les Nations unies pensaient justifié d’imposer à la population indigène cette solution qu’elle trouvait inacceptable. Donc, bien sûr, cette solution doit être abolie. Elle n’a pas un statut d’engagement légal, c’est un statut spécial. Ce qui fera la décision finale sera ce que décideront les gens qui étaient là et les gens qui y sont.
Zalman Amit : Une autre question pour vous : Vous parlez d’un colonialisme criminel perpétré par le peuple juif sous la forme du sionisme. Cela ne signifie-t-il pas que vous déniez les droits du peuple juif dans le passé et naturellement aussi aujourd’hui ? Cela ne signifie-t-il pas qu’il ne doit pas y avoir de discussion sur un État pour deux peuples, mais plutôt d’un État pour un seul peuple, le peuple palestinien ?
Illan Pappe : Je ne dénie pas le droit du peuple juif à avoir un État, pas plus que je ne dénie le droit du peuple palestinien à avoir un État. Ce que je dénie, c’est le droit du peuple juif à déposséder le peuple palestinien de sa patrie. Si la solution politique qui sera proposée avait pour conséquence de permettre au peuple juif de continuer de déposséder le peuple palestinien, cela serait non seulement moralement inacceptable - cela signifierait aussi que le conflit continuerait. De fait, ce que je recherche, c’est une solution qui aura pour conséquence de permettre à tout le monde de vivre où il ressent que ses droits historiques sont respectés, et que ses droits civils et humains sont, aussi, respectés. Si ça, c’est de la moralité absolue, je n’ai aucune envie de savoir ce qu’est la morale relative.
Zalman Amit : La question qui suit est pour Uri Avnery : Étant donné que les juifs ont été persécutés tout au long de leur histoire, est-ce que l’existence d’un État où la majorité est juive n’est pas une provocation à un nouvel Holocauste, à l’ombre de la menace iranienne ?
Uri Avnery : On n’a pas le temps, ce soir, pour une discussion détaillée sur ce qu’il s’est passé dans ce pays ces cent dernières années, et même ces vingt dernières années. C’est une longue histoire, une histoire compliquée, une histoire difficile, une histoire tragique - et encore, ce n’est pas une histoire, mais deux histoires, deux récits, l’un israélien, l’autre palestinien. En faire le tour demanderait une autre soirée, que dis-je une soirée, une semaine ou un mois. Au Gush Shalom, nous avons fait l’effort d’écrire une tentative de récit commun israélo-palestinien sur comment le conflit est né, et comment il s’est développé jusqu’à aujourd’hui. Vous trouverez ça dans une brochure qui est sur une table, son titre est Vérité contre vérité. Si vous voulez, vous pouvez la lire.
La bombe iranienne : bon, quand il y a eu des juifs qui ont voulu être une nation et créer un État, ils ont pris un risque énorme. Les juifs avaient un mode de vie traditionnel, et c’était très simple - quand des juifs étaient en danger, ils faisaient leurs paquets et ils levaient le camp. Ils ont survécu très bien comme ça -, bon, pas si bien que ça, mais enfin, ils ont survécu comme ça, deux mille ans. Quand nos ancêtres ont décidé de créer un État, ils ont pris un risque calculé. Ils ont fait retour dans l’arène de l’Histoire, et l’arène de l’Histoire est un endroit dangereux. Tout peuple affronte des dangers. Pendant la guerre froide, les États-Unis affrontaient à tout moment le danger d’une guerre atomique où deux cents millions d’Américains pouvaient périr en cinq minutes. Voilà le prix de vivre dans l’Histoire. Je n’ai pas peur de la bombe iranienne. Pour l’essentiel, c’est une hystérie fabriquée, je pense, un fragment de la diabolisation du peuple iranien. Les Iraniens sont des gens normaux, comme tout le monde. Le peuple iranien n’est pas plus fou que le peuple israélien.
Illan Pappe : C’est le moins qu’on puisse dire.
Uri Avnery : Juste. Le régime iranien n’est pas fou, même si le président se conduit parfois d’une manière un peu étrange. S’ils ont la bombe nucléaire - ce n’est pas ce que je veux - s’ils ont la bombe nucléaire, ils ne l’utiliseront pas. Ils auront une bombe et nous aurons une bombe. Ils n’utiliseront pas la leur parce qu’ils connaissent le prix, et nous n’utiliserons pas la nôtre parce que nous connaissons le prix. Nous vivrons en danger comme beaucoup d’autres nations qui vivent en danger de multiples façons. Le plus grand danger, c’est la manipulation de l’Holocauste. Il faut condamner qui cite l’Holocauste, dans quelque contexte politique que ce soit. Tiens, si vous voulez un témoignage de première main sur l’Iran, lisez ce qu’a écrit ce type qui a atterri par erreur à Téhéran, et qui a été traité comme un prince - alors que tout le monde savait qu’il était Israélien.
Zalman Amit : Ne partez pas, j’ai encore une question pour vous, de Rami Nashef, de Machsom News Website. Comment définiriez-vous le statut des citoyens arabes dans un État juif dans le cadre de la solution de deux États. Les membres arabes de la Knesset devraient-ils s’attendre à un avenir qui ressemblerait au présent d’Azmi Bishara ?
Uri Avnery : Je vis dans cet État depuis son premier jour, et depuis son premier jour, j’ai critiqué qu’il soit défini comme un « État juif ». Je ne sais pas ce que ça veut dire. Je ne sais pas ce qu’est un État juif. Personne ne m’a jamais expliqué ce qu’est un État juif. J’ai passé dix ans à la Knesset, je n’ai jamais participé à aucune discussion sérieuse sur la définition de ce qu’est un État juif. C’est quoi ? Un État qui prône des valeurs juives ? Un État basé sur la religion juive ? Un État où il y a une majorité juive ? L’État de tous les juifs du monde, onze millions de gens - certains faisant partie de la nation américaine, d’autres de la nation française (et qui ont voté cette semaine pour Sarkozy) ? C’est quoi un État juif ?
Il y a bien des années, quand je parlais encore avec Ariel Sharon, nous avons eu un débat très serré sur ce point - est-ce un État juif ou un État israélien ? Je fais partie d’un groupe de citoyens qui ont formulé une requête auprès de la Cours suprême pour que l’on enlève la mention « nationalité : juif » sur nos cartes d’identité et qu’on la remplace par « nationalité : Israélien ». Donc, pour moi, cette question est tout à fait hors de propos. Le projet arabe qui vient d’être édité à Nazareth me paraît acceptable pour l’essentiel. Je pense qu’il peut servir de base à une discussion sérieuse. [Je pense qu’il s’agit du préprojet de Constitution démocratique proposé par l’association de juristes palestiniens d’Israël Adalah en février 2007. Une traduction existe en français sur le site d’Adalah, note de J. J.] J’ai dit plus tôt qu’on devrait établir un cadre nouveau pour les relations entre l’État et ses citoyens arabes. Je pense que ce document peut initier une discussion sur de nouvelles bases. Je ne peux qu’applaudir ses auteurs.
Zalman Amit : Deux nouvelles questions pour Illan. La première est en fait trois petites questions de Yehezkel Dolev.
- Quand donc la nostalgie pour Sion et le désir de recoloniser le pays ont-ils commencé ? Les Arabes d’Eretz Israël sont-ils les descendants des Philistins, qui furent exterminés il y a trois mille ans par le roi Saül et le roi David ? Et est-ce que le Coran contient une mention du droit du peuple juif sur la Terre sainte ?
A suivre...
Posté par Adriana Evangelizt