Les dérapages du nationalisme juif

Publié le par Adriana Evangelizt

Très intéressant article qui montre qui a commencé le terrorisme et ne l'a jamais cessé en fait...

Les dérapages du nationalisme juif

Par Rémi Kauffer



Le sionisme politique est une idée laïque, mais qui met à l'ordre du jour, à partir de la fin du XIXe siècle, la création d'un Etat juif. Cette aspiration naît dans les pays de l'Europe de l'Est, notamment en Russie et en Pologne, où les pogroms sont fréquents. Son théoricien emblématique, Theodor Herzl, journaliste autrichien, forge ses convictions au moment de l'affaire Dreyfus, où il considère que, même dans un pays comme la France, la politique d'assimilation pratiquée depuis la Révolution a échoué. Depuis l'origine, deux courants coexistent. L'un politique, qui veut la création d'un Etat juif, mais pas forcément en Palestine, l'autre, réalisateur, qui prône l'installation immédiate dans la Palestine « historique », notion à déterminer. Retour aux sources.

Le 9 avril 1948, cent trente combattants nationalistes juifs lancent l'assaut contre le village arabe palestinien de Deir Yassine. Ces jeunes appartiennent soit à l'Irgoun Zvai Leumi (IZL, « Organisation militaire nationale »), soit aux Lohamei Herout Israel (Lehi, « Combattants pour la liberté d'Israël »), deux groupes armés issus du courant sioniste « révisionniste », le plus intransigeant en matière de revendication territoriale.

Au coeur d'un conflit israélo-arabe en passe de se généraliser, la prise de Deir Yassine, site stratégique situé en surplomb de la route entre Tel-Aviv et Jérusalem, a été décidée en plein accord avec la Haganah, l'armée juive officielle dans laquelle l'IZL et le Lehi sont précisément en cours d'intégration (l'Etat hébreu sera proclamé un mois plus tard, le 14 mai, et les Forces de défense d'Israël, Tsahal, aussitôt après).

L'assaut tourne à l'hécatombe : près de deux cents habitants, hommes, femmes et enfants, sont assassinés à l'arme automatique et même au poignard. Le massacre a-t-il été prémédité ? En partie au moins, l'IZL et le Lehi n'ayant jamais caché leur intention de faire un exemple. D'autres facteurs ont également pu jouer : le caractère implacable des combats entre juifs et Arabes ; la résistance inattendue des défenseurs de Deir Yassine, qui ont tué cinq des assaillants et en ont blessé trente autres ; le manque de discipline militaire de membres de l'IZL ou du Lehi formés au terrorisme urbain, non à la guerre proprement dite ; l'accident du véhicule haut-parleur de l'Irgoun chargé d'exhorter les habitants à quitter leur village avant qu'il ne soit trop tard et dont les appels sont restés inaudibles...

Quoi qu'il en soit, Deir Yassine marque un tournant. Le crime éclabousse la cause israélienne en même temps qu'il pousse nombre de villageois arabes à quitter leurs maisons. La vengeance ne tarde d'ailleurs pas à se manifester : le 13 avril, 70 scientifiques, médecins, infirmières et hommes d'escorte juifs périssent dans leurs véhicules incendiés...

L'exécutif sioniste et la Haganah condamnent le massacre de Deir Yassine, dont ils font porter la responsabilité sur les seuls IZL et Lehi. Déclarations pas vraiment surprenantes pour qui connaît l'hostilité opposant de longue date le sionisme révisionniste, politiquement à droite (son héritier actuel est le parti israélien Likoud), au sionisme socialiste majoritaire (ses héritiers sont les travaillistes israéliens).

L'antagonisme remonte à l'entre-deux-guerres, quand Vladimir Zeev Jabotinsky rompait avec l'Organisation sioniste mondiale, coupable selon lui d'abandonner le projet d'Eretz Israel par faiblesse vis-à-vis de l'Angleterre (celle-ci exerçait un mandat de la Société des nations, ancêtre de l'ONU, en Palestine depuis la fin de la Grande Guerre). Face au courant sioniste socialiste, émerge ainsi dès 1925 le sionisme révisionniste. Nombreux - plusieurs dizaines de milliers dans les pays d'Europe de l'Est -, les militants de son organisation de jeunesse, le Betar, défilent alors en uniforme brun et rouge, montent des camps d'été où règne une discipline sévère et s'attirent les pires critiques des sionistes socialistes qui les présentent comme des « fascistes ». En juin 1933, l'assassinat à Tel-Aviv d'un dirigeant sioniste socialiste, Haïm Arlosoroff - crime non élucidé mais attribué aux révisionnistes par leurs adversaires - ne fait qu'aggraver cette situation de tension.

Depuis les années 1920, les sionistes socialistes - en l'occurrence le puissant syndicat juif Histadrouth - se sont dotés de la Haganah. Ce bras armé mène une guerre souterraine implacable contre les groupes arabes décidés à stopper la progression des colonies agricoles juives. Or, en avril 1931, Avraham Tehomi, le chef de la Haganah de Jérusalem, fait scission, créant la Haganah Bet, aussi appelée Irgoun B. Celle-ci se rapproche des révisionnistes. En 1937, l'Irgoun B éclate, Tehomi réintégrant la Haganah tandis que de jeunes dirigeants résolus, Moshe Rosenberg, Hanoskh Kalaï, David Raziel ou Avraham Stern, créent l'IZL. Bientôt dirigée par un ancien officier anglais, Robert Bitcker, cette nouvelle organisation se lance dans des hold-up très mal perçus par la population juive. Désavoué par Jabotinsky, Bitcker est remplacé par son adjoint, Moshe Rosenberg, puis par David Raziel.

Tandis que les affrontements entre Arabes et juifs se multiplient, l'Irgoun bascule dans le terrorisme urbain : bombes dans des souks ; attentats contre des autobus transportant des ouvriers arabes, contre des cinémas ; incendie de la gare de Tel-Aviv. Simultanément, les membres de l'organisation commencent à s'en prendre à des policiers britanniques du contre-espionnage. Changement de donne à l'été 1939, avec l'invasion de la Pologne par Hitler. Approuvé par Jabotinsky, David Raziel propose de suspendre ses opérations anti-anglaises pendant toute la durée de la guerre. A l'été 1940, cet arrêt des hostilités conduit à une nouvelle scission entre l'IZL et l'Etzel Be Israel (Organisation militaire nationale en Israël) d'Avraham Stern, un exalté qui ne connaît pas les demi-mesures. Baptisée « groupe Stern » par les Anglais, l'Etzel Be Israel refuse tout accommodement avec la puissance mandataire et cherche même - en vain - à négocier avec les autorités allemandes à la fin 1940, Stern s'étant persuadé que Hitler voulait expulser les juifs d'Europe mais pas les détruire ! Attaques de banques, meurtre par erreur de deux policiers juifs : de quoi asseoir un peu plus la réputation de jusqu'au-boutistes irresponsables des hommes de l'Etzel Be Israel. Pour parachever le tout, Avraham Stern lui-même, repéré par les Anglais, est froidement abattu le 12 février 1942.

L'Etzel Be Israel très mal en point et dirigée par un triumvirat où se distingue Yitzhak Yzernitsky (bientôt Yitzhak Shamir), la parole est à l'Irgoun. Un nouveau venu, Menahem Begin, en a pris le commandement. Il restructure l'organisation, la dote d'un programme politique. Ulcéré par l'attitude des Britanniques qui, malgré les nouvelles dramatiques d'Europe, refusent d'ouvrir la porte de la Palestine aux immigrants juifs, Begin lance l'Irgoun dans une campagne d'attentats anti-anglais limités aux objectifs non militaires, guerre contre le nazisme oblige. Le 12 février 1944, trois explosions simultanées détruisent les bureaux du service d'immigration de Jérusalem, Haïfa et Tel-Aviv. Le début d'une longue série...

De son côté, le groupe Stern n'a pas désarmé sous son nouveau nom de Lehi. D'abord, il tente d'abattre Harold McMichaels, le haut-commissaire britannique en Palestine. Puis, le 9 novembre 1944 au Caire, deux de ses membres assassinent lord Moyne, haut-commissaire britannique pour le Moyen-Orient. Dirigé par David Ben Gourion, l'exécutif sioniste profite de la vague de désapprobation qui s'ensuit pour frapper sous la ceinture son principal rival, l'Irgoun, beaucoup plus dangereux que le groupusculaire Lehi. C'est l'opération « Saison », qui voit les amis de Menahem Begin dénoncés aux autorités britanniques et traqués par la Haganah...

Nouveau revirement à l'automne 1945 quand, sur consigne de Ben Gourion installé à Paris, la Haganah passe à son tour à l'action armée anti-anglaise. Nonobstant les terribles querelles du passé, un front commun à l'enseigne du Mouvement de la révolte hébraïque (MRH) se constitue entre Haganah, Irgoun et Lehi qui, sous l'influence de son maître à penser Nathan Yelin-Mor, adopte une idéologie pour le moins originale, mixture d'intégrisme nationaliste et de gauchisme anti-impérialiste. Ponctués de représailles britanniques, les attentats reprennent de plus belle : sabotages (ponts, stations radar, voies de chemin de fer), incendies de terrains d'aviation, raids, mitraillages...

Sans compter l'hôtel King David. Depuis les débuts du MRH, l'Irgoun préconise de s'en prendre à cet établissement de Jérusalem dont l'aile sud abrite le quartier général de l'administration britannique en Palestine. Mais la Haganah refuse avec constance jusqu'au jour où, des documents compromettants de l'exécutif sioniste ayant été saisis par les Anglais, elle fait brutalement volte-face. D'accord, dit son représentant Yitzhak Sadeh. Pour être bien sûr de la destruction des documents, il aurait même proposé que l'appel téléphonique anonyme invitant les Anglais à évacuer l'établissement intervienne 15 minutes avant l'explosion, et non 45 comme prévu par l'Irgoun. On transige à 30 minutes mais le 22 juillet 1946 à 12 h 37, l'explosion provoque un carnage : plus de 100 morts. Aussitôt, l'exécutif sioniste désavoue l'attentat ! Ecoeurement de Begin qui, partagé entre sa certitude messianique que la cause lui confère le droit de tuer et son refus moraliste de verser inutilement le sang, n'a sans doute jamais voulu un massacre sur une si grande échelle.

Début 1947, l'Irgoun à son apogée compte entre 600 et 1 000 opérationnels, plus 5 000 militants dans les réseaux de logistique et de soutien. Elle poursuit ses attentats et répond coup pour coup aux autorités britanniques. Ses militants sont fouettés ? Des officiers de Sa Majesté kidnappés subiront le même sort. Pendus ? Deux sergents du contre-espionnage anglais connaîtront à leur tour l'horreur de la potence. L'organisation ne sera dissoute qu'à la fin juin 1948, après le massacre de Deir Yassine. Mais juste avant, le 21 juin, elle perd encore une vingtaine de militants tués par la Haganah lors de l'affaire de l'Altalena (l'Irgoun, maître d'oeuvre de l'opération, réclame un quart des armes transportées par ce cargo en provenance de France pour ses combattants, le reste allant à la Haganah). Cette proposition est rapidement rejetée par Ben Gourion qui, au nom de l'unité nationale, prend la décision de faire couler le navire.

Reste le Lehi. L'une de ses spécialités : les colis piégés. Le groupe en expédie un en Angleterre, à l'adresse personnelle du major britannique Roy Farran, membre d'un groupe contre-terroriste, l'Escadron Q. Le 3 mai 1948, son frère Rex l'ouvre. C'est lui qui meurt : le colis était marqué « R. Farran ».

Quatre mois plus tard, le même Lehi hausse à nouveau le ton en assassinant, le 17 septembre, Folke Bernadotte, médiateur de l'ONU jugé trop favorable aux Arabes, et l'un de ses collaborateurs français, le colonel Paul Sérot. Véritablement décidé à en finir, Ben Gourion qualifie alors le groupe d'« organisation terroriste », de « milice de la bourgeoisie juive » et d'« organisation anti-ouvrière à aspects fascistes ». Ce qui n'empêche pas le Lehi, passé dans la clandestinité, de réapparaître début 1949 sur le terrain politique en créant son propre parti. Une page sanglante se tourne...

Membre du comité éditorial d'Historia, Rémi Kauffer, auteur d'un roman sur la Résistance, Le Réseau Bucéphale (Le Seuil, 2006) vient de collaborer à l'ouvrage collectif L'Histoire secrète de la Ve République (La Découverte)

Comprendre

Sionisme révisionniste


En 1925, Vladimir Zeev Jabotinsky (1880-1940) crée le Parti révisionniste, organe central de la droite nationaliste sioniste. Ce mouvement revendique l'existence d'un Etat juif sur les deux rives du Jourdain et la Transjordanie. Ses partisans s'opposent au sionisme de gauche, dont les héritiers sont les travaillistes de la Knesset.

Menahem Begin, patron de l'Irgoun

Né en 1913 à Brest-Litovsk, étudiant en droit, commissaire de la branche polonaise du Betar, le mouvement de jeunesse de l'organisation sioniste « révisionniste » de son maître à penser, Vladimir Jabotinsky. En 1939, échappant aux nazis, il parvient à passer dans la partie de la Pologne occupée par les Soviétiques. Expédié au goulag pour son engagement sioniste, il est libéré en juin 1941 et s'engage dans l'armée nationale polonaise que lève le général Wladislaw Anders. Son unité transférée en Palestine, il est démobilisé en 1943 et adhère sur-le-champ à l'Irgoun, dont il prendra la direction. En février 1944, Begin annonce la reprise de la lutte armée contre la présence britannique. Cette décision lui vaut les foudres de l'exécutif sioniste officiel dirigé par celui qui va devenir sa bête noire - et réciproquement -, David Ben Gourion, jugé trop complaisant envers la puissance coloniale britannique. Entre novembre 1944 et septembre 1945, la Haganah lance l'opération "Saison" : des militants de l'Irgoun sont dénoncés à la police, d'autres séquestrés voire torturés, des dépôts d'armes saisis. Mais, en refusant toute action de représailles, Begin sauve la paix civile à l'intérieur de la communauté juive, attitude modérée qui lui attire de nombreuses sympathies. Le chef de l'Irgoun ne sort de la clandestinité qu'en mai 1948, au moment de la proclamation de l'Etat hébreu. Fin juin 1948, il accepte la dissolution de son organisation mais, dès août, il crée un parti politique se réclamant du sionisme révisionniste, le Hérout (« Liberté », ancêtre de l'actuel Likoud). En mai 1977, l'ancien dissident sioniste propulse la droite israélienne au pouvoir et devient Premier ministre jusqu'à sa démission en septembre 1983.

Les zélotes, miliciens de la foi

Les écrits de l'historien juif romanisé Flavius Josèphe (37 apr. JC-100) constituent la source quasi unique d'information sur ces précurseurs du terrorisme organisé. Intégristes juifs influents proches du courant pharisien, les zélotes militent contre la domination romaine. Vers l'an 6 après J. C., ils passent à la lutte armée sous la houlette de leur chef, Juda de Galilée. Leur revendication : l'indépendance aussi bien politique que religieuse. Leur obsession : la pureté individuelle, qui seule confère la légitimité de tuer au service de la cause. Leurs victimes : les « collabos », mais aussi les juifs à la pratique religieuse relâchée. Leur méthode : l'égorgement au poignard dans les lieux publics, qui frappe les esprits - « guerre psychologique » - en même temps que les corps, d'où leur nom romain de « sicaires » (de sicarius, celui qui tue au poignard). Mais ils s'emploient également à brûler les documents d'archives, titres de propriété, relevés fiscaux et reconnaissances de dettes, forme d'action originale qui leur assure une forte popularité. Il semble en effet que les zélotes se soient appuyés sur les classes défavorisées quitte à mécontenter les plus riches. Après un demi-siècle de mise en sommeil, l'organisation, dirigée semble-t-il par des descendants de Juda de Galilée, réapparaît vers 60 pour mener une lutte acharnée jusqu'à la destruction du Temple de Jérusalem par les Romains. Dernier épisode de ce combat sans merci, le long siège de la forteresse de Massada au cours duquel les 960 défenseurs zélotes conduits par Eleazar ben Yaïr vont préférer le suicide collectif à la capitulation.

Yitzhak Shamir, chef du Lehi

Né Yitzhak Yzernitsky en 1915 en Pologne tsariste. Etudiant à Varsovie en 1933, il adhère au Betar et y rencontre Menahem Begin. En 1935, il obtient l'autorisation d'émigrer en Palestine. En 1937 ou 1938, Shamir rejoint l'Irgoun de Tel-Aviv - interviewé en 1984, il admettra avoir participé dans ce cadre à de nombreuses opérations de représailles contre les Arabes - sur lesquelles il ne s'étend pas dans ses mémoires, Ma vie pour Israël, publiés en 1994. En 1940, il hésite beaucoup avant de se rallier à l'Etzel Be Israel, première mouture du Lehi. Arrêté en décembre 1941, Shamir apprend la mort d'Avraham Stern, abattu sans jugement par les Anglais. En août, il s'évade et prend avec Eliahou Giladi la direction de l'organisation - une cinquantaine de jeunes gens en tout et pour tout. Mais, obsédé par le terrorisme nihiliste de pure provocation, Giladi est devenu trop dangereux pour tout le monde. Shamir ordonne son exécution sommaire. Début 1943, l'Etzel Be Israel change de nom pour devenir le Lehi. Fasciné par Michael Collins, inventeur dans les années 1918-1920 de la guérilla urbaine comme chef militaire de l'Irish Republican Army (IRA), Shamir adopte le pseudonyme de « Michael » pour prendre en main sa branche opérations. Arrêté une seconde fois en 1946, déporté en Erythrée, il s'évade à nouveau en 1947. Assigné à résidence par les Français à Djibouti, il regagne Tel-Aviv le 20 mai 1948, un mois et demi après Deir Yassine, quatre avant l'assassinat du comte Bernadotte... Le Lehi plonge dans la clandestinité au sein de l'Etat d'Israël avant même de se dissoudre et de réapparaître au plan politique début 1949 sous le nom de Parti des combattants. De l'aveu de « Michael », le groupe n'aura mobilisé en tout et pour tout que 1 000 militants, réseaux logistiques inclus. Après dix ans au sein du Mossad, Yitzhak Shamir entre en politique en 1966. Membre du Likoud, président de la Knesset en 1977, il succède à Menahem Begin en 1983 et restera Premier ministre (exception faite de la période de « présidence tournante » du travailliste Shimon Peres en 1984-1986) jusqu'en juin 1992.


Sources
Historia

Posté par Adriana Evangelizt

Publié dans SIONISME

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