Morts d'ennui

Publié le par Adriana Evangelizt

Morts d’ennui

par Amira Hass

Les écoles officielles de l’Autorité Palestiniennes sont en grève depuis le 1er septembre, les enseignants n’ayant plus touché leur salaire depuis avril. 729.340 élèves restent chez eux, pendant que membres du Fatah et du Hamas mènent la lutte pour le contrôle des syndicats d’enseignants et des caisses vides.


Naplouse

On aurait pu s’attendre à ce que Ayad et Majdi, 11 ans, de Naplouse, jalousent leurs amis et voisins qui fréquentent les écoles officielles en grève depuis le 1er septembre, mais il n’en est rien. Ayad fréquente une école primaire de l’UNRWA, l’agence de l’ONU responsable des services d’enseignement et de santé pour les réfugiés, et Majdi fréquente lui une école privée rattachée à une Eglise. Ils ne perçoivent peut-être pas les répercussions générales à long terme qu’aura cette perte de deux mois de l’année scolaire pour plus d’un demi million d’élèves, mais ils savent bien que leurs amis et leurs voisins meurent tout simplement d’ennui.

Hinad, la sœur d’Ayad, âgée de 14 ans, fréquente une école secondaire qui est en grève (l’UNRWA ne dispose que d’écoles primaires). Que fait-elle toute la journée ? « Rien », répond-elle. « Je regarde un peu la télévision, je lis un peu, je m’entraîne un peu au karaté (elle a une ceinture brune, précise fièrement le père). Mais surtout, je m’ennuie et j’aide maman à la maison ».

La mère, Nahed, est une enseignante gréviste. Elle est bien sûr consciente des répercussions dangereuses que présente la grève pour le niveau des élèves et pour les enseignants eux-mêmes, mais elle soutient la grève des enseignants et rejette les affirmations du Hamas selon lesquelles la grève est animée par des mobiles partisans liés au Fatah. Elle-même n’a jamais été une sympathisante du Fatah.

La décision de mettre en grève les écoles officielles en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza a été prise le 21 août 2006 par le « Comité des enseignants », une organisation qui a un passé impressionnant de confrontations avec le gouvernement d’Arafat. Le Comité a été créé en 2000, au plus fort d’une lutte, exceptionnelle, en faveur d’une hausse du salaire des enseignants et de la création d’un syndicat d’enseignants indépendant. La lutte a duré deux ans pendant lesquels Arafat et les services de sécurité ont fait tout ce qu’ils ont pu pour briser la protestation : arrestations des meneurs, coups et menaces. Mais le soutien populaire et démocratique aux enseignants et à leurs exigences a surmonté tout, y compris l’allégation que les chefs du Comité étaient des « collaborateurs ». Le Comité des enseignants a été reconnu comme représentant temporairement les enseignants des écoles officielles, jusqu’à la tenue d’élections pour un syndicat professionnel indépendant. Le Comité a également décidé de commencer à prendre des sanctions au cours de l’année scolaire 2000-2001, si les revendications salariales des enseignants n’étaient pas rencontrées, mais la seconde Intifada a alors éclaté et tous les projets ont été suspendus.

Sur les 17 membres du comité, quatre sont membres du Hamas et ils se sont associés à la décision de mettre les écoles en grève, pour protester contre le non paiement des salaires des enseignants depuis avril 2006. Le Comité a fait porter la responsabilité de la situation et de sa solution à la fois sur le Président de l’Autorité, Mahmoud Abbas, et sur le gouvernement dirigé par Ismail Haniyeh.

50 mètres à l’heure

« Ils auraient au moins pu se soucier de nous payer le prix du trajet jusqu’à l’école », dit Nahed. L’école dans laquelle elle enseigne se trouve au sud du barrage de Hawara. Ce qui veut dire que chaque jour, elle perd environ une heure pour franchir les 50 mètres, à la fois si courts et si longs, du barrage. Nahed, comme des dizaines de milliers de ses collègues, ont fait la preuve, au cours des six dernières années, de leur dévotion dans le travail. Pendant de longs mois, alors que l’armée israélienne fermait quasi hermétiquement les sorties de Naplouse, elle se rendait à l’école par des voies tortueuses, contournant les barrages, parfaitement consciente de s’exposer au danger de tirs venant des soldats.

Lorsque l’armée israélienne a imposé un couvre-feu de plusieurs mois à Naplouse, ce sont les enseignants et les élèves qui le violaient en organisant des classes dans les quartiers. Dans un deuxième temps, élèves et enseignants ont été envoyés dans les écoles en dépit du couvre-feu. Tout cela, Nahed l’a surmonté - les chars terrifiants dans les rues, les balles au-dessus des têtes, la perte d’un temps précieux, l’effort psychique et physique - mais sans salaire, elle ne peut tout simplement pas se permettre de payer 13 shekels chaque jour : deux shekels pour aller de chez elle au centre ville, deux shekels et demi pour aller du centre ville jusqu’au barrage de Hawara et deux shekels pour se rendre du barrage à l’école. Et retour.

La fille aînée de Nahed est en classe de 12e et la directrice de son école a décidé, de sa propre autorité, que les enseignants donneraient cours aux élèves présentant cette année le baccalauréat et qu’ils les suivraient tout particulièrement. Dans d’autres écoles, on donne cours deux heures chaque matin puis les enfants retournent chez eux. A Gaza où, de toute manière, environ 50% des élèves fréquentent les écoles de l’UNRWA, il a été décidé à la mi-septembre, de suspendre la grève pour un mois. En Cisjordanie, certains parents font passer leurs enfants dans des écoles de l’UNRWA ou des écoles privées. L’épouse de Nasser A-Din A-Shaer a fait passer un de ses enfants d’une école officielle à une école privée, tandis que son mari - à la fois Ministre palestinien de l’Enseignement et vice-premier ministre - était placé en détention.

Standards européens

A-Shaer avait été arrêté il y a environ deux mois lors d’une vague d’arrestations lancée par l’armée israélienne parmi les membres du gouvernement et du parlement palestiniens. Il a été libéré il y a moins d’un mois, après 42 jours d’interrogatoire « qui se sont centrés sur des questions politiques, essentiellement », comme il dit.

Pendant tout ce temps, il était détenu dans une cellule dépourvue de fenêtre, sans radio, télévision ni journaux. « Pour une brosse à dent, il fallait se lancer dans des négociations », dit-il. Les enquêteurs et le ministère public ont décidé qu’il n’y avait pas la moindre base pour étayer contre lui une accusation d’implication dans le terrorisme. « Je suis un islamiste, c’est vrai, mais je ne suis pas membre du Hamas et ne l’ai jamais été ». Haniyeh, il ne l’a jamais rencontré, il a seulement discuté avec lui au téléphone.

A-Shaer est assis dans son appartement et il travaille avec de hauts responsables du ministère. Du fait de l’interdiction de sortir de Naplouse, son lieu de résidence permanent, il n’a pas encore rencontré les membres du Comité des enseignants qui siège à Ramallah. A-Shaer, qui a achevé en Grande-Bretagne un doctorat dans l’étude des religions, dit qu’il essaie de développer et de faire progresser le système d’enseignement palestinien selon des standards européens.

Certains pays ont, selon lui, continué de transféré de l’argent pour le développement de l’enseignement palestinien, conformément à des accords antérieurs à l’établissement d’un gouvernement Hamas, mais tant qu’Israël continue - et c’est déjà le huitième mois - à bloquer le transfert des revenus de l’Autorité Palestinienne en taxes et frais de douane (1,5 milliard de shekels à ce jour ( 280 millions d’euros - NdT) ), le gouvernement ne pourra pas verser le salaire de ses employés.

Il comprend la détresse des enseignants en grève, mais dit, avec beaucoup de circonspection, qu’ils n’ont pas le droit de causer un tort si grand aux enfants. « Nous n’avons pas le pouvoir de les contraindre à retourner à l’enseignement », dit-il avec franchise, « Ni le pouvoir, ni la volonté ». A-Shaer est prêt à dire que dans cette grève, « il y a un élément d’exploitation politique, partisane », mais il est convaincu que sans salaires, la grève ne prendra pas fin et que les salaires ne seront pas payés sans qu’une pression soit exercée sur Israël pour qu’il mette fin au blocus contre les Palestiniens, débloque les fonds d’assistance et restitue à l’Autorité l’argent qu’il lui doit. Il repousse aussi les allégations répandues selon lesquelles le gouvernement Hamas trouverait des voies détournées pour payer ses gens. « Chaque chèque que je signe passe pour contrôle au Ministère des Finances et au bureau d’Abbas », insiste-t-il.

Le système d’enseignement palestinien pour les années 2004-2005

38.805 : nombre total des enseignants en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza, dans les écoles officielles, privées et de l’UNRWA.

27.527 enseignants dans les écoles officielles : 19.672 en Cisjordanie, 7.855 dans la Bande de Gaza.

1.043.935 : nombre d’élèves dans les écoles (primaires et secondaires) officielles, privées et de l’UNRWA : 425.425 à Gaza et 618.510 en Cisjordanie.

729.340 : nombre d’élèves dans les écoles officielles : 224.460 à Gaza et 504.880 en Cisjordanie.

Sources : Bureau central palestinien des statistiques

Haaretz, 16 octobre 2006

Traduction de l’hébreu : Michel Ghys

Version anglaise : We don’t get no education www.haaretz.com/hasen/spages/775121.html



Sources : France Palestine

Posté par Adriana Evangelizt

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