Israël embarrassé par la paix

Publié le par Adriana Evangelizt

Israël embarrassé par la paix

par Bernard Guetta, de retour d'Israël

Les pays arabes proposent un plan de paix. Jérusalem ne saute pas de joie. Le pays est sur la défensive. Pourquoi?

Piercings et nombril à l'air, une jeune Israélienne buvait son café en terrasse. «Vous êtes touriste, m'a-t-elle lancé? - Non, journaliste.» Ça l'a surprise: «Qu'est-ce qui vous amène? - L'offre arabe... Le sommet de Riyad: les réactions de votre pays...» J'allais lui demander ce qu'elle en pensait quand son portable a sonné.

C'était un SMS: «Ils ont tiré de nouvelles roquettes de Gaza, pas de blessés», a-t-elle distraitement lu avant d'enchaîner sur les premiers rayons de l'été, ses études, les mérites comparés du café turc et de l'expresso, tous les sujets possibles sauf ces espoirs de paix qui venaient de déplacer à Jérusalem le secrétaire général de l'ONU et la secrétaire d'Etat américaine.

Bizarre. Etrange. Choquant même. Il y a cinquante-neuf ans que les Israéliens attendent d'être reconnus par leurs voisins arabes. L'établissement des relations diplomatiques avec l'Egypte avait totalement bouleversé ce pays. Pour la deuxième fois, c'est maintenant la Ligue arabe, tout le monde arabe, qui propose à Israël de le reconnaître en échange de la création d'un Etat palestinien dans les frontières de 1967. Elle le fait avec encore plus de solennité qu'en 2002 et, cette fois-ci, même le Hamas suit le mouvement en ne se désolidarisant pas de cette offre qui n'a, pourtant, rien pour l'enthousiasmer.

L'événement est d'autant plus énorme que les dirigeants israéliens martèlent depuis septembre, depuis la guerre qu'ils ont perdue contre le Hezbollah libanais, que leur «top priorité» est de se rapprocher des régimes arabes pour contrer l'Iran et le radicalisme islamiste.

Ce devrait être la fête en Israël. «Enfin!» devrait-on entendre dans les flonflons et les applaudissements, mais non.

L'embarras des milieux gouvernementaux n'a d'égal que l'indifférence de la rue. A croire, pourrait-on se dire, qu'Israël ne veut pas de la paix, qu'il préfère garder les Territoires occupés. «Non! Ne croyez pas cela, répond Meron Rapaport, journaliste au Haaretz, le grand quotidien de la gauche israélienne. Les Territoires ne sont plus sacrés que pour les 10% de nationaux religieux mais, en même temps que l'idée du Grand Israël s'effondrait, celle du choc des civilisations s'est imposée dans ce pays».

«Entre la victoire électorale du Hamas, les attentats du 11 septembre et, maintenant, l'Iran, poursuit-il, les gens ne croient plus que la paix soit possible avant plusieurs générations et, parallèlement, ils voient l'économie se développer, le chômage baisser et le terrorisme régresser. Ils ont fini par se dire qu'on pouvait vivre et aller de l'avant à l'abri du Mur sans recommencer à rêver d'un règlement définitif.»

Même diagnostic chez l'ancien patron du Shin Beth, les services de sécurité intérieure. Devenu militant de la paix en 2002 aux côtés de Sari Nusseibeh, l'un des plus grands intellectuels palestiniens, Ami Ayalon est aujourd'hui la personnalité la plus appréciée des militants du Parti travailliste. Il en brigue la direction, court d'un meeting à l'autre, martèle qu'il ne faut pas laisser passer cette chance de paix et, pour lui, la cause est entendue: «Les gens ont à la fois envie d'espérer et peur d'être une nouvelle fois déçus.»

C'est vrai. Des terrasses aux taxis collectifs, dès qu'on pousse les Israéliens, quand on leur dit que, tout de même, les choses bougent, que le Hamas déclare désormais «respecter» les accords que l'OLP a passés avec Israël, qu'il y a, là, une reconnaissance implicite de leur pays et qu'elle est renforcée, depuis Riyad, par le feu vert des islamistes au plan de la Ligue arabe, l'indifférence se fissure. La plupart commencent par dire que «non», que tout cela n'est que manœuvres et tromperies, que «les régimes arabes ne veulent au mieux qu'une trêve car ils ont peur de l'Iran» et puis, lentement, l'intérêt s'éveille. La discussion s'engage et l'on entend des «peut-être», des «on verra» qui sonnent comme autant de «si c'était vrai...». Meron Rapaport: «Si Israël avait un leader d'assez de trempe pour dire au pays «Voilà, j'ai un accord avec le monde arabe et le prix en est un partage de Jérusalem et le retour aux frontières de 67», la majorité des électeurs suivraient. »Les sondages ne le contredisent pas mais, justement, ce leader, Israël ne l'a pas. Avec un premier ministre tombé à 3% de taux de confiance, Israël n'a même pas de leader du tout car Ehoud Olmert est totalement disqualifié par l'échec de la guerre d'août et les scandales, financiers ou sexuels, qui minent son gouvernement.

Son sort est suspendu aux conclusions d'une commission d'enquête sur la «deuxième guerre du Liban». Le sommet de l'Etat n'est plus qu'une foire d'empoigne. La droite attend son heure, élections anticipées ou nouvelle coalition avec les centristes où elle reprendrait les portefeuilles de la gauche. La ministre des Affaires étrangères, Tzipi Livni, se verrait bien premier ministre car cette ancienne des services secrets a toutes les faveurs de l'opinion depuis qu'elle prône la recherche d'un règlement définitif avec Mahmoud Abbas, le président palestinien.

La classe politique s'observe, à peu près aussi divisée et disqualifiée que la palestinienne, mais les dirigeants israéliens, bien au-delà de leurs faiblesses, expriment de vraies inquiétudes devant cette offre arabe.

Ils craignent que des négociations ne les amènent à faire des concessions décisives à des régimes qui seraient, de toute façon, condamnés. A quoi servirait, se demandent-ils, de rendre les Territoires occupés aux Palestiniens et d'accepter un compromis sur Jérusalem, si les régimes égyptien, saoudien, jordanien, d'autres peut-être, étaient demain balayés par le mécontentement populaire et la poussée islamiste? A quoi bon faire la paix avec les pouvoirs d'aujourd'hui, se disent-ils, si leurs successeurs de demain se retournent contre nous après que nous ayons installé à nos frontières un Etat palestinien qui ne resterait alors pas étranger à cette radicalisation régionale?

Il y a quelque chose d'absurde dans ce raisonnement. La possibilité d'un chaos régional conduit les Israéliens à considérer qu'il faudrait craindre un développement qui pourrait l'empêcher mais le fait est que, face à cette offre, le premier problème des Israéliens n'est pas les concessions qu'elle demanderait. Elles leur seraient dures à faire sur Jérusalem mais pas impossibles. Autant le retour des réfugiés de 1948 en territoire devenu israélien serait inenvisageable pour eux, autant ils savent que la question est négociable et l'angoisse est ailleurs.

L'angoisse, c'est la nouvelle donne régionale et internationale, la décrédibilisation des Etats-Unis après leur embourbement en Irak; la constante progression des Frères musulmans en Egypte; les tensions en Arabie saoudite; la fragilité jordanienne; l'éclatement irakien; la multiplication des missiles contre lesquels l'armée israélienne vient de se casser les dents au Liban et l'affaiblissement, surtout, des Etats arabes, aussi rapide que l'affirmation des radicalismes islamistes transnationaux - Frères musulmans, Al-Qaida et réveil chiite autour de l'Iran.

Cette nouvelle donne est si réelle que c'est elle qui a conduit l'Arabie saoudite à vouloir régler le problème palestinien. La monarchie veut tarir cette source de radicalisation, tourner la page de ce conflit pour faire face à de nouveaux fronts qui menacent directement sa pérennité, mais si le danger est devenu si grand pour elle, se demande l'establishment politique israélien, n'est-ce pas qu'il est déjà trop tard pour une paix durable avec le monde arabe?

Si prégnant dans la rue israélienne, le choc des civilisations hante aussi les sommets de l'Etat dont elle explique l'embarras. D'un côté, Ehoud Olmert voit dans le sommet de Riyad un «changement révolutionnaire», le signe, dit-il, que «les pays influents du monde arabe comprennent qu'Israël n'est pas le principal de leurs problèmes». De l'autre, la tentation est immense de ne pas lâcher la proie pour l'ombre, de ne monter qu'à reculons dans ce radeau saoudien que tant de lames de fond risquent de retourner à chaque instant. Ce dont rêveraient les dirigeants israéliens serait, en fait, de fonder un modus vivendi avec les régimes arabes sur une alliance contre l'Iran et non pas sur un règlement de la question palestinienne.

«Il y a chez nos gouvernants un mélange de peurs et de présomption», estime Menachem Klein, l'un des artisans de l'«accord de Genève», le plan de paix élaboré il y a trois ans par les plus pacifistes des dirigeants israéliens et palestiniens. Ils ne se croient pas capables, dit-il, de défendre Israël dans les frontières de 1967 mais ne voient pas que nous ne pouvons rien faire contre le front qui s'est formé à Riyad.» Meron Rapaport: «Ce gouvernement sait qu'il doit bouger, mais il est tellement tétanisé que nous pouvons nous retrouver complètement isolés, même des Etats-Unis qui, comme l'Europe et le monde arabe, ont besoin de sortir de ce conflit.»

Alors? «Nous sommes sur la défensive et ce n'est pas la meilleure des positions», répond Ami Ayalon. Que ferait-il s'il était aux commandes? Il accepterait, dit-il, l'initiative arabe comme un «premier pas» permettant des négociations «entre tous ceux des Etats de la région qui sont prêts à relancer le processus de paix et considèrent que l'Iran et le terrorisme sont des menaces majeures». Il appellerait, deuxièmement, à une conférence internationale sur ces trois questions dans laquelle Mahmoud Abbas représenterait les Palestiniens.

Et, troisièmement, il demanderait à toutes les parties prenantes de fonder un règlement définitif sur le compromis que Bill Clinton avait proposé pour Jérusalem, sur des échanges de territoires permettant le maintien des grandes implantations sous souveraineté israélienne et sur la limitation à la future Palestine du droit au retour des réfugiés palestiniens.

Ce n'est pas encore, et loin de là, ce que dit Ehoud Olmert mais, outre qu'il n'est pas exclu qu'il y vienne, son gouvernement n'est pas éternel. Le tournant amorcé est trop profond pour que tout se joue en quelques semaines.

Sources
Le Temps

Posté par Adriana Evangelizt

Publié dans Ehud Omert

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